De la déchéance de marque pour défaut d'usage sérieux

Le 14 mai 2025, la Cour de cassation a rendu deux arrêts d’importance en matière de déchéance de marque pour défaut d’usage sérieux. L’un concernait l’exploitation de la marque « G7 » pour des services de transport (n° 23-21.296), l’autre celle de la marque « Skin’Up » pour des produits cosmétiques et des huiles essentielles (n° 23-21.866). Ces deux arrêts, quoique de manière différente, apprécient dans quelle mesure l'usage pour une sous-catégorie constitue un usage sérieux de la marque qui justifierait d'écarter la déchéance.

Publié le 
26/5/2025
De la déchéance de marque pour défaut d'usage sérieux

Arrêt G7 : l’usage pour des taxis suffit-il à caractériser un usage pour le transport ?

Dans l’affaire opposant les sociétés G7 au Groupe Rousselet, les premières ont sollicité la déchéance partielle de la marque « G7 », enregistrée pour désigner les services de «transport », au motif que cette marque n’avait été exploitée que pour des services de taxi, et non pour d’autres services relevant du champ du transport de voyageurs.

En appel, la cour avait estimé que la preuve de l’usage pour les services de taxi suffisait à préserver la marque dans son intégralité, au titre des services de transport. La Cour de cassation censure cette approche.

Se fondant sur les articles L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle (dans sa version antérieure à celle issue de l’ordonnance du 13 novembre 2019) et sur l’interprétation donnée par la Cour de justice, notamment dans l’arrêt Ferrari du 22 octobre 2020 (C-720/18 et C-721/18), la Haute juridiction rappelle que lorsque le titulaire d’une marque n’apporte la preuve d’un usage que pour une activité spécifique — ici, le service de taxis — alors que la marque est enregistrée pour une catégorie plus large — ici, le transport de voyageurs — le juge doit impérativement se demander si cette activité ne forme pas une sous-catégorie autonome.

Si tel est le cas, l’usage ne peut valoir que pour cette sous-catégorie et la marque doit être déchue pour les autres services qui ne sont pas couverts par un usage prouvé.

L’intérêt principal de l'arrêt réside dans l’exigence adressée au juge de ne pas se contenter d’une correspondance de termes généraux entre les services effectivement exploités et ceux visés à l’enregistrement. L’usage sérieux de la marque doit s’apprécier au regard de la réalité concrète de l’exploitation et suppose une mise en relation entre les produits ou services utilisés et ceux mentionnés au dépôt, en tenant compte notamment de leur finalité et de leur destination.

La Cour va jusqu’à préciser que cette analyse des sous-catégories doit être effectuée même si le titulaire n’a pas lui-même procédé à cette distinction au moment de l’enregistrement de sa marque, ni au cours de l’instance. Autrement dit, le juge ne peut valider l’usage sérieux sur toute une catégorie de services sur la seule base d’un usage partiel, sauf à caractériser l’indivisibilité objective de la catégorie.

Arrêt Skin’Up  : il faut distinguer pour l’usage de la marque entre composant utilisé et produit exploité

L’affaire Skin’Up offre une déclinaison plus complexe de ces principes, cette fois dans le domaine des produits, avec une marque enregistrée pour une large gamme de produits cosmétiques, incluant notamment les « huiles essentielles » et les « cosmétiques ». La société Skin’Up commercialise des cosméto-textiles amincissants, c’est-à-dire des vêtements contenant dans leurs fibres des substances actives telles que des huiles essentielles, et accompagnés de brumes amincissantes.

La demanderesse, Univers Pharmacie, sollicite la déchéance de la marque pour les produits précités, au motif que Skin’Up ne justifie pas d’un usage sérieux pour les huiles essentielles en tant que telles, ni pour les cosmétiques autres que les cosméto-textiles.

La Cour d’appel de Colmar a néanmoins rejeté cette demande, considérant que l’incorporation des huiles essentielles dans les cosméto-textiles et la brume permet de caractériser un usage de la marque pour les huiles essentielles et que ces produits entrent bien dans la catégorie des cosmétiques.

La Cour de cassation censure cette approche en deux temps.

D’une part, elle estime que la seule présence d’huiles essentielles dans la composition de produits cosmétiques ne suffit pas à caractériser un usage de la marque pour les «huiles essentielles» elles-mêmes. L’usage d’un composant au sein d’un produit fini ne saurait être assimilé à l’exploitation de ce composant en tant que produit autonome.

D’autre part, la Cour reproche à la cour d’appel de ne pas avoir vérifié si les produits effectivement commercialisés — à savoir les cosméto-textiles— ne constituent pas une sous-catégorie autonome au sein de la catégorie plus large des cosmétiques. Elle rappelle expressément les critères dégagés par la Cour de justice dans l’affaire Ferrari, selon lesquels la finalité et la destination du produit sont déterminants pour caractériser l’autonomie d’une sous-catégorie.

En l’espèce, les seuls produits pour lesquels un usage était prouvé étaient destinés à mincir par le port de vêtements imbibés de substances actives. Il incombait donc au juge d’apprécier si ces caractéristiques ne les distinguaient pas de manière suffisamment nette d’autres produits cosmétiques pour constituer une sous-catégorie cohérente, et si la marque devait en conséquence être déchue pour les autres produits enregistrés.

Ce second arrêt présente un double intérêt : il précise, en premier lieu, que l’analyse du défaut d’usage ne se fait pas uniquement en regard de la désignation enregistrée, mais aussi du contenu réel des produits mis sur le marché et retient, en second lieu, que l’utilisation indirecte d’un ingrédient (tel qu’une huile essentielle) ne saurait suffire à échapper à la déchéance pour ce produit si celui-ci n’est pas commercialisé sous la marque en tant que tel.

Attention à la cohérence entre stratégie de dépôt et pratique commerciale

L’ensemble de ces décisions s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle exigeante à l’égard des titulaires de marques, qui ne peuvent revendiquer une protection étendue sans prouver une exploitation effective, précise et conforme à la finalité du dépôt.

Elles traduisent la volonté de la Cour de cassation, dans le sillage de la jurisprudence européenne, d’encadrer les enregistrements de marques « surdimensionnés », c’est-à-dire désignant des produits ou services au champ trop large, sans exploitation réelle. Ces décisions encouragent ainsi les praticiens à une plus grande rigueur au stade de la stratégie de dépôt et à une vigilance particulière dans la gestion de leur portefeuille de marques, au risque de voir leur titre partiellement ou totalement déchu.

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