Diffusée depuis le 15 mars 2024 sur la version indienne de la plateforme de streaming Disney+ (via Hotstar), la seconde saison de la série « Save The Tigers » a vu son générique créditer ChatGPT. L’IA apparaît sous la rubrique « musique » comme « membre de l’équipe musicale ». Le rôle de ChatGPT est même précisé :
« paroles de la chanson dans la boîte de nuit ».
En revanche, le chant du morceau et les autres créations musicales sont entièrement crédités à des humains.
Un tournant dans l’utilisation de l’IA et les droits d’auteurs ?
Cette mention marque un tournant dans l’utilisation et la reconnaissance des outils d’IA générative. Disney avait déjà utilisé la création d’OpenAI pour la génération d’images Midjourney pour le générique de la série Marvel « Secret Invasion ». Pour l’entreprise Method Studios, il s'agissait de « s'inscrire dans le thème général du projet et dans l'esthétique recherchée », ce qui aurait demandé « un effort démentiel » sans l’IA.
De même, la série animée américaine South Park avait aussi laissé ChatGPT terminer le scénario, dans le cadre du quatrième épisode de la 26e saison, centré sur l'utilisation de l'intelligence artificielle générative. Le but de la démarche était justement de démontrer, par l’absurde, que la technologie n’était pas encore assez avancée pour remplacer l’humain et créer une histoire cohérente.
Mais c’est bien la première fois qu’un robot est crédité dans une œuvre en live-action (prise de vue réelle).
Un choix qui ne fait pas l’unanimité
Disney s’était attiré les foudres des professionnels de la création musicale et cinématographique qui l’accusaient d’avoir volontairement renoncé à payer des professionnels pour faire des économies, lors de l’utilisation de ChatGPT pour la série « Secret Invasion ». Une telle pratique traduisait à leurs yeux la remise en question de l’existence même de la création humaine des musiciens dans les futures productions.
Bien que Disney ait démenti avoir remplacé l’humain par ChatGPT mais l’avoir simplement utilisé de façon complémentaire, nombreux sont les artistes qui s’inquiètent de la place que prend peu à peu l’IA et la voient comme une double menace :
- celle de se faire piller leurs créations pour l’apprentissage des IA, et
- celle de finir par se faire définitivement remplacer par ces dernières.
L’utilisation et la prolifération de l’intelligence artificielle générative avait notamment été un des points justifiant la grève des acteurs et scénaristes à Hollywood qui avait duré près cinq mois en 2023.
Le mouvement avait pris fin après la conclusion d'un accord, en particulier avec Disney et Netflix, qui incluait des mesures de protection contre l'intelligence artificielle, telles que l'interdiction pour les studios de "former" une IA à partir de scripts de scénaristes syndiqués.
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Que dit le droit dans tout ça ?
En France, le droit d’auteur est empreint d’une logique humaniste. L’auteur est une personne physique qui imprègne son œuvre de sa personnalité et lui donne un caractère unique, faisant de la création humaine un objet de propriété intellectuelle.
L’article L. 111-1 du code de propriété intellectuelle indique à ce titre que :
« L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial ».
Le code énumère une liste d’œuvres protégées, mais cette liste n’est pas exhaustive, la protection pouvant s’étendre à toutes les créations de l’esprit.
La question des créations générées par l’IA vient peu à peu se poser en droit de la propriété intellectuelle.
Les droits d’auteur et l’IA dans le monde
À titre d’exemple, le 11 octobre 2023, le tribunal municipal de Prague a rendu une décision concernant l'éligibilité des contenus générés par une IA au titre du droit d'auteur. Une telle décision est une première en Europe.
Le demandeur avait intenté une action afin de revendiquer la paternité d’une image produite par une IA.
Le tribunal a rejeté sa demande, soulignant le manque de preuves de sa contribution à la création de l'image, et en énonçant qu'une image produite par une IA ne constitue pas une œuvre de l'esprit et ne peut donc pas être protégée par le droit d'auteur. La décision met l'accent sur la nécessité de prouver une intervention humaine significative dans la création d'œuvres assistées par IA pour bénéficier de la protection du droit d'auteur.
Une telle solution rejoint ainsi la décision U.S. Copyright Office en 2022 où un tribunal du district de Colombia a refusé de protéger une création générée par une IA.
A contrario, la Chine adopte une position un peu différente dans une décision rendue par la Beijing Internet Court, en considérant qu’une création générée par une IA peut être protégée si elle reflète le travail indépendant et l’expression de la personnalité de l’auteur humain.
Quel avenir pour les créations de l’IA ?
Actuellement, la tendance semble donc être davantage à l’exclusion de la protection du droit d’auteur pour les créations réalisées par l’intelligence artificielle, mais ces affaires illustrent les défis juridiques liés à la reconnaissance des créations assistées par IA et souligne l'importance de futures décisions judiciaires en Europe et dans le monde pour clarifier cette question.