Clause de réparation : application immédiate de la loi pénale plus douce

Publié le 
23/6/2025
Clause de réparation : application immédiate de la loi pénale plus douce

Par un arrêt rendu le 11 juin 2025, la Chambre criminelle de la Cour de cassation s’est prononcée sur l’application dans le temps de la loi 2021-1104 du 22 août 2021, dite « loi Climat et résilience », ayant introduit un nouveau régime d’exception au monopole des titulaires de droits sur les dessins et modèles. Cette décision s’inscrit dans le prolongement d’une réforme visant à libéraliser le marché des pièces détachées visibles dans le secteur automobile, au nom d’un intérêt général de durabilité et de réduction des coûts de réparation. Le texte a ainsi inséré, à l'article L. 513-6 du Code de la propriété intellectuelle, l'exception, dite « clause de réparation », selon laquelle les droits conférés par l'enregistrement d'un dessin ou modèle ne s'exercent pas à l'égard d'actes visant à rendre leur apparence initiale à un véhicule à moteur ou à une remorque, au sens de l'article L. 110-1 du Code de la route, et qui portent sur des pièces relatives au vitrage ou sont réalisés par l'équipementier ayant fabriqué la pièce d'origine (art. L. 513-6, 4°, a) et b) CPI).

Les faits : une affaire de contrefaçon de rétroviseurs sur fond de réforme législative

L’affaire prend sa source dans la commercialisation en France de rétroviseurs fabriqués par un groupe espagnol, équipementier automobile de première monte, puis revendus par une filiale française. Les titulaires de droits de propriété intellectuelle – constructeurs automobiles français – ont porté plainte pour contrefaçon de dessins et modèles, de marques, et de droits d’auteur.

En première instance, les prévenus ont été condamnés pour divers chefs d’infraction, et les sociétés titulaires de droits indemnisées. Toutefois, la cour d’appel, saisie sur appel des prévenus et du ministère public, a réformé la décision. Elle a prononcé leur relaxe au motif que la loi du 22 août 2021, instaurant une exception à la protection des pièces visibles fabriquées par l’équipementier d’origine, devait s’appliquer immédiatement. Les titulaires de droits ont alors formé un pourvoi en cassation.

La reconnaissance d’une loi pénale plus douce applicable immédiatement

La question centrale portait sur la nature des dispositions modifiant l’article L. 513-6 du Code de la propriété intellectuelle. Pour les demandeurs au pourvoi, il ne s’agissait pas d’une loi pénale plus douce puisque ni les peines encourues ni la définition du délit de contrefaçon n’avaient été modifiées.

La Cour de cassation rejette cette argumentation. Elle rappelle que la loi de 2021 a restreint le champ d’application de l’infraction en introduisant une cause d’exonération pénale, ce qui constitue une réduction du champ de l’incrimination au sens de l’article 112-1 du Code pénal. En conséquence, ces dispositions s’analysent bien en une loi pénale plus douce, applicable immédiatement, y compris aux faits antérieurs à son entrée en vigueur.

Elle considère également que l’exonération de responsabilité ne bénéficie pas seulement à l’équipementier ayant fabriqué la pièce d’origine, mais aussi aux intermédiaires commerciaux participant à sa distribution. Cette interprétation de la réforme – fondée sur l’objectif de fluidifier le marché des pièces détachées – permet à la Cour d’en déduire que l’ensemble de la chaîne de commercialisation doit être protégée, sans quoi la loi serait vidée de sa portée.

Le contrôle de proportionnalité entre droit de propriété et intérêt général

Les demandeurs soutenaient qu’une application rétroactive de cette réforme porterait une atteinte injustifiée à leur droit de propriété, garanti par l’article 1er du Protocole additionnel à la CEDH. La Cour écarte cet argument en effectuant un contrôle de proportionnalité : l’atteinte portée aux droits privatifs est justifiée par un but légitime, celui de favoriser l’entretien des véhicules et l’économie circulaire, comme l’indique le rapport parlementaire annexé à la loi. Elle est en outre proportionnée, car elle ne supprimerait pas le droit de propriété, mais l’aménagerait dans un secteur déterminé.

En intégrant explicitement la dimension environnementale et économique du texte législatif, la Cour entend se placer dans le sillage de la jurisprudence européenne en matière de droit de propriété, qui admet des limitations dès lors qu’elles sont fondées sur un motif d’intérêt général et qu’elles ménagent un juste équilibre entre les intérêts en présence.

Une décision marquant un tournant dans le droit de la propriété industrielle ?

L’arrêt du 11 juin 2025 consacre l’absence de caractère absolu de la protection des droits des dessins et modèles qui peut être limitée ou aménagée par le législateur lorsque des intérêts collectifs le justifient, notamment en matière de durabilité et de concurrence. La définition extensive du dessin et modèle, qui repose sur l’apparence d’un produit ou d’une partie de produit que lui confèrent ses caractéristiques, a en effet, conduit tant le législateur européen que national, à limiter le champ de la protection aux seuls articles à caractère industriel ou artisanal, mais aussi en cas de produit complexe, aux pièces détachées qui se trouvent, par exemple, sous le capot d'un véhicule, afin de permettre aux équipementiers et fabricants automobiles de copier les pièces d'origine et de proposer des pièces de rechange concurrentes. Les pièces de rechange visibles peuvent, quant à elles, être reproduites par les fabricants indépendants à condition qu'ils paient une rémunération “équitable et raisonnable” au fabricant de la voiture (clause dite de réparation).

La Cour, en qualifiant la réforme de 2021 de loi pénale plus douce, se conforme à sa jurisprudence en la matière. La solution peut, néanmoins, sembler en contradiction avec le Paquet Dessins et modèles du 28 novembre 2022, qui, dans l’objectif de parachever et d’harmoniser le marché unique des pièces de rechange, étend le champ d’application de la « clause de réparation », mais, pour laisser aux professionnels un temps d’adaptation, prévoit qu’elle n'aura vocation à s'appliquer qu'aux dessins ou modèles futurs, la protection des droits existants étant garantie pendant une période transitoire de dix ans.

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