La réforme du marché de l'électricité

Au regard de la fin imminente de ce système, fixée au 31 décembre 2025, s’est ouverte le 21 novembre dernier une consultation publique initiée par le gouvernement.

Publié le 
10/6/2024
La réforme du marché de l'électricité
 

L’accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) est un dispositif permettant aux fournisseurs alternatifs, depuis le 1er juillet 2011, d’accéder à l’électricité produite par les centrales nucléaires nationales historiques d’EDF pour un prix contrôle et régulé. Ainsi, EDF s’oblige à céder une partie de sa production nucléaire à un prix inchangé depuis 2012, qui s’établit à 42 euros le mégawattheure (MWh). Créé par la loi Nome, ce mécanisme a permis à la France de se conformer aux exigences de la directive européenne 2003/54/CE visant à garantir une concurrence réelle et équitable entre les fournisseurs d'électricité sur le marché européen, se traduisant dans l’Hexagone par la nécessité d’atténuer la position dominante d'EDF sur le marché de l'énergie.

Au regard de la fin imminente de ce système, fixée au 31 décembre 2025, s’est ouverte le 21 novembre dernier une consultation publique initiée par le gouvernement. Cette consultation vise à interroger les acteurs du marché de l’électricité afin de définir les modalités pour assurer la protection, la stabilité et la prévisibilité des factures des consommateurs d'électricité en France après l'extinction de l’ARENH.

Si l’Autorité de la concurrence est responsable du contrôle des pratiques anticoncurrentielles sur les marchés de l’énergie, de l'électricité et du gaz en France, elle travaille en étroite collaboration avec la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Cette dernière assure en effet le bon fonctionnement de ces secteurs suite à leur ouverture à la concurrence, et surveille notamment la cohérence des prix proposés par les acteurs du marché. En rapport avec ces missions, les deux entités ont conjointement adressé un courrier au gouvernement dans le cadre de la consultation susmentionnée. Elles y saluent l’objectif du Gouvernement de mettre en place un marché français de l’électricité efficace et protégeant les consommateurs, mais s’inquiètent des garanties permettant d’assurer des conditions de concurrence équitables entre EDF et ses concurrents. Pour elles, la présence d’EDF en tant qu’acteur intégré et incontesté, tant en amont qu'en aval, soulève la nécessité de mettre en place des dispositifs régulateurs ex ante, et non seulement ex post.

Les inquiétudes des deux régulateurs se cristallisent autour de deux points : les modalités d’approvisionnement en électricité et le développement d’un marché de long terme.

1. Les remarques de l’Autorité de la concurrence et de la CRE sur les modalités d’approvisionnement en électricité d’EDF et de ses concurrents

Le Gouvernement a annoncé, à l’occasion de la consultation publique, les bases de la prochaine régulation du parc nucléaire d’EDF. Il prévoit notamment le reversement aux consommateurs des revenus issus du parc nucléaire en cas de prix élevés sur le marché de gros : à partir d’un certain niveau de prix, un mécanisme de captation s’appliquera à l’ensemble des revenus du parc pour que les bénéfices soient redistribués aux consommateurs. Cette redistribution s’effectuerait via des prélèvements de l’Etat sur les revenus constatés du parc nucléaire existant d’EDF, articulés autour de deux seuils :

  • 50 % des revenus constatés excédant un premier seuil (78€2022/MWh) seraient prélevés
  • au-delà d’un second seuil (fixé à 110 €2022/MWh), le taux s’élèverait à 90 % des revenus constatés

Les flux financiers d’EDF devraient donc être précisément identifiables et auditables entre les différentes entités du groupe, c’est-à-dire entre les entités en charge de production et celles en charge de commercialisation, afin de distinguer les flux financiers affectés à la production nucléaire des autres flux. Cela permettrait un suivi précis et non biaisé des revenus pris en compte par EDF pour le calcul de la redistribution aux consommateurs. Pour assurer l’efficacité de ce mécanisme, l’Autorité et la CRE plaident pour l’attribution à la CRE d’un pouvoir d’approbation des règles d’identification des flux financiers liés à la production nucléaire.

Au regard de ce même objectif, l’Autorité de la concurrence et la CRE recommandent également au législateur d’assurer que les entités internes d’EDF en charge de la commercialisation ne soient pas favorisées en matière d’information concernant les estimations de production nucléaire et les revenus prévisionnels, afin d’éviter toute asymétrie d’informations préjudiciable à la structure concurrentielle du marché. La CRE demande au gouvernement de lui attribuer, si nécessaire, la compétence de définir la temporalité des publications par EDF des informations susmentionnées.

In globo, l’Autorité de la concurrence et la CRE estiment nécessaire d’un point de vue concurrentiel de « prévoir explicitement » que les fournisseurs concurrents puissent s’approvisionner en électricité nucléaire dans les mêmes conditions qu’EDF commerce. Si cela s’avère impossible, les deux entités recommandent que les conditions d’approvisionnement d’EDF commerce, lorsque l’entreprise souscrit avec des consommateurs finaux, soient a minima équivalentes aux conditions économiques d’un fournisseur alternatif efficace – la notion d’efficacité d’un fournisseur alternatif restant à définir.

2. Les remarques de l’Autorité et de la CRE sur les contrats de moyen-long terme

La société EDF s’est employée ces dernières années au déploiement d’une politique commerciale de long terme. Après la fin de l’ARENH, EDF continuera à mettre en œuvre ce nouveau modèle de vente, via des contrats de moyen et long terme. Concernant le moyen terme, il s’agit notamment de « contrats de marché à horizons 4 - 5 ans ». Ces contrats de vente sont ouverts à tous les acteurs du marché depuis septembre 2023. Ces derniers peuvent ainsi acheter, dès aujourd’hui et sous forme d’enchères, leur électricité pour les années 2026, 2027 ou 2028. Cela leur permet de profiter d’un prix a priori très compétitif. Cette stratégie favorise la liquidité du marché à ces horizons 2027-2028 : le prix de l’électricité, déterminé à l’avance pour plusieurs années, ne sera plus en proie aux variations causées par les conditions économiques du marché.

Si cette liquidité n’existait pas jusqu’à alors, l’Autorité de la concurrence et la CRE entendent la favoriser : pour ces dernières, la CRE devrait pouvoir mettre en place des mesures ex ante favorisant la liquidité du marché de gros de l’électricité, de façon proportionnée et après consultation des acteurs, pour s’assurer du développement d’un véritable segment de long terme sur ce marché. La CRE souhaiterait pouvoir imposer, si nécessaire, certaines mesures à EDF afin que cette dernière se voit contrainte de favoriser l’offre d’électricité de moyen-long terme. De cette façon, l’Autorité de la concurrence et la CRE entendent encourager les offres de fourniture d’une durée supérieure à deux ans proposées par les autres fournisseurs concurrents d’EDF à leurs clients, afin d’instaurer une concurrence suffisante sur ce nouveau type de contrat. Une électricité dite « liquide » permettrait aux clients en bout de chaine de bénéficier d’une visibilité et d’une stabilité certaines sur le coût de leur électricité.  En particulier, les entreprises auraient alors la possibilité d’estimer fiablement le coût de leur électricité pour plusieurs années, ainsi que le prix de revient de leurs biens et prestations. Cette liquidité était déjà une mesure importante dans le projet de réforme du marché européen de l’électricité proposée en mars 2023 par la Commission européenne, car il s’agit d’une réponse structurelle favorisant les mécanismes d’atténuation de la volatilité des prix de l’électricité.

Enfin, EDF entend bientôt proposer des contrats d’allocation de long terme adossés à sa production nucléaire (CAPN). A l’instar des contrats de livraison d'électricité conclus directement avec des entreprises pour les parcs éoliens et solaires, EDF offrirait des contrats de 10, 15 ans ou plus avec des industriels qui financeraient son parc nucléaire historique (le gouvernement ayant commandé à EDF six nouveaux réacteurs EPR). Ces partenariats sont à destination de grandes entreprises très énergivores, ce qui fait craindre à l’Autorité de la concurrence et à la CRE qu’EDF verrouille le marché des « grands consommateurs industriels », refuse d’approvisionner certains d’entre eux de manière injustifiée, ou instaure une politique d’approvisionnement discriminatoire. Elles souhaitent donc bénéficier de moyen de vérifier que les contrats de production nucléaire sont attribués équitablement, en contrôlant l’équilibre économique de ces contrats, et en y impliquant si possible les fournisseurs concurrents. Ces propositions sont reprises dans le projet de loi relatif à la souveraineté énergétique en cours de consultation.

Souvent critiquée, en particulier suite à l’envolée des prix en raison du conflit entre l’Europe et la Russie, la libéralisation du marché de l’énergie a parfois été qualifiée « d’ouverture en trompe l’œil ». Dans son Observatoire annuel des marchés de détails, la CRE relevait qu’au 30 juin 2019, les fournisseurs historiques (EDF et entreprises locales de distribution) restaient les principaux fournisseurs d’électricité, comptabilisant 79% des clients et 75% des clients domestiques (et respectivement 63 et 78% des volumes). Ce phénomène est dû en grande partie à un principe de tarification complexe de la fourniture d’électricité. Il en résulte que la marge sur laquelle les opérateurs pourraient se concurrencer est alors trop minime pour permettre une réelle différenciation des concurrents sur les tarifs des offres de fourniture d’électricité. La fin de l’ARENH, l’un des garde-fous concurrentiels, commande ainsi une vigilance accrue sur ce marché afin d’y instaurer toutes les conditions nécessaires permettant d’espérer y garantir une structure concurrentielle efficace et efficiente.

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