Cass. com.,14 mai 2025, n° 23-17.948 – Publié au Bulletin
L’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 14 mai 2025 marque une évolution significative dans l’interprétation du devoir d’information précontractuelle prévu à l’article 1112-1 du Code civil. En exigeant que l’information litigieuse présente à la fois un lien direct et nécessaire avec le contrat et une importance déterminante pour le consentement, la Cour redéfinit le champ d’application de cette obligation, avec des conséquences importantes tant sur le plan théorique que pratique.
Les faits révélateurs d’un déséquilibre informationnel en contexte de cession
En l’espèce, la cession portait sur l’intégralité des parts d’une société exploitant une activité de restauration rapide. Le local commercial où était exercée l’activité commerciale était soumis à une interdiction d’installation de dispositif de friture en raison du règlement de copropriété. Cette interdiction, non révélée lors de la négociation, est découverte postérieurement par le cessionnaire, qui agit en indemnisation.
De manière surprenante l’acquéreur ne fonde pas son action contre le vendeur sur le dol mais sur l’article 1112-1 du Code civil, dans sa version issue de la réforme du droit des contrats de 2016, avec pour objectif de démontrer que le cédant avait manqué à son obligation d’information en ne révélant pas une restriction pourtant essentielle à l’activité envisagée. Les juridictions du fond, puis la Cour de cassation, ne font pas droit à sa demande, estimant qu’il n’est pas établi que l’information dissimulée revêtait une importance déterminante pour le consentement.
Une redéfinition prétorienne de l’article 1112-1 du Code civil
Le texte de l’article 1112-1 semblait simplement définir l'information déterminante comme celle ayant un lien direct et nécessaire avec le contrat ou la qualité des parties.
Toutefois, en l’occurrence, la Cour de cassation, dans une décision publiée au Bulletin, adopte une lecture plus structurée : elle distingue désormais deux conditions qu’elle rend cumulatives :
- l’information doit avoir un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties ;
- elle doit avoir une importance déterminante pour le consentement de l’autre partie.
Ce raisonnement s’éloigne de la lecture littérale du troisième alinéa du texte. En dissociant ces deux conditions, la Cour introduit un dispositif probatoire plus rigoureux et un filtrage plus exigeant des litiges liés à l’information précontractuelle.
Une exigence probatoire accrue et un risque de rejet automatique
Cette solution revêt une portée pratique essentielle : désormais, le demandeur doit non seulement démontrer que l’information non transmise concernait le contrat de manière directe, mais également prouver qu’elle a effectivement influencé de manière décisive son engagement. En d’autres termes, la preuve du lien ne vaut pas preuve du caractère déterminant.
Cette dissociation rend considérablement plus difficile la tâche de l’acquéreur : comment prouver qu’il n’aurait pas contracté s’il avait eu connaissance de l’information ? À défaut de traces écrites issues des négociations, ou de déclarations antérieures claires, cette preuve relève souvent du faisceau d’indices. Or, cette logique probatoire est incertaine et peut décourager les recours.
La décision s’aligne ici avec un mouvement qui tend à limiter les actions fondées sur des contentieux de formation du contrat, dans un contexte économique où la sécurité des transactions est devenue un objectif assumé par la Cour de cassation.
Une solution protectrice du consentement ou du contrat ?
L’arrêt traduit en creux une volonté de rééquilibrage. Depuis la réforme de 2016, le devoir d’information est apparu à certains comme une source d’instabilité pour les cessions d’entreprise. Il ouvrait la voie à des remises en cause a posteriori de contrats déjà exécutés, dès lors qu’une information importante avait été omise.
En imposant cette double démonstration, la Cour cherche à préserver la force obligatoire du contrat et à sanctionner les comportements frauduleux seulement lorsqu’ils sont indiscutables. Elle réserve donc l’application de l’article 1112-1 aux hypothèses les plus manifestes d’asymétrie informationnelle.
On peut cependant s’interroger : dans le cas présent, l’impossibilité d’exercer une activité de friture dans un restaurant rapide n’est-elle pas, de manière quasi-évidente, une information déterminante ? La solution de la Cour repose sur une appréciation contextuelle et subjective du consentement, ce qui en rend l’application délicate.
Un appel implicite à la formalisation des échanges précontractuels
L’arrêt souligne indirectement l’importance croissante de la documentation des négociations. Pour espérer faire valoir un manquement à l’obligation d’information, il faudra dorénavant démontrer que l’information avait été identifiée comme cruciale, exprimée comme telle ou demandée expressément.
Les praticiens du droit devront donc renforcer la traçabilité des échanges : comptes rendus de réunions, courriels, questionnaires préalables, mentions spécifiques dans les protocoles d’accord ou lettres d’intention. Faute de tels éléments, la preuve de l’importance déterminante sera difficile à établir.
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