Greenwashing : l’entreprise TotalEnergies condamnée pour pratiques commerciales trompeuses

Publié le 
1/12/2025
Greenwashing : l’entreprise TotalEnergies condamnée pour pratiques commerciales trompeuses
Dans un jugement très attendu du 23 octobre 2025 (TJ Paris, 34e ch., n° 22/02955), le Tribunal judiciaire de Paris a condamné plusieurs sociétés du groupe TotalEnergies pour pratiques commerciales trompeuses, tout en rejetant les demandes fondées sur le préjudice écologique.

À l'occasion de son changement de nom en mai 2021, le groupe TotalEnergies a déployé une vaste campagne de communication axée sur son ambition de neutralité carbone à l'horizon 2050 et son rôle d'acteur majeur de la transition énergétique. Estimant que cette présentation induisait le consommateur en erreur au regard de la poursuite des investissements du groupe dans les énergies fossiles, trois associations (Greenpeace France, Les Amis de la Terre France, Notre Affaire à Tous) ont assigné les sociétés du groupe devant le Tribunal judiciaire de Paris en réparation du préjudice subi du fait de pratiques commerciales trompeuses et de l’atteinte à l’environnement.

1. La sanction des allégations trompeuses de « neutralité carbone »

Le tribunal judiciaire adopte une interprétation rigoureuse du caractère trompeur des communications du groupe en matière d’engagements climatiques en sanctionnant l'utilisation d'allégations d’« ambition neutralité carbone d'ici 2050 » ou d’« acteur majeur de la transition énergétique » alors qu’elles ne reflètent pas la stratégie réelle de l'entreprise.

Pour rappel, les articles L. 121-2 et L. 121-3 du Code de la consommation sanctionnent les pratiques commerciales trompeuses, notamment par omission. Depuis la loi « Climat et Résilience » du 22 août 2021, l'impact environnemental est explicitement listé comme une caractéristique du bien ou du service sur laquelle il est interdit de tromper le consommateur.

En l’espèce, le tribunal judiciaire, pour retenir la qualification de pratique commerciale trompeuse par omission, relève une contradiction fondamentale, que l'entreprise n'a pas clarifiée auprès du consommateur, ainsi que le décalage entre les investissements du groupe et les standards scientifiques. En effet, le groupe Total communiquait sur une ambition de neutralité carbone au sens de l'Accord de Paris. Or, là où les travaux du GIEC et de l'AIE (Agence internationale de l'énergie) préconisent une réduction drastique des énergies fossiles et l'arrêt des nouveaux investissements pétro-gaziers pour atteindre cet objectif, l’entreprise a suivi son propre scénario en investissant dans de nouveaux projets pétroliers et gaziers. Le tribunal retient encore l’omission d’informations substantielles pour le consommateur : l'entreprise s’est contentée de faire une communication générale sur ses ambitions de neutralité carbone sans informer réellement le consommateur sur les mesures concrètes qu’elle envisageait de prendre et sans préciser qu’elle continuerait, malgré cet objectif affiché de neutralité carbone, à investir massivement dans les projets pétroliers et gaziers. Le juge en déduit que le groupe « a délibérément fait état d'une allégation environnementale de nature à induire en erreur le consommateur ».

Le tribunal sanctionne en particulier le fait de ne pas avoir informé le consommateur de cette divergence méthodologique : le groupe a laissé croire au consommateur « qu’en achetant ses produits ou ses services, il participait à l’émergence d'une économie à faible intensité carbone, en suivant les recommandations de la communauté scientifique », alors que la stratégie de l'entreprise suivait une trajectoire différente. C'est cette « affirmation générale constitutive d'une omission trompeuse » qui est au fondement de la condamnation.

2. Préjudice moral des associations : la reconnaissance d'une atteinte à l'intérêt collectif

Le tribunal relève que les associations requérantes ont pour objet statutaire la protection de la nature et de l'environnement, et non la défense des consommateurs. Pourtant, le juge retient la recevabilité de leur action sur le terrain du droit de la consommation, dans la mesure où ces pratiques induisent le consommateur en erreur sur la réalité des pratiques de l’entreprise, qui nuisent à la cause écologique elle-même, et donc aux intérêts collectifs défendus par les associations. Autrement dit, la pratique du groupe porte atteinte à l'objectif global de protection de l'environnement que les associations requérantes ont pour mission de défendre.

Le jugement confirme ainsi l'efficacité de l'action associative environnementale sur le terrain des pratiques commerciales, une approche déjà validée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation (Cass. crim., 1er oct. 2024, n° 23-81.328 et n° 23-81.330), qui a considéré que l'article L. 142-2 du Code de l'environnement, qui définit de façon limitative les catégories d'infractions pour lesquelles les associations agréées pour la défense de l'environnement ne peuvent se constituer partie civile, englobe les pratiques commerciales et les publicités trompeuses ou de nature à induire en erreur quand ces pratiques et publicités comportent des indications environnementales.

En l'espèce, le tribunal condamne solidairement les sociétés du groupe Total à verser 8 000 euro à chaque association requérante, soulignant que le non-respect de la loyauté commerciale en matière environnementale génère un préjudice distinct, indépendant de tout dommage écologique matériel.

3. Préjudice écologique : l'exigence stricte d'un lien de causalité

Contrairement aux demandes fondées sur les pratiques commerciales trompeuses, le tribunal ne fait pas droit à cette demande des associations et fait preuve d'une grande rigueur dans l'appréciation de l’atteinte à l'atmosphère, aux termes de l’article 1246 du Code civil.

Les associations soutenaient que la promotion du gaz fossile et des agrocarburants encourage leur consommation et, in fine, aggrave le changement climatique. Le tribunal rejette cette analyse en raison de l'absence de preuve d'un lien de causalité.

Le jugement pose deux limites à la responsabilité de l'entreprise sur ce fondement :

• La nature des communications : le tribunal note que certaines communications relèvent de l'information institutionnelle ou financière sans « lien direct avec la vente des énergies du groupe aux consommateurs ».

• L'absence de preuve de l'impact comportemental : le juge considère que n'est « pas suffisamment établie [...] la preuve de leur influence sur le comportement du consommateur, dans ses actes d'achat d'énergie de nature à entraîner une atteinte sur l'atmosphère ».

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