Déplafonnement du loyer commercial : les baux tacitement prolongés échappent au lissage

Publié le 
1/12/2025
Déplafonnement du loyer commercial : les baux tacitement prolongés échappent au lissage

Cass. 3e civ., 16 octobre 2025 n° 23-23.834

L’arrêt rendu par la troisième Chambre civile de la Cour de cassation le 16 octobre 2025, s’inscrit dans la ligne de la jurisprudence relative au régime du loyer renouvelé du bail commercial, et particulièrement au mécanisme de déplafonnement, prévu par l’article L. 145-34 du Code de commerce. Le loyer du bail renouvelé est en principe soumis à la règle du plafonnement : sauf exception, le loyer ne peut pas s’écarter de la variation d’un indice de référence. Mais ce principe connaît des dérogations, précisément pour permettre aux bailleurs de faire évoluer le loyer vers la « valeur locative » du marché quand certaines conditions sont réunies.

En l’espèce, le loyer d’un bail renouvelé à compter du 1er octobre 2014 a été déplafonné en raison de la durée du bail expiré, supérieure à douze ans, par l'effet de la tacite prolongation. La bailleresse a assigné la locataire en paiement d’une provision pour les loyers et intérêts dus. Cette dernière a alors demandé l’application de l’étalement de la hausse du loyer qui résulte du déplafonnement, de sorte que les augmentations du loyer ne soient pas supérieures à 10 % du loyer acquitté pendant l’année précédente. Déboutée en appel, la locataire se pourvoit en cassation arguant que le lissage du déplafonnement doit être appliqué dans toutes les hypothèses de déplafonnement du loyer.

La Cour de cassation, dans le strict respect de la lettre des dispositions de l’article L. 145-34 du Code de commerce, rejette le pourvoi, distinguant entre les baux initialement conclus pour une durée supérieure à neuf ans et les baux initialement conclus pour neuf ans, dont la durée a fini par dépasser douze ans du fait d’une tacite prolongation.

1. Les hypothèses de déplafonnement du loyer

Trois hypothèses de déplafonnement de loyer sont prévues par l’article L. 145-34 du Code de commerce.

Aux termes du premier alinéa, le plafonnement a lieu « à moins d’une modification notable » de quatre parmi les cinq éléments pris en compte pour déterminer la valeur locative listés à l’article L. 145-33, à savoir : les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties et les facteurs locaux de commercialité. Un contentieux abondant existe notamment sur ce qui constitue une « modification notable » des éléments constitutifs de la valeur locative, mais cette hypothèse de déplafonnement n’a pas posé de difficulté en l’espèce.

Selon la deuxième hypothèse de déplafonnement, mentionnée par les premier et dernier alinéas de l’article L. 145-34, une « clause du contrat relative à la durée du bail » peut faire échec aux règles de plafonnement, ces règles étant applicables aux baux dont la « durée n’est pas supérieure à neuf ans ». Ainsi, lorsque le bail contient une clause stipulant une durée qui excède neuf ans, le loyer est déplafonné, y compris en cas de prorogation intervenue en cours de bail (Civ 3e, 13 novembre 1997, n° 95-18.017).

La troisième hypothèse de déplafonnement, qui résulte du troisième alinéa de l’article L. 145-34, prévoit le cas où la durée du contrat initialement conclu pour neuf ans excède douze ans par l’effet d’une tacite prolongation, ce qui était le cas en l’espèce. En effet, en l’absence de toute stipulation, le bail commercial dont l’exécution est maintenue par les parties au-delà de son terme est tacitement « prolongé », un même contrat continuant d'être exécuté. Toutefois, l’hypothèse d’un bail tacitement prolongé au-delà de neuf ans, sans atteindre douze ans, doit être distinguée de celle de la prorogation intervenue en cours du bail par laquelle les parties s’accordent pour modifier la clause de durée initialement stipulée.  

2.     Un lissage à géométrie variable : la restriction posée par la loi

Le dernier alinéa de l’article L. 145-34, introduit par la loi Pinel en 2014, constitue le dispositif de « lissage » du déplafonnement invoqué par la demanderesse au pourvoi, qui interdit que la variation du loyer découlant du déplafonnement conduise à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente.

Toutefois, c’est la difficulté que règle cet arrêt, à la lecture stricte du texte, ce dispositif n’est réservé qu’à deux hypothèses de déplafonnement. En effet,  l’article L. 145-34 précise que l’augmentation annuelle de loyer est limitée à 10 % en cas de « modification notable » des éléments constitutifs de la valeur locative, « ou s'il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d'une clause du contrat relative à la durée du bail ». Ainsi, puisqu'il évoque une « clause » relative à la durée, stricto sensu, l’hypothèse de déplafonnement consécutif à une tacite prolongation n’est pas concernée.

Cette interprétation, respectueuse de la lettre du texte, interroge quant à la différence de régimes qui en résulte. En revenant sur la genèse du dispositif, la loi Pinel de 2014 est une loi se voulant protectrice des preneurs à bail, cherchant notamment à équilibrer les relations entre bailleurs et preneurs dans le cadre d’une maîtrise de la hausse des loyers.

Vouloir protéger les commerçants contre une augmentation brutale de leur loyer est légitime et louable. Pourquoi réserver ce dispositif aux loyers dont le déplafonnement provient d’une clause contractuelle relative à la durée, et ne pas l'étendre à ceux dont le déplafonnement résulte d’une tacite prolongation ? Cette différence de traitement paraît d’autant plus incompréhensible que la protection est encore plus nécessaire dans le cas d’une tacite prolongation : une clause de durée suppose un accord exprès, le commerçant étant conscient de sa renonciation au dispositif protecteur qu’est le plafonnement, alors qu’une tacite prolongation, par définition silencieuse, peut être le fruit d’une inaction du bailleur, et ne reflète pas nécessairement un choix actif ni une prise de conscience claire de la part du preneur.

3.     En pratique

Le preneur devra veiller à ne pas laisser son bail se prolonger tacitement au-delà de douze ans puisqu’il perdra non seulement le bénéfice de la règle du plafonnement, mais également celui de l’étalement de la hausse du loyer consécutive au déplafonnement.

La Cour de cassation s’était montrée plus clémente à ce sujet par le passé, en décidant que si le congé avec offre de renouvellement délivré par le bailleur en cours de tacite reconduction ne fait pas obstacle à la demande postérieure formée par le preneur sur le fondement de l'article L. 145-10 du Code de commerce, le loyer du bail renouvelé doit être plafonné lorsque la durée de l'ancien bail n’a pas excédé douze ans (Cass. 3e civ., 1 octobre 1997, n° 95-21.806).

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