À titre d’illustration, Rolex a également été frappé d’une amende de 91 600 000 euros pour avoir interdit à ses distributeurs agréés de vendre en ligne ses montres, invoquant le risque d’atteinte à l’image et de contrefaçon. L'interdiction de vente en ligne est jugée excessive, disproportionnée au but poursuivi (décision n°23-D-13 du 19 décembre 2023).
En l’espèce, par une décision en date du 11 décembre 2023 (n°23-D-12), l'Autorité de la concurrence a imposé une sanction à la société Mariage Frères pour des pratiques d'entente observées dans le secteur des thés de luxe. La société Mariage Frères International SAS, responsable des ventes en gros au sein du groupe, a émis des restrictions à l'encontre de ses distributeurs à partir de juillet 2008.
Ces restrictions consistaient d'une part à leur empêcher de commercialiser en ligne les produits Mariage Frères, et d'autre part, à leur interdire de revendre ces produits à d'autres distributeurs. Ces clauses restrictives étaient intégrées dans les conditions générales de vente applicables au réseau de distribution de Mariage Frères. Elles ont eu pour effet de restreindre la concurrence dans un secteur déjà concentré, marqué par un essor important des ventes en ligne.
Ces pratiques ont perduré au moins jusqu'au 24 janvier 2023, date à laquelle le groupe Mariage Frères a reçu une notification de griefs de la part de l'Autorité. Mariage frères justifiait ces pratiques en invoquant le principe de libre organisation du réseau. Jugeant ces interdictions ni justifiées, ni proportionnées, l'Autorité a infligé conjointement et solidairement une sanction pécuniaire de 4 millions d'euros pour entente verticale à l'égard de Mariage Frères International SAS et de sa société mère, Mariage Frères SAS.
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Sur l’interdiction de vendre en ligne les produits Mariage Frères
Les CGV entre Mariage Frères et ses distributeurs interdisaient la vente en ligne des produits Mariage Frères par ces derniers, réservant ainsi cette exclusivité à la marque. Les distributeurs étaient autorisés à mentionner la commercialisation des produits en magasin sur leur site, mais ne pouvaient pas les vendre en ligne ni utiliser le logo de la marque. Mariage Frères surveillait étroitement le respect de ces règles et demandait aux distributeurs de retirer rapidement les produits de leurs sites s'ils étaient proposés en ligne. Cette interdiction a entravé le développement de nombreuses petites entreprises. Pendant la période de 2013 à 2021, la part des ventes en ligne du groupe Mariage Frères a considérablement augmenté, malgré l'interdiction imposée aux distributeurs.
L’Autorité a estimé que l’accord de volontés qui établit l’entente verticale entre Mariage Frères et ses distributeurs, relatif à l’interdiction de vente en ligne prévue par ses CGV, résulte de l’invitation de Mariage Frères à mettre en œuvre la pratique litigieuse et de l’acquiescement des distributeurs à la pratique proposée. Les CGV permettent à elles seules de caractériser une invitation anticoncurrentielle, même en l’absence d’autres documents contractuels. Tout distributeur de Mariage Frères qui a ouvert un compte client a, par principe, accepté les CGV et, de fait, admis l’interdiction de vendre en ligne les produits de la marque. L’Autorité estime qu’il n’est pas nécessaire d’apporter la preuve individualisée d’un acquiescement de chacun des distributeurs aux pratiques dénoncées, de sorte qu’il suffit qu’un nombre significatif de revendeurs appliquent l’interdiction.
Par ailleurs, cette interdiction de revendre en ligne les produits Mariage Frères contenue dans les CGV ne peut bénéficier des lignes directrices sur les restrictions verticales qui précisent que tout distributeur doit être autorisé à utiliser internet pour vendre ses produits.
L’Autorité affirme par la suite que la clause des CGV qui assimile le site internet des revendeurs à un point de vente individuel distinct, pour lequel une autorisation ad hoc doit être obtenue et qui doit donner lieu à la conclusion d’un contrat séparé, constitue une restriction de concurrence comparable à une interdiction absolue de nature explicite. Or, les clauses des CGV qui interdisent la vente en ligne des produits aux distributeurs constituent, par leur nocivité, une restriction de concurrence par objet au sens des articles 101 paragraphe 1 du TFUE et L420-1 du code de commerce. L’Autorité n’admet pas d’exemption catégorielle au titre de l’article 2 des règlements restrictions verticales car cette interdiction constitue une restriction caractérisée.
L’Autorité a constaté que la pratique a eu pour effet de fausser le contexte concurrentiel de la vente des produits Mariage Frères. En effet, en s’appuyant sur sa double qualité de fournisseur et de concurrent des revendeurs sur la vente au détail, Mariage Frères a pu piloter ses débouchés commerciaux, via son système centralisé de vente en ligne, tout en conservant un avantage concurrentiel considérable sur ces derniers.
Sur l’interdiction de revendre des produits Mariage Frères à d’autres revendeurs
Les clauses des CGV interdisaient également aux distributeurs la revente de produits de thés haut de gamme à d’autres revendeurs. Cette restriction octroyait ainsi à Mariage Frères une exclusivité sur la vente en gros et circonscrivait le périmètre commercial de ses distributeurs à la vente aux particuliers. Cette pratique, qui restreint la clientèle à laquelle un acheteur peut vendre des biens, constitue, par sa nocivité, une restriction de concurrence par objet.
L’impossibilité d’invoquer la libre organisation du réseau pour justifier la pratique
Si un fournisseur est libre d’organiser son réseau de distribution comme il l’entend, il faut toutefois que cette organisation n’engendre pas de pratiques anticoncurrentielles. En effet, le principe de libre organisation du réseau ne peut autoriser un fabricant à restreindre la liberté commerciale de ses revendeurs. Le fait de réserver au fabricant l’exclusivité de la vente en ligne de ses produits aboutit en effet à fausser la concurrence que doivent normalement se livrer les revendeurs, non seulement entre eux, mais surtout à l’égard du fabricant sur le canal de distribution de la vente en ligne. La volonté d’un fabricant de conserver le contrôle de la diffusion des produits et de maîtriser la façon dont ils seront commercialisés et la qualité du site internet ne sauraient constituer une mesure ni objectivement justifiée, ni proportionnée, acceptable au regard du droit de la concurrence.