Amazon en contentieux aux USA et dans l'UE : orage ou averse ?

À l’heure de la convergence annoncée des droits européens et états-uniens de la concurrence, il est intéressant de se pencher sur le traitement qu’ils réservent à la multinationale « titan du commerce du 21ème siècle ». Amazon se trouve être partie à des procédures contentieuses complexes relative à sa position dominante en Europe ou de monopole aux Etats-Unis.

Publié le 
8/1/2024
Amazon en contentieux aux USA et dans l'UE : orage ou averse ?
 

Protection de la concurrence et des marchés d’un côté de l’Atlantique, tolérance à l’égard des positions dominantes et monopoles de l’autre. Tel est le constat contre-intuitif avancé par Thomas Philippon dans un ouvrage au titre évocateur The Great Reversal : How America Gave Up on Free Markets qui a fait grand bruit lors de parution en 2020.

Aux Etats-Unis, cette évolution aurait conduit à des prix plus élevés pour le consommateur, à des salaires plus bas et à plus d’inégalités, moins d’investissement et de croissance. Par contraste, l’Union européenne aurait construit une autorité indépendante de la concurrence et vu la concurrence s’accroître, avec tous les bienfaits qui en résultent.

Depuis l’élection de Joe Biden en 2020, l’approche de l’administration états-unienne en matière de régulation de la concurrence se rapproche désormais de celle des autorités européennes. En témoigne, l’installation le 15 juin 2021 de Lina M. Khan à la tête de la Federal Trade Commission (FTC), championne de la lutte contre les géants d’internet et perçue comme l’ennemie publique numéro 1 d’Amazon. Cette universitaire avait notamment rédigé un article influent intitulé Amazon’s Antitrust Paradox notant que le fait de lier la concurrence au « bien-être du consommateur », défini comme un effet à la baisse à court terme sur les prix, ne permettait pas de prendre adéquatement en compte l’architecture du pouvoir de marché dans l’économie moderne.

Lina M. Khan, Présidente de la Federal Trade Commission

Il est donc particulièrement intéressant, à l’heure de la convergence annoncée des droits européens et états-uniens de la concurrence de se pencher sur le traitement qu’ils réservent à la multinationale « titan du commerce du 21ème siècle ». Or Amazon se trouve être partie à des procédures contentieuses complexes relative à sa position dominante en Europe ou de monopole aux Etats-Unis.


L’action en justice menée par la FTC

Ainsi, le 26 septembre, la FTC et 17 procureurs généraux d'État ont intenté une action en justice contre Amazon.com, Inc., alléguant que la société de technologie et de vente au détail en ligne est en situation de monopole et utilise un ensemble de stratégies anticoncurrentielles et déloyales interdépendantes pour maintenir illégalement son pouvoir de monopole.

Selon la plainte, le comportement anticoncurrentiel d'Amazon s'exerce sur deux marchés : le « superstore market » en ligne qui sert les consommateurs et le marché des « marketplace services » achetés par les vendeurs.

La FTC et les procureurs affirment que les actions d'Amazon lui permettent :

  • d’empêcher ses rivaux et ses vendeurs de baisser leurs prix,
  • de dégrader la qualité pour les acheteurs,
  • de surfacturer les vendeurs,
  • d'étouffer l'innovation et
  • d'empêcher ses rivaux de lui livrer une concurrence loyale.

La plainte est appelée à avoir un impact considérable tant du fait de l’ampleur des activités d’Amazon que des griefs reprochés.

Selon John Newman, directeur adjoint du bureau de la concurrence de la FTC « rarement dans l’histoire de la législation antitrust, une affaire n’a eu le potentiel de faire autant de bien à autant de personnes », tandis que chez Amazon l’on fait valoir que si la FTC obtient gain de cause il en résultera un choix réduit de produits, des prix plus élevés, des livraisons plus lentes pour les consommateurs et des options réduites pour les petites entreprises, ce qui va à l’encontre de l’objectif de la législation antitrust.

John Newman, Directeur adjoint du bureau de la concurrence de la FTC

Le contentieux européen sur l’application du DSA

Au sein de l’Union européenne, le contentieux en cours, pour être d’une nature différente, n’est pas de moindre importance. En effet, Amazon entend se soustraire aux nouvelles obligations liées à l’entrée en application du Digital Service Act (DSA) le 25 août 2023.

Le 25 avril 2023, la Commission a désigné Amazon comme étant une « très grande plateforme en ligne » possédant un nombre moyen mensuel de bénéficiaires actifs du service au sein de l’Union européenne égal ou supérieur à 45 millions. Une telle qualification est de nature à créer un certain nombre d’obligations nouvelles pour Amazon :

  • La première est l’obligation de proposer au moins une option pour chacun de ses systèmes de recommandation qui ne repose pas sur du profilage (Article 38, DSA).
  • La seconde est de tenir et mettre à disposition du public, dans une section spécifique de leur interface en ligne, une liste des publicités diffusées sur le site, avec de très nombreux détails dont :

« a) le contenu de la publicité, y compris le nom du produit, du service ou de la marque, ainsi que l’objet de la publicité;

b) la personne physique ou morale pour le compte de laquelle la publicité est présentée;

c) la personne physique ou morale qui a payé la publicité, si cette personne est différente de celle visée au point b);

d) la période au cours de laquelle la publicité a été présentée;

e) le fait que la publicité était ou non destinée à être présentée spécifiquement à un ou plusieurs groupes particuliers de destinataires du service et, dans l’affirmative, les principaux paramètres utilisés à cette fin, y compris, s’il y a lieu, les principaux paramètres utilisés pour exclure un ou plusieurs de ces groupes particuliers;

f) les communications commerciales publiées sur les très grandes plateformes en ligne et déterminées en vertu de l’article 26, paragraphe 2;

g) le nombre total de destinataires du service atteint et, le cas échéant, les nombres totaux ventilés par État membre pour le ou les groupes de destinataires que la publicité ciblait spécifiquement » (article 39, TSA).

Amazon a introduit un recours le 5 juillet 2023 tendant à l’annulation de la décision de la Commission, ainsi qu’une demande de mesures provisoires le lendemain.

Le Tribunal général de l’UE a fait droit a cette demande par une ordonnance du Président le 27 septembre 2023 en suspendant l’obligation de publication du référentiel publicitaire sans préjudice de l’obligation pour le demandeur de le constituer.

Afin de démontrer que la décision attaquée est, à première vue, illégale, Amazon a fait valoir que l’article 39 du règlement 2022/2065 viole le principe d’égalité de traitement et constitue une restriction disproportionnée aux droits de la requérante au titre des article 7 (Respect de la vie privée et familiale), article 16 (Liberté d’entreprendre) et article 17 (Droit de propriété) de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Le Tribunal a considéré que la condition relative au fumus boni juris était remplie dès lors que les informations à rendre publiques relevaient d’informations stratégiques confidentielles qui ne sont pas encore rendues publiques. Le Tribunal a donc considéré qu’ « afin de conserver l’effet pratique d’un arrêt annulant la décision attaquée, le requérant doit être en mesure d’empêcher la divulgation illégale des informations » (par. 82).

Si cette décision est une victoire indéniable pour Amazon, il faut prendre garde à ne pas la surinterpréter, puisqu’elle ne préjuge en rien de la décision du Tribunal dans le recours au principal.


L’ensemble de ces contentieux à l’égard d’un acteur au pouvoir de marché sans commune mesure, illustrent parfaitement les différents dilemmes auxquels est confronté le droit de la concurrence. Tandis que la plainte du FTC et la défense d’Amazon reposent la question classique de savoir si l’objectif du droit de la concurrence est de protéger le marché ou de réduire les prix pour les consommateurs – si tant est que l’on puisse poursuivre ces objectifs séparément-, l’ordonnance européenne rappelle qu’en dépit des objectifs poursuivis, les entreprises ont droit à la protection et au respect de certains droits garantis. Le rapprochement souhaitable des droits ne change rien à ces tensions fondamentales.

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