Abus de majorité et restructuration en LBO : la Cour de cassation renforce l’exigence de loyauté financière d’un coup d’accordéon dans le cadre d’une procédure de conciliation homologuée

Publié le 
15/12/2025
Abus de majorité et restructuration en LBO : la Cour de cassation renforce l’exigence de loyauté financière d’un coup d’accordéon dans le cadre d’une procédure de conciliation homologuée

Par un arrêt rendu le 26 novembre 2025, la Chambre commerciale de la Cour de cassation s’est prononcée sur les limites à ne pas franchir lors d’une restructuration de capital opérée au sein d’un groupe acquis dans le cadre d’une opération d’achat à effet de levier (LBO). L’affaire posait la question de l’abus de majorité dans le contexte d’un « coup d’accordéon » fondé sur une présentation contestée de la situation financière de la société. La Haute juridiction rappelle que le respect de l’intérêt social prime, y compris lorsque les décisions sont prises dans le cadre d’une procédure de conciliation homologuée.

Les faits : la mise en place d’un LBO à l’origine du conflit

L’opération trouve son origine dans le rachat, en 2015, d’un groupe de télécommunications par un fonds d’investissement, devenu associé majoritaire, au travers d’une société holding. Ce rachat a été réalisé dans le cadre d’un LBO, c’est-à-dire une opération financière consistant à acquérir une société grâce à une forte proportion de dette, laquelle est ensuite remboursée principalement par les flux de trésorerie générés par la société cible. Ce type de montage repose souvent sur la création d’une holding intermédiaire fortement endettée, au sein de laquelle les investisseurs majoritaires exercent un contrôle accru.

À la clôture des comptes au 31 décembre 2015, une provision de 22 millions d’euros est alors inscrite dans les comptes de la holding, entraînant une situation nette négative. Dans la foulée, un protocole de conciliation est conclu en 2016, sur la base d’une présentation erronée de sa situation financière : il prévoyait la réduction du capital à zéro, suivie de plusieurs augmentations de capital. Cette opération, appelée « coup d’accordéon », classique en période de difficultés financières, a toutefois eu pour effet de faire passer la participation de l’associé minoritaire de près de 18 % à 0,01 %.

Estimant ne pas avoir été informé du passage de la provision ni du projet de restructuration, l’associé minoritaire a engagé en 2020 une action en responsabilité contre le majoritaire et les autres investisseurs financiers.

Saisie du litige, la Cour d’appel de Paris, par un arrêt en date du 4 avril 2024, a jugé que l’opération a été réalisée au détriment du minoritaire et retenu l’existence d’un abus de majorité, condamnant en conséquence l’associé majoritaire à réparer le préjudice subi.

La nécessaire conformité à l’intérêt social de la société de l’opération réalisée dans le cadre d’un protocole de conciliation homologué

Le cœur du débat portait sur la conformité de l’opération à l’intérêt social dans le cadre d’un protocole de conciliation homologué. L’actionnaire majoritaire faisait valoir qu’une opération imposée par un tel protocole devait, par principe, être considérée comme légitime, l’objectif étant la pérennité de la société.

La Cour de cassation rejette clairement cette thèse. Les juges du fond avaient constaté que le protocole avait été négocié sur la base d’une présentation erronée de la situation financière de la holding, liée à une provision d’un montant exceptionnel dont le bien-fondé était discuté. Dans ces conditions, l’opération capitalistique ne poursuivait pas réellement l’intérêt social, mais avait pour effet, et pour objet, de favoriser les associés majoritaires au détriment du minoritaire.

Ainsi, la Cour énonce que lorsqu'un protocole de conciliation prévoyant un coup d’accordéon a été conclu sur le fondement d'une présentation erronée de la situation financière d'une holding, nonobstant l'homologation par le tribunal de ce protocole, l'opération litigieuse, décidée dans le seul dessein de favoriser les majoritaires au détriment des minoritaires, n'est pas conforme à l'intérêt de la société et caractérise un abus de majorité de la société à l'origine de l'opération.

Une solution cohérente avec la jurisprudence antérieure sur l’abus de majorité et le coup d’accordéon

La Cour de cassation admet de longue date la possibilité de recourir à une réduction du capital à zéro suivie d’une augmentation. Dans un arrêt du 10 octobre 2000 (Cass. com, 10 oct. 2000, n° 98-10.236), elle a considéré que ce mécanisme peut parfaitement répondre à l’intérêt social lorsqu’il a pour finalité d’apurer des pertes avérées et de reconstituer les capitaux propres. L’atteinte aux droits des associés n’est alors que la conséquence de la situation financière et demeure licite dès lors que les opérations sont régulières et économiquement justifiées.

La Cour interprète strictement ce principe. Ainsi, dans un arrêt du 7 mai 2019 (Cass. com., 7 mai 2019, n°17-18.785), elle a rappelé que la légalité d’un coup d'accordéon dépend essentiellement de la sincérité des données financières et de la finalité réelle de l’opération. Elle a donc annulé une réduction de capital suivie d’une augmentation lorsque les pertes invoquées n’étaient pas établies et que la restructuration avait pour objectif d’évincer un associé minoritaire.

Dans l’arrêt commenté, la Cour apporte une nouvelle précision : l’existence d’un accord ou d’une procédure préalablement homologuée ne fait pas obstacle au contrôle du juge. Même validée en apparence, l’opération peut constituer un abus de majorité si elle ne répond pas à l’intérêt social.

Ainsi, si la jurisprudence reconnaît la légitimité du coup d'accordéon comme outil de redressement, elle en fait un mécanisme strictement conditionné à la transparence financière, à la loyauté des associés majoritaires et au respect de l’intérêt social.

Un renforcement du contrôle des restructurations dans les montages LBO

En approuvant la condamnation de l’associé majoritaire à plus de 2,5 millions d’euro pour préjudice financier et 300 000 euro au titre du préjudice moral, la Cour de cassation adresse un message clair aux investisseurs contrôlant les structures issues d’un LBO.

L’arrêt implique une vigilance accrue sur trois points :

- La transparence financière : les minoritaires doivent être informés avec sincérité de toute opération affectant la valeur de leurs titres.

- La loyauté des restructurations : un audit réalisé à l’initiative de l’associé majoritaire ne peut servir de base à une dilution importante de la participation des associés minoritaires sans que sa fiabilité et son objectivité soient vérifiées.

- La relativité de l’homologation judiciaire : une procédure de conciliation, même validée par le tribunal, ne confère pas automatiquement un caractère licite à l’opération lorsque l’intérêt social est contourné.

En privilégiant la protection de l’équilibre entre associés, la Cour rappelle en substance que les mécanismes de restructuration propres aux LBO ne peuvent servir de couverture à des stratégies opportunistes au détriment des minoritaires, même en cas de procédure de conciliation homologuée.

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