Un fournisseur de prothèses et de protections auditives et une start-up spécialisée dans la conception de produits électroniques acoustiques étaient en discussion avancée depuis environ un an pour la conclusion d’un contrat de partenariat.
Dans une lettre d'intention, signée des parties, il était précisé que la technologie de la start-up devait être adaptée afin d'être intégrée par le fournisseur dans des embouts sur mesure prévus à cet effet, avant qu’il ne commercialise le produit auprès des clients industriels. Les parties étaient convenues que ce dernier s'acquitterait d’une somme de 199 750 euro auprès de la start-up en contrepartie de ses travaux de développement. Conformément à l'échéancier prévu, un premier règlement de 47 940 euro a été effectué au jour de la signature de la lettre d'intention. Mais alors que les parties semblaient proches d’un accord, les négociations ont échoué. Après avoir vainement mis en demeure la start-up, le fournisseur l’a attraite en remboursement de la somme versée ainsi qu’en rupture abusive des pourparlers.
En l’espèce, le fournisseur faisait valoir que la start-up avait refusé de signer le contrat définitif, en tentant de remettre en cause ses modalités essentielles alors même que celles-ci avaient été préalablement arrêtées dans la lettre d'intention. La start-up soutenait pour sa part que la demande de dommages et intérêts de ce dernier était irrecevable en raison de la règle du non-cumul des deux ordres de responsabilité, délictuelle et contractuelle. Elle prétendait en outre que la rupture était imputable au fournisseur, qui ne justifierait d'aucun préjudice.
Au préalable, la Cour d’appel de Paris relève que le principe du non-cumul entre les responsabilités contractuelle et délictuelle ne s’oppose pas, en l'occurrence, à la présentation d'une demande distincte fondée sur l'article 1112 du Code civil, qui tend à la réparation d'un préjudice, résultant non pas d'un manquement contractuel en lien avec l'inexécution de la lettre d'intention, mais de la rupture abusive des pourparlers afférents à la conclusion du contrat final. La demande en réparation du fournisseur pour rupture abusive des pourparlers est donc recevable.
Sur un éventuel manquement contractuel imputable à la start-up, la cour retient que la lettre d’intention fixe de véritables obligations aux parties quant au paiement du prix convenu et à la restitution éventuelle des sommes reçues. En tant que telles, ces stipulations sont susceptibles de faire l'objet d'une exécution forcée ou d'engager la responsabilité contractuelle des contrevenants, indépendamment d'une rupture abusive éventuelle des pourparlers. La start-up est donc tenue à restitution de la somme versée.
Sous l’angle de la rupture des pourparlers, la cour relève que la lettre d'intention n'a pas valeur d'un contrat définitif et n'impose pas de conclure le contrat projeté, les parties demeurant libres de rompre les pourparlers dans les conditions prévues à l'article 1112 du Code civil.
En application de ce texte, les parties sont en effet libres d’engager, de poursuivre ou d’interrompre des négociations en vertu du principe de liberté contractuelle. Toutefois, cette liberté trouve sa limite dans l’abus du droit de rompre, qui réside dans une faute caractérisée par le fait de tromper la confiance du partenaire. En conséquence, une partie engage sa responsabilité délictuelle si elle rompt brutalement et de mauvaise foi des pourparlers avancés, en entraînant un préjudice pour l’autre partie.
En l’espèce, la teneur des courriels permet de comprendre que les deux sociétés ne sont pas parvenues à s'entendre sur les termes du contrat définitif, sans qu'il soit possible d'imputer l'initiative de la rupture des pourparlers, à l'une ou l'autre parties. Dès lors, la rupture des pourparlers ne peut être considérée comme fautive.
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 14 mars 2025 réaffirme un principe fondamental du droit des contrats : la liberté des négociations ne saurait être restreinte que dans les cas où une faute manifeste est caractérisée.
Par conséquent, cette décision souligne l’importance pour les entreprises de documenter soigneusement leurs négociations et d’anticiper les risques liés à une éventuelle rupture. Les parties doivent prendre conscience que toute interruption brutale peut donner lieu à des litiges et que la prudence reste de mise dans la gestion de ces discussions stratégiques.
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