Le DMA, adopté en septembre 2022, a pour objectif de lutter contre les pratiques anticoncurrentielles des grandes plateformes numériques et de corriger les déséquilibres du marché numérique européen. Le règlement prévoit un certain nombre d’obligations et d’interdictions pesant sur les acteurs qualifiés de « contrôleur d’accès ». Une plateforme est qualifiée comme tel dès lors qu’elle répond à plusieurs critères.
En premier lieu, la plateforme doit jouir d’une position économique forte, caractérisée par un chiffre d’affaires d’au moins 7,5 milliards d’euros réalisé dans l’Espace économique européen, ou une capitalisation boursière ou valeur marchande d’au moins 75 milliards d’euros avec une activité dans au moins trois Etats membres. En deuxième lieu, la plateforme doit exercer le contrôle d’un « service de plateforme essentiel » (moteur de recherche, réseau social, messagerie, place de marché en ligne…), utilisé par au moins 45 millions d’Européens par mois et au moins 10 000 professionnels par an dans l’Union. Enfin, la plateforme doit bénéficier d’une position « solide et durable » sur le marché. En ce sens, les deux seuils mentionnés supra doivent avoir été dépassés au cours des trois dernières années.
La nécessité d’une mise en conformité imminente pour Apple
Le DMA est entré en vigueur le 2 mai 2023. Le 6 septembre, la Commission européenne a, sur la base de ces seuils, désigné 22 plateformes concernées par le DMA, appartenant toutes aux géants bien connus du numérique : Alphabet, Amazon, Apple, Bytedance (Tiktok), Meta et Microsoft. En effet, s’ils ne sont pas directement cités, ce sont bien les GAFAM qui sont principalement ciblés par ces nouvelles règles. Depuis leur désignation, ces 22 plateformes ont dû nommer un responsable du respect des règles rattaché à leur conseil d’administration, et doivent informer la Commission de tout projet de fusion ou d’acquisition.
En parallèle, les contrôleurs d’accès ont jusqu’au 6 mars prochain pour démontrer qu’ils respectent les obligations posées par le DMA. Quand bien même l’Union européenne ne représente que 7 % du chiffre d’affaires mondial d’Apple en valeur absolue, comme le soulignait le directeur administratif et financier de la firme, le géant a plus qu’intérêt à se plier au DMA. Et pour cause, les sanctions qu’il encourrait en cas de non-respect ne sont pas négligeables : les entreprises en infraction s’exposent à des amendes pouvant atteindre jusqu’à 20 % de leur chiffre d’affaires mondial en cas de récidive, voire, dans les cas les plus graves, à des mesures de démantèlement.
C’est dans ce cadre qu’Apple a annoncé procéder, à l’occasion de la sortie de son nouveau système d’exploitation iOS 17.4., à des modifications de ses services, pour se conformer aux nouvelles règles européennes.
Des changements annoncés s’agissant de l’App Store, iOS et de Safari
S’agissant de Safari, jusqu’alors le navigateur par défaut associé au système Apple, il ne constituera désormais qu’une option pour les utilisateurs de produits Apple. Avec la nouvelle version de iOS 17.4, un écran de choix apparaitra lors de la première ouverture de Safari, proposant aux utilisateurs de choisir un autre navigateur par défaut parmi les options.
S’agissant d’iOS, la firme de Cupertino va, d’une part, permettre l’utilisation d’autres magasins d’applications que l’App Store. D’autre part, elle offrira la possibilité aux développeurs d’applications iOS de les commercialiser dans des boutiques alternatives. Apple proposera ainsi de nouveaux API (interface de programmation d'application) pour permettre la création de boutiques d’applications alternatives. Sur le papier, cette mesure est destinée à mettre fin au monopole de l’App Store sur la distribution d’applications. Si Apple autorisera ainsi le chargement latéral d’application (ou « side-loading »), la firme de Cupertino imposera toutefois une authentification pour toutes les applications iOS. Apple exigera également des développeurs qu’ils remplissent des fiches d’installation d’applications, des autorisations pour s’assurer qu’ils respectent les exigences d’Apple en matière de sécurité et de protections contre les logiciels malveillants.
Enfin, Apple prévoit de nouvelles API offrant aux développeurs de nouvelles options pour l’utilisation de prestataires de services de paiement, et de traitement des paiements par l’intermédiaire d’un lien sortant. Avec la nouvelle version d’iOS, il ne sera plus forcément nécessaire de procéder au paiement d’une application (iOS, iPadOS, macOS, watchOS, tvOS) au sein de l’App Store, les développeurs pouvant renvoyer vers une boutique en ligne et proposer d’autres moyens de paiement.
Au regard de ces changements, Apple semble vouloir proposer un choix aux développeurs : conserver le système actuel, ou opter pour un nouveau système, permettant d’utiliser d’autres magasins et d’autres plateformes de paiement. Toutefois, ce choix n’est pas sans conséquence pour les développeurs. Les nouvelles conditions commerciales d’Apple prévoient des commissions différentes selon que les achats seront réalisés dans l’App Store ou dans des boutiques d’applications tierces. Par ailleurs, ce choix est irrévocable, ce qui n’est pas pour encourager les développeurs à recourir au nouveau système, encore entouré de quelques incertitudes.
Inscrivez-vous à la newsletter Livv
et recevez chaque semaine des informations exclusives en droit des affaires. En savoir plus
Des nouvelles conditions commerciales, non sans conséquences pour les développeurs
En effet, Apple met en place de nouvelles conditions commerciales, qui devront être acceptées par les développeurs d’applications souhaitant commercialiser des produits dans l’UE : l’entreprise réduit sa commission pour les achats réalisés dans l’App Store à 10 %, contre 30 % actuellement, et à 17% pour les biens et services numériques (or App Store).
En contrepoids de cette réduction des commissions pour les développeurs d’applications, Apple prévoit l’introduction d’une nouvelle taxe, applicable à la fois aux applications provenant de l’App Store et celles provenant de boutiques tierces, sous le nom de « Core Technology Fee ». Cette nouvelle taxe constitue une sorte de droit d’accès à ses terminaux, s’élevant à cinquante centimes par an et par installation, pour les applications dépassant le million de téléchargements. Les modalités de mise en œuvre de cette taxe n’ont toutefois pas encore été précisées.
Des acteurs du marché sceptiques face à ces nouvelles conditions
À en croire Mark Zuckerberg, cette démarche d’Apple provoquera surtout un alourdissement des charges, qui irait à l’encontre de l’esprit du DMA, dont l’objectif était de rendre le marché plus ouvert et plus compétitif. D’autres acteurs du numérique, tels que Microsoft ou encore Spotify partagent cet avis. Si le DMA visait à favoriser la concurrence sur les marchés du numérique, Apple semble faire preuve d’inventivité pour contourner l’esprit du texte, contre lequel elle a émis de nombreuses réserves. Apple n’a, par exemple, cessé d’alerter quant aux dangers de l’arrivée « inévitable » de nouvelles cybermenaces pour les utilisateurs européens, en lien avec les modifications des services, contraintes par le DMA.
Reste à savoir si les modifications opérées par Apple satisferont la Commission, chargée de faire appliquer de manière effective les dispositions du DMA.