La preuve par la blockchain : une innovation technologique au service du droit

Publié le 
12/5/2025
La preuve par la blockchain : une innovation technologique au service du droit

Alors que le numérique transforme profondément les modes de création, de diffusion et de protection des œuvres, le droit se trouve confronté à la nécessité d’adapter ses mécanismes probatoires. La blockchain, souvent perçue comme une innovation technique réservée aux cryptomonnaies, s’impose aujourd’hui comme un outil de preuve crédible, notamment dans les litiges en propriété intellectuelle.

Dans une décision du 20 mars 2025, le Tribunal judiciaire de Marseille a admis la recevabilité d’un constat d’huissier reposant sur une preuve ancrée dans la blockchain comme moyen de démonstration de l’antériorité d’une œuvre de propriété intellectuelle. Cette décision s’inscrit dans une dynamique plus large de reconnaissance progressive de la blockchain comme un outil probatoire recevable.

I. La blockchain : fondements technologiques et intérêt juridique

A. Une technologie de registre distribué infalsifiable

La blockchain constitue un protocole de stockage et de transmission d’informations fonctionnant sans organe central de contrôle. Elle repose sur une architecture de registre distribué et sécurisé: chaque transaction est enregistrée dans un « bloc » horodaté, lié aux blocs précédents par un procédé cryptographique, ce qui rend toute falsification pratiquement impossible.

L’intérêt juridique de cette technologie réside notamment dans :

• l’immutabilité des données une fois enregistrées,

• leur traçabilité chronologique,

• la fiabilité de l’horodatage indépendant de tout tiers,

• la transparence du registre (pour les blockchains publiques).

Ces propriétés permettent à la blockchain d’apporter une preuve d’existence, d’intégrité et de datation d’un fichier numérique qui constituent des critères fondamentaux dans le droit de la preuve, notamment en propriété intellectuelle.

B. Une évolution du droit français vers l’acceptation de la preuve technologique

Le Code civil ne fait pas obstacle à l’admission de la preuve par la blockchain, puisque l’article 1366 reconnaît la validité de la preuve électronique sous réserve qu’elle garantisse l’identité de son auteur et son intégrité. Ainsi, une inscription blockchain peut parfaitement remplir ces exigences, si elle est correctement mise en œuvre.

À ce jour, le droit français ne consacre pas de régime juridique particulier applicable à la preuve apportée par la blockchain. Toutefois, dans les actions en contrefaçon, le régime de la preuve est libéral, dans la mesure où l’article L. 716-4-7 du Code de la propriété intellectuelle accepte la preuve par tous moyens, ce qui permet aux juridictions d’admettre ce type de preuve dans le cadre de leur pouvoir souverain d’appréciation.

Le Gouvernement a d’ailleurs précisé, dans une réponse ministérielle en date du 30 juillet 2019, que la force probante d’un enregistrement sur la blockchain devait être appréciée par les juges à la lumière des règles générales du droit de la preuve, écartant ainsi la nécessité d’une réforme législative spécifique.

Sur la qualité d’auteur, l’article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que celle-ci est présumée appartenir, sauf preuve contraire, à la ou les personnes sous le nom desquelles l’œuvre a été divulguée. Autrement dit, cette qualité revient à celui qui rend publique une œuvre sous son nom. Aussi la question de la preuve est-elle déterminante, car il revient à chacun de démontrer l’antériorité et la paternité de sa création en cas de contestation.

C’est précisément sur cette question que le tribunal s’est prononcé dans la présente affaire.

II. La décision du 20 mars 2025 : une reconnaissance implicite de la preuve par la blockchain

A. Les faits

La Société AZ FACTORY, active dans le secteur de la mode, reprochait à la Société VALERIA MODA de commercialiser des vêtements reprenant les éléments distinctifs de ses créations, conçues par un designer de renom.

Pour établir l’antériorité et l’originalité de ses modèles, la société demanderesse s’appuyait notamment sur une preuve d’ancrage dans la blockchain, via la plateforme BlockchainyourIP, garantissant un horodatage infalsifiable des œuvres concernées. Un constat d’huissier venait compléter cette preuve, en détaillant le processus de dépôt et la correspondance entre les fichiers déposés et les créations contestées.

La société défenderesse contestait notamment la recevabilité et la fiabilité de cette preuve, estimant qu’elle ne permettait pas de démontrer de manière certaine l’antériorité ni le lien avec la société demanderesse.

Le tribunal juge néanmoins la preuve recevable, considérant que l’ensemble constitué par l’inscription blockchain et le constat d’huissier apportait un indice sérieux d’antériorité, non contredit par la partie adverse. Le tribunal conclut que la société VALERIA MODA s'est rendue coupable de contrefaçon de droits d’auteur et la condamne à verser des dommages et intérêts à la Société AZ FACTORY, ainsi qu’à cesser immédiatement toute fabrication, reproduction, exposition ou commercialisation des vêtements en cause.

B. Les conditions de recevabilité et précautions pratiques

Si la blockchain peut produire des effets probatoires, elle n’est pas, en l’état du droit, une preuve autonome ou automatique. Plusieurs conditions doivent être réunies :

• l’enregistrement doit être relié de manière certaine à l’auteur ou au titulaire du droit (via une signature numérique, par exemple) ;

• il est préférable de recourir à un huissier, qui pourra constater la démarche technique et certifier l’intégrité du processus ;

• le juge reste souverain pour apprécier la force probante des éléments de preuve apportés.

De plus, il convient de souligner que, dans l’affaire en question, le tribunal a admis la preuve fondée sur la blockchain en s’appuyant également sur des éléments complémentaires, tels que la divulgation des créations sur les réseaux sociaux et YouTube. Ces supports ont renforcé la démonstration de l’antériorité des œuvres. Cette approche soulève la question de savoir si un simple ancrage dans la blockchain, sans preuve de diffusion publique, serait suffisant pour établir l’antériorité d’une création.

La blockchain, si elle ne constitue pas une preuve miracle, représente une avancée technologique majeure pour les praticiens du droit, notamment sur le plan probatoire, en particulier en droit de la propriété intellectuelle. La décision du 20 mars 2025 confirme que les juridictions françaises sont prêtes à intégrer ce nouvel outil dans l’arsenal probatoire, à condition que son usage soit rigoureux, documenté et sécurisé.

Pour les avocats, il s’agit non seulement de comprendre les mécanismes techniques de la blockchain, mais aussi d’en faire un levier stratégique, notamment dans des contentieux liés à l’innovation, à la création, ou à la conformité. Cette technologie redonne aussi une forme d’autonomie aux créateurs, en leur permettant de protéger leurs droits sans dépendre d’un tiers centralisé.

Le droit de la preuve entre ainsi dans une nouvelle ère, celle de la preuve distribuée, traçable et transparente, au service de la sécurité juridique.

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