L’Autorité de la concurrence n’est pas liée par la position adoptée par le ministre de l’Economie en matière de micro-pratiques anticoncurrentielles

Publié le 
24/11/2025
L’Autorité de la concurrence n’est pas liée par la position adoptée par le ministre de l’Economie en matière de micro-pratiques anticoncurrentielles

Cass.com., 24 septembre 2025, n° 23-13.733

L’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 24 septembre 2025 précise que l’Autorité de la concurrence n’est pas liée par la position du ministre de l’Économie lorsqu'elle est saisie après un refus de transiger de la part des entreprises concernées par la pratique. En outre, la Haute juridiction souligne que constitue une entente par objet, le fait d’échanger des informations confidentielles entre entreprises soumissionnaires concurrentes dans le cadre de l’élaboration d’une offre soumise en réponse à un appel d’offres.

Dans cette affaire, deux entreprises répondent séparément à un appel d’offres lancé par la métropole de Lille pour un marché portant sur la maintenance et la transformation des systèmes de gestion technique de ses bâtiments. L’une d’elles propose dans son offre de faire appel à un sous-traitant, lequel se révèle être l’autre entreprise soumissionnaire.

Pouvoirs du ministre de l’Economie

Estimant que les échanges d’informations entre ces deux entreprises lors de la préparation de l’offre de l’une d’elles constituent une pratique anticoncurrentielle, le ministre de l’Économie engage une procédure d’injonction et de transaction  en application de l’article L. 464-9 du Code de commerce, qui confère au ministre de l’Économie un pouvoir d’injonction et de transaction lorsqu’il est confronté à des pratiques anticoncurrentielles entrant, notamment, dans le champ des articles L. 420-1 (ententes), L. 420-2 (abus de position dominante ou d’un état de dépendance économique) et L. 420-5 (prix de vente abusivement bas) du Code de commerce. Ce pouvoir ne peut toutefois être exercé que si trois conditions sont réunies :

• les pratiques doivent concerner un marché de dimension locale et ne pas relever des articles 101 ou 102 TFUE ;

• le chiffre d’affaires annuel réalisé en France par chacune des entreprises concernées ne doit pas excéder 50 millions d’euros ;

• leur chiffre d’affaires cumulé ne peut être supérieur à 200 millions d’euros.

Outre qu'il peut enjoindre aux entreprises de mettre un terme à leurs micro-pratiques anticoncurrentielles, le ministre peut, aux mêmes conditions, leur proposer une transaction. Son montant ne peut excéder 150 000 euros ou 5 % du dernier chiffre d'affaires connu en France, si cette valeur est plus faible.

En l’occurrence, la transaction proposée n’ayant été acceptée que par l’une des entreprises poursuivies, le ministre a saisi l’Autorité de la concurrence, conformément à l’article L. 464-9 du Code de commerce, lequel prévoit expressément cette saisine lorsqu’une entreprise refuse la proposition de transaction.

Principe de la saisine in rem

Dans sa décision du 4 mars 2021 (n° 21-D-05), l’Autorité de la concurrence estime qu'elle n'est pas liée par la position du ministre de l’Economie qui a estimé que l’entreprise ayant refusé la transaction, qui appartient à un grand groupe, constitue une société autonome. Elle retient l’exercice d’une influence déterminante de la société mère sur celle-ci et prononce une sanction sur la base du chiffre d’affaires de la mère.

Devant la cour d’appel, les entreprises concernées ont soutenu que l’article L. 464-9 du Code de commerce confère au ministre de l’Économie un véritable pouvoir de sanction, mais dans un cadre strictement délimité, lorsqu’il s’agit de micro-pratiques anticoncurrentielles. Selon elles, en cas de refus de transaction, la procédure ainsi encadrée devait logiquement se poursuivre devant l’Autorité de la concurrence, sans que celle-ci puisse s’affranchir des limites imposées au ministre.

Les entreprises faisaient valoir que, contrairement à l’article L. 462-5 du Code de commerce, qui régit la saisine générale de l’Autorité de la concurrence et lui reconnaît une liberté totale pour apprécier les faits, les qualifier juridiquement et déterminer les personnes responsables, l’article L. 464-9 institue un régime spécifique. En vertu de ce dernier, l’Autorité serait tenue de respecter les mêmes contraintes que le ministre, notamment en ce qui concerne les seuils de chiffre d’affaires et la portée locale des pratiques en cause. Elles en déduisaient que la saisine de l’Autorité sur le fondement de l’article L. 464-9 devait obéir à un régime procédural et matériel distinct de celui applicable en vertu de l’article L. 462-5.

Cette argumentation est écartée tant par la cour d’appel dans son arrêt du 9 mars 2023, que par la Haute juridiction.

La Cour de cassation retient explicitement qu’: « […] en cas de refus de transiger, l’Autorité est saisie des faits, objet de la procédure de transaction, sans être tenue par les qualifications proposées par le ministre ni par son choix d’imputer la pratique en cause à certaines personnes morales seulement ».

Ainsi, la Cour de cassation consacre le principe selon lequel, lorsqu’elle est saisie à la suite d’un refus de transaction, l’Autorité de la concurrence retrouve l’intégralité de ses pouvoirs d’appréciation et de qualification. Elle n’est donc pas liée par les limites encadrant l’intervention du ministre, que ce soit quant à la nature juridique des faits, à la détermination des responsables ou aux seuils de chiffre d’affaires applicables.

De la coopération légitime à la collusion sanctionnée

La Cour de cassation rappelle que des échanges d’informations confidentielles entre deux entreprises soumissionnaires concurrentes lors de l’élaboration d’une offre qui vise à répondre au même appel d’offres caractérise une restriction par objet.

En dépit du principe d’autonomie des opérateurs économiques posé notamment par la Cour de justice (CJUE, 4 juin 2009, T-Mobile Netherland e.a., aff. C-8/08), une entreprise peut proposer une offre en coopération avec une autre. En matière de marchés publics, la Cour considère qu’il est de l'intérêt du droit de l’Union que soit assurée la participation la plus large possible de soumissionnaires à un appel d'offres (CJUE, 19 mai 2009, Assitur, aff. C-538/07). Une offre groupée ou de coopération (comme le recours à la sous-traitance) n’est pas illicite en soi et peut même avoir des effets pro-concurrentiels si elle permet aux entreprises d’accéder au marché alors qu’elles n’auraient pu concourir isolément, ou si elle permet de soumettre une offre plus compétitive ou de meilleure qualité (CJUE, 26 septembre 2019, Vitali, aff. C-63/18).

Toutefois, selon l’Autorité de la concurrence (ADLC, 3 mars 2022, n° 22-D-08), en matière de marchés publics ou privés sur appels d'offres, l'entente anticoncurrentielle est établie dès lors que la preuve est apportée, soit que les parties sont convenues de coordonner leurs offres, soit qu'elles ont échangé des informations antérieurement au dépôt des offres, qu'il s'agisse de leurs moyens disponibles, de leur intérêt ou de leur absence d'intérêt pour le marché considéré ou encore des prix qu’elles envisageaient de proposer. Ainsi que le constate la Cour en l’occurrence, le dépôt de deux dossiers de candidature séparés, mais élaborés sur la base d’échanges d’informations stratégiques, fausse nécessairement la concurrence et trompe le maître d’ouvrage sur l’intensité de la concurrence qui s’est exercée lors de l’appel d’offres. En effet, le dépôt par les deux soumissionnaires de dossiers de candidature distincts, comportant en apparence des offres indépendantes, a nécessairement altéré le libre jeu de la concurrence. Cette situation a induit en erreur le maître d’ouvrage sur le niveau réel de concurrence existant lors de l’appel d’offres, créant ainsi une restriction de concurrence par objet, prohibée en elle-même par l’article L. 420-1 du Code de commerce, sans qu’il soit besoin de démontrer un effet concret sur le marché.

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