1. Le Future Risks Report faisant état d’une inquiétude importante des experts quant à l’évolution de l’intelligence artificielle
Selon la dixième édition du Future Risks Report publié par l’assureur Axa en octobre 2023 classant les risques émergents, l’intelligence artificielle et la big data se trouvent dorénavant à la 4ème place. Selon ce dernier, la plupart des experts placent cette technologie comme un risque au regard de la « menace existentielle que l’avancée de l’IA pourrait représenter pour l’humanité ». Il insiste en rajoutant que 64% des experts et 70% de la population générale pencheraient pour une cessation des recherches en matière d’IA. Ce phénomène et cette inquiétude se sont étendus au niveau mondial.
En matière de propriété intellectuelle, les interrogations sont nombreuses notamment au regard des conditions d’utilisation mais également en matière de revendication de la propriété des œuvres générées par ces outils.
Cela s’explique en partie par un manque de maturité certain de l’IA générative qui inquiète en particulier les artistes qui craignent et se plaignent de voir leurs contenus intégrés par les IA génératives. Cela arrive sans avoir au préalable obtenu leur consentement ou sans avoir convenu d’une rémunération.
2. Une volonté des sociétés de concilier les intérêts des auteurs et de leurs clients
Tout d’abord, le concepteur de Photoshop, Adobe a, en mai 2023, mis en place de nouveaux outils afin de faciliter la création de visuels s’appuyant sur un modèle d’IA générative. La société assure que les visuels créés peuvent être utilisés à des fins commerciales sans contrevenir aux règles en vigueur en matière de propriété intellectuelle. Cependant, consciente des inquiétudes susvisées et de l’existence d’un cadre juridique flou, elle s’est engagée, dans le cadre de cette création de visuels, à payer à ses clients les frais judiciaires en cas de poursuites.
De la même manière, la société Microsoft a souhaité rassurer clients et auteurs en septembre 2023. Le directeur juridique de Microsoft a ainsi, d’une part, affirmé être sensible aux préoccupations des auteurs et d’autre part, promis de défendre les clients de la société contre ces auteurs en cas de poursuites judiciaires. C’est en ce sens que Microsoft s’est engagé à prendre en charge les frais de jugement et les paiements en réparation en cas de défaite de ses clients. Cependant, afin de prévenir et éviter un contentieux de masse, la société indique avoir intégré à ses outils d’intelligence artificielle des mécanismes permettant de réduire la probabilité de renvoi de contenus illicites.
Enfin, Google a, à son tour, également pris des engagements similaires à ses concurrents. La société a intégré ces derniers au sein des conditions spécifiques des services Google Cloud et Google Workspace. Ainsi, elle promet le versement d’une indemnisation en cas de plaintes en matière de données utilisées pour former les modèles inhérents à ses services. Elle assure également la mise en place d’une protection qui intègre l’usage des contenus générés par les services Google.
3. L’émergence d’un potentiel contentieux de masse
Une action de groupe ou class action a été initiée en novembre 2022 par des développeurs informatiques qui reprochent à la société Microsoft d’avoir enfreint les règles en matière de propriété intellectuelle dans l’utilisation de leurs outils d’intelligence artificielle générative. En effet, ces derniers accusent Microsoft d’avoir appris à leur outil la reproduction d’un code sous licence sans consentement ni rémunération des auteurs.
De la même manière, en janvier 2023, une action de groupe a été engagée devant les juridictions compétentes en Californie (USA) contre les sociétés Stability AI Ltd., Midjourney Inc. et DeviantArt Inc. Les demandeurs leur reprochent d’avoir utilisé des œuvres protégées afin d’entraîner leur dispositif d’IA sans obtention préalable de l’accord des auteurs.
Ces inquiétudes grandissantes des auteurs et l’utilisation dorénavant massive des intelligences artificielles génératives pourraient ouvrir la voie à un contentieux important.
Et si l'on posait la question à Chat-GPT ?
Le droit de la propriété intellectuelle et l'intelligence artificielle générative
Le droit de la propriété intellectuelle (PI) couvre différentes créations de l'esprit, comme les œuvres littéraires et artistiques, les inventions, les symboles, les noms et les images utilisés dans le commerce. Avec l'émergence de l'intelligence artificielle (IA) générative, de nouvelles questions juridiques se posent quant à la protection et à la propriété des œuvres générées par ces systèmes.
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Les enjeux de l'IA générative pour la propriété intellectuelle
1. Attribution de la création :
- Qui est l'auteur d'une œuvre générée par une IA ? Est-ce le programmeur de l'IA, l'utilisateur qui a fourni les instructions, ou l'IA elle-même ?
- La législation actuelle sur le droit d'auteur dans de nombreux pays ne reconnaît pas l'IA comme un auteur, car elle n'est pas considérée comme une entité ayant une volonté créative.
2. Originalité et créativité :
- Peut-on considérer qu'une œuvre générée par une IA est originale si elle résulte d'algorithmes et de données d'apprentissage ?
- La créativité implique-t-elle nécessairement une activité humaine, ou une IA peut-elle être dite créative au sens du droit d'auteur ?
3. Responsabilité et contrôle :
- En cas de violation de la propriété intellectuelle par une IA, qui est responsable ? L'opérateur de l'IA, le développeur ou l'IA elle-même ?
- Comment contrôler et limiter l'utilisation de contenus protégés dans le processus d'apprentissage d'une IA ?
Évolutions législatives possibles
Le législateur peut envisager plusieurs approches pour intégrer l'IA dans le cadre de la propriété intellectuelle :
1. Adapter le concept d'auteur :
- Étendre la définition de l'auteur pour inclure les œuvres générées par l'IA sous la direction d'un humain.
- Créer une nouvelle catégorie de droit d'auteur pour les œuvres génératives, avec des règles spécifiques.
2. Droit des contrats et des licences :
- Réguler l'utilisation des œuvres générées par IA par des contrats de licence définissant clairement les droits et responsabilités de chaque partie.
- Établir des licences spécifiques pour l'utilisation de données et de contenus dans le cadre de l'entraînement d'IA.
3. Droits voisins ou droits sui generis :
- Introduire des droits voisins pour protéger les intérêts des personnes qui contribuent à la création des œuvres générées par IA.
- Créer un droit sui generis qui reconnaîtrait un type de propriété intellectuelle spécifique pour les productions de l'IA.
Exemples de jurisprudence et législation actuelle
Il existe quelques cas où les tribunaux ont dû se prononcer sur la PI en lien avec l'IA :
- L'affaire "Naruto vs. Slater" aux États-Unis, concernant une photographie prise par un singe, a soulevé la question de la capacité d'un non-humain à détenir des droits d'auteur.
- En Europe, certaines œuvres générées par IA ont été refusées pour des dépôts de brevets car l'IA n'a pas été reconnue comme un inventeur.
Ces cas montrent que la législation existante n'est pas toujours bien adaptée aux défis posés par l'IA, et qu'il pourrait être nécessaire d'actualiser ou de réformer la loi pour mieux refléter la réalité technologique actuelle.
Pour conclure, l'IA générative soulève des défis complexes pour le droit de la propriété intellectuelle, qui devront être adressés par des évolutions législatives et jurisprudentielles. Cela implique une réflexion multidisciplinaire associant des juristes, des technologues et des créateurs pour établir un cadre équilibré qui protège les créations tout en favorisant l'innovation et le développement technologique.