AMF : de la communication sans contrôle préalable de documents au cours de l’enquête

Publié le 
6/6/2025
AMF : de la communication sans contrôle préalable de documents au cours de l’enquête

Par un arrêt rendu le 25 mai 2025 (pourvoi n°24-10.054), la Chambre commerciale de la Cour de cassation vérifie la validité du pouvoir des enquêteurs de l’Autorité des marchés financiers (AMF) de se faire communiquer tout document sans contrôle préalable au regard du droit de l’Union.

Recours en annulation de visites et saisies

En l’espèce, un propriétaire de titres d’une société cotée et d’instruments financiers liés a fait l’objet de visites et de saisies à son domicile et à son lieu de travail par les enquêteurs de l’AMF. Ces opérations ont été demandées par l’AMF au soutien de données de connexion obtenues auprès d’opérateurs de services de communication électroniques et relatives à sa ligne téléphonique, celle-ci le soupçonnant de délit et manquements d’initié. Débouté de sa demande en rétractation de l’ordonnance autorisant les opérations et en annulation subséquente des visites et saisies, il a saisi la Cour de cassation.

Il soulève deux arguments au soutien de son pourvoi. Tout d’abord, il considère que le juge des libertés et de la détention a dépassé ses pouvoirs en validant la saisie sans contrôle préalable d’une autre autorité administrative indépendante ou d’une juridiction de ses données de connexion par les enquêteurs de l’AMF. Ensuite, il estime que les sanctions prévues pour les agissements qui lui sont reprochés ne peuvent justifier l’atteinte à un accès aux données litigieuses. Autrement dit, l’autorisation du JLD violerait le principe de limitation de la conservation de ses données par l’Etat et sa vie privée.

L’exigence d’un contrôle de proportionnalité

La Cour rappelle tout d’abord le principe de la contradiction au droit de l’Union de la conservation généralisée et indifférenciée à titre préventif des données de connexion par les opérateurs de services de communications électroniques. Par exception, est autorisée la conservation rapide des données ordonnée par une injonction aux fins de l’élucidation d’une infraction pénale relevant de la criminalité grave. La Cour considère que les demandes adressées par les enquêteurs de l’AMF pour la nécessité d’une enquête portant sur un abus de marché relevant de la criminalité grave valent injonction. Néanmoins, cette faculté des enquêteurs de l’AMF devrait faire l’objet d’un contrôle préalable. Le juge saisi en nullité par le perquisitionné devait donc se livrer à un contrôle de proportionnalité entre les griefs allégués et les éléments de fait justifiant la mesure critiquée. Ce contrôle tient compte non pas de l’ampleur des sanctions prévues pour les faits reprochés, mais de la gravité des faits eux-mêmes. En l’espèce, les actions du perquisitionné liés aux instruments financiers présentaient un caractère objectivement suspect, permettant de justifier des soupçons de délit ou manquement d’initié. L’incidence sur l’intégrité du marché, constituée par le déséquilibre créé entre les investisseurs, est telle que la gravité était bien caractérisée. L’arrêt de la cour d’appel est approuvé et le pourvoi est rejeté.

Des pouvoirs d’enquête étendus

Cette décision met en lumière l’étendue des pouvoirs d’enquête de l’AMF. L’article L. 621-10 du CMF ne leur permet pas seulement de récupérer des données de connexion comme dans l’affaire en cause, mais tout document, quel qu’en soit le support, qui pourrait être nécessaire à l’enquête. S’ajoute à cela un pouvoir de convocation pour audition de toute personne et un accès à des locaux professionnels.

Ces pouvoirs d’enquête ne sont soumis à aucun contrôle préalable. La personne qui fait l’objet de ces opérations ne peut les contester qu’a posteriori, une fois qu’elles ont déjà eu lieu. Le Conseil d’Etat, qui a été saisi de la question du non-respect du contradictoire, a refusé de reconnaître l’application du principe des droits de la défense pendant la phase préalable des enquêtes et contrôles, la limitant seulement à la procédure de sanction ouverte par la notification de griefs (CE 16 mai 2022, no 452191).

L’AMF reste cependant soumise à certaines limites lors de ces opérations. L’enquête se doit d’être loyale pour ne pas compromettre irrémédiablement les droits de la défense (Cass. com., 1er mars 2011, n° 09-71.252). Cette loyauté se traduit pas l’obligation de présenter l’ordre de mission (art. R. 621-34 CMF), par une information préalable sur les auditions (art. L. 621-11 du CMF), et l’envoi d’une lettre circonstanciée aux personnes susceptibles d’être mises en cause, leur permettant de formuler des observations (art. 144-2-1 RG AMF). De plus, si les enquêteurs ont le pouvoir de solliciter la communication de documents, ils ne disposent pas de la possibilité d’obtenir l’exécution forcée pour obtenir la remise de ces documents. Sans cette force exécutoire, la personne recevant la sollicitation a la possibilité de refuser de les remettre.

On peut faire un parallèle avec les pouvoirs d’enquête de l’Autorité de la concurrence (AdlC), tout aussi étendus. Comme pour l’enquête menée par l’AMF, celle de l’AdlC n'est pas soumise au principe du contradictoire, car, selon la Cour de cassation, la recherche de la preuve d'infractions présumées ne préjuge pas de la culpabilité des entreprises. L'enquête préalable ne doit, toutefois, pas compromettre irrémédiablement les droits de la défense. Aussi, les enquêteurs sont-ils soumis à une obligation de loyauté dans la recherche de la preuve. À cette fin, ils doivent clairement informer les entreprises de l'objet de leur enquête. En effet, quel que soit le cadre légal, les personnes interrogées ne peuvent être conduites à faire des déclarations sur la portée desquelles elles se méprendraient et qui pourraient être utilisées contre elles. Enfin, de la même manière, les enquêteurs peuvent, sur autorisation du rapporteur général de l’Autorité de la concurrence ou de l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation, demander l’accès aux données des entreprises conservées et traitées par les opérateurs de télécommunication (art. L. 450-3-3, C. com.).

Flèche en arrière
Retour vers toutes les actualités

Vous souhaitez bénéficier d'une démonstration de la plateforme Livv ?

Dans vos bureaux ou en visio, nos équipes s'adaptent à vos besoins. Vous pouvez également nous contacter via notre formulaire de contact.

Prendre RDV pour une démo

Les dernières actualités du droit des affaires

Tout voir

Vous souhaitez bénéficier d'une démonstration de la plateforme Livv.eu ?

Dans vos bureaux ou en visio, nos équipes s'adaptent à vos besoins.

Accédez à toute l'intelligence du droit des affaires

Inscrivez-vous gratuitement sur Livv et bénéficiez de notre expertise en droit des affaires.‍

Essayer gratuitement Livv
Élément décoratif accompagnant un texte descriptif Livv.

Inscrivez-vous à la newsletter Livv

et recevez chaque semaine des informations exclusives en droit des affaires. En savoir plus