La Cour de cassation apporte des précisions sur la rupture de relations commerciales établies

Par une série de décisions rendues le 19 mars 2025, la Cour de cassation a livré plusieurs enseignements en matière de rupture brutale des relations commerciales établies.

Publié le 
31/3/2025
La Cour de cassation apporte des précisions sur la rupture de relations commerciales établies

Dans le premier arrêt (Cass. com., 19 mars 2025, n°23-22.182), la société Chevignon, qui exerce une activité de commerce d'habillement et d'accessoires sous les marques « Charles Chevignon »et « Chevignon » dont elle est propriétaire a concédé à la société L'Amy, une licence exclusive de fabrication et de vente de produits divers sous ses marques. La relation débute en 1991 et se poursuit aux termes de contrats successifs systématiquement renouvelés. Le dernier contrat

stipule que chaque partie peut y mettre fin de manière anticipée et sans pénalité, à condition de notifier à l'autre partie, avant une date butoir, sa volonté de rompre l’accord. Le 28 août 2019, la société Chevignon notifie à son cocontractant la rupture du contrat de licence à compter du 31 décembre 2019. S’estimant lésée du fait de l’insuffisance du préavis accordé, la société L’Amy assigne son ancien cocontractant en réparation de son préjudice. 

Dans le second (Cass. com., 19 mars 2025, n° 23-23.507),la société Decathlon, qui distribuait des produits pour le compte de la société Sport Elec depuis vingt-trois ans, l’informe tout d’abord le 27 juin 2017 d’une réduction de ses achats de 15% pour l’année à venir, avant de lui notifier, le26 janvier 2018 la rupture de leur relation à compter du 1er janvier2021, avec une diminution progressive de la valeur de ses achats à partir de2018 jusqu’en 2020, terme de la relation. La société Sport Elec assigne alors la société Decathlon en réparation du préjudice causé par la rupture brutale de la relation commerciale établie.

En réponse aux pourvois, la Cour de cassation apportedes précisions importantes sur la notion de relations établies et de préavisraisonnable.

Traditionnellement, la jurisprudence retient que la relation commerciale établie implique un « caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable d’un courant d’affaires »[1]entre la société se prétendant victime d’une rupture brutale et l’auteur de la rupture, « qui pouvait lui laisser raisonnablement anticiper pour l’avenir une certaine continuité du flux d’affaires avec son partenaire commercial »[2]. Les juges s’appuient sur une multitude de critères tels que la durée de la relation, l’importance du chiffre d’affaires réalisé et la continuité et stabilité de la relation. En outre, ils ont déjà caractérisé une relation commerciale établie même en l’absence de contrat et sans obligation d’achat[3].Dans la première affaire, la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir estimé que si l'absence de clause de renouvellement tacite stipulée dans des contrats à durée déterminée successifs constitue un facteur d'instabilité de la relation commerciale, la reconduction systématique des conventions à des conditions globalement identiques et sans mise en concurrence pendant vingt-huit ans permettait à la société L’Amy d'anticiper raisonnablement la poursuite de la relation.

Sur la question du préavis, la jurisprudence impose l’expression d’une intention claire de rompre la relation commerciale, qui passe nécessairement par une notification écrite[4].Elle requiert également que le préavis soit d’une durée suffisante, c’est-à-dire que le délai de préavis permette à la victime de la rupture de se réorganiser[5].Enfin, le préavis doit être effectif c’est-à-dire être « totalement exécuté dans les formes antérieures »[6]et de manière loyale[7].

Dans la première affaire, la chambre commerciale confirme l’arrêt d’appel quant à l’absence de préavis effectif et suffisant. En effet, le préavis doit permettre à la société victime de disposer du temps nécessaire à la réorganisation de son activité. Or, la société L'Amy a été, durant cette période, soumise à d'importantes restrictions, notamment l'interdiction de la poursuite de la fabrication et l'obligation de vendre la totalité du stock dans les six mois de la rupture. La Cour retient donc logiquement que la clause post contractuelle traitant de l’écoulement des stocks ne doit pas être imputée sur la durée du préavis ou dans le calcul des dommages-intérêts.

[1] Cour d’appel de Paris, 19 avril 2017, n°15/21937.

[2] Ibid., note 1.

[3] Cour d’appel de Paris, 24 mai 2017, n° 14/22435, CSC/UK.

[4] Cour d’appel de Paris, 29 mars 2017, n°14/16043, Sobac / Graines Loras.

[5] Cour d’appel de Paris, 19 avril 2017, n°16/02308, Itaca Europe / Valorex.

[6] Com., 10 février 2015, n°13-26.414,Seco Tools France.

[7] Cass.com., 21 mars 2018, n°16-17146.

Dans la seconde affaire, la société Decathlon avait diminué son volume d’achat de 15% par rapport à l’année précédente. Elle a ensuite informé son partenaire, Sport Elec, de la fin de leur relation commerciale début 2018, avant de continuer de réduire la valeur de ses achats en 2019 et2020. Par conséquent, un préavis de trente-cinq mois a été accordé à Sport Elec.

En application de la jurisprudence traditionnelle, le juge du fond aurait pu appliquer strictement le principe selon lequel le préavis doit être exécuté sans modification substantielle pendant toute sa durée mais la cour d’appel considère, au contraire, qu’au vu de la relation commerciale de vingt-trois ans, de l’absence d’exclusivité, de la part de chiffre d’affaires non excessive (24%), de l’absence d’investissement particulier de la victime de la rupture ainsi que de la durée du préavis classiquement stipulée entre parties dans une situation semblable (dix mois),le préavis de trente-cinq mois remplissait toutes les exigences légales et que Decathlon était fondé à ne pas maintenir les mêmes conditions au-delà de la première année d’exécution du préavis. 

La Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel[1].L’auteur de la rupture peut diminuer son volume d’achat au point de modifier substantiellement les conditions de la relation, dans la mesure où le préavis est particulièrement long et que les conditions originelles sont maintenues durant un délai suffisant.

[1] « En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a souverainement retenu que, pour la première année de préavis, la relation commerciale s'était poursuivie sans modifications substantielles […] et retenir, en conséquence […] que la rupture de la relation commerciale établie n'avait pas été brutale. »

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