Prix excessifs en Polynésie : la Cour de cassation confirme les mesures conservatoires contre Onati

Publié le 
15/12/2025
Prix excessifs en Polynésie : la Cour de cassation confirme les mesures conservatoires contre Onati

La Chambre commerciale de la Cour de cassation précise les critères à prendre en considération pour retenir la qualification de prix excessifs et caractériser une situation d’urgence nécessitant le prononcé de mesures conservatoires (Cass. com., 3 décembre 2025, n° 23-19.490).

Le réseau mobile voix et SMS en Polynésie française

En Polynésie française, Onati, opérateur historique, est le seul propriétaire de l’infrastructure essentielle de réseau mobile voix et SMS couvrant les îles des archipels éloignés. Pacific Mobile Télécom et Viti, ses concurrents directs, opèrent sur ce même marché.

En 2023, Onati fixe le tarif d’accès à l’itinérance à 71,5 millions de Francs CFP imposant un partage égal des coûts de couverture entre les trois opérateurs du marché. Viti, nouvel entrant avec une base de clientèle réduite, s’estime lésé. L’opérateur saisit l’Autorité polynésienne de la concurrence laquelle ordonne des mesures conservatoires obligeant Onati à revoir son tarif de couverture. L’appel formé par Onati est rejeté par la cour d’appel, ce qui conduit l’opérateur à se pourvoir en cassation.

Un tarif de couverture excessif

L’article LP. 200-2 du Code polynésien de la concurrence, qui prohibe l’exploitation abusive d’une position dominante, précise que cette exploitation peut consister à « 1° [l]imiter artificiellement l’accès au marché ou le développement d’entreprises concurrentes ». L’article D. 212-2 du Code polynésien des postes et des télécommunications prévoit quant à lui que les autorités compétentes doivent veiller à l’exercice d’une concurrence effective et loyale entre les opérateurs, au bénéfice des usagers, à la définition de conditions d’accès aux réseaux et d’interconnexion des réseaux garantissant l’égalité des conditions de la concurrence dans ce domaine et à encourager l’utilisation partagée des installations.

L’opérateur propriétaire d'une infrastructure essentielle commet un abus de position dominante s’il accorde un accès à l’infrastructure à des conditions non transparentes, inéquitables ou discriminatoires, ce qui peut consister, notamment, en un prix excessif. Sur ce point, la Cour de cassation confirme qu’est excessif un prix « sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie, au regard non seulement des coûts encourus pour proposer cette prestation mais aussi de l’avantage qu’en retire son bénéficiaire ». La valeur économique d’une prestation ne se réduit donc pas aux coûts pour l’opérateur dominant mais inclut l’utilité de la prestation pour le concurrent.

La Cour de cassation considère qu’un prix peut être excessif alors même qu’il résulte d’une répartition égalitaire des coûts si cette répartition empêche le développement d’un nouvel entrant dans un contexte d’ouverture du marché à la concurrence. La qualification d’un tarif de couverture excessif dépend donc de trois critères : le fonctionnement du marché, le niveau de développement et la situation particulière du nouvel entrant.

En outre, la Cour estime que la renonciation du nouvel entrant au service de couverture de voix et de SMS constitue un indice du caractère excessif du tarif de couverture au regard de l’avantage qu’il retire.  A ce titre, il est possible de comparer le tarif pratiqué au chiffre d’affaires du concurrent, à ses revenus, ou encore à son coût par client sans qu’il soit nécessaire d’évaluer précisément la valeur économique du service.

Par cette décision, la Cour de cassation s’éloigne encore un peu plus de l’approche traditionnelle du prix excessif qui reposait sur un test strict prix/coût, centré exclusivement sur les coûts du dominant (V. CJCE 14 février 1978, United Brands et United Brands Continentaal/Commission, 27/76) ou sur l’écart entre le prix et la valeur économique du bien fourni (CJCE, 11 décembre 2008, Kanal 5 Ltd et TV 4 AB c/ Föreningen Svenska Tonsättares Internationella Musikbyrå (STIM) upa, aff. C-52/07). Elle s’inscrit dans le mouvement de la jurisprudence européenne qui a, par la suite, progressivement assoupli cette approche en permettant notamment une preuve fondée sur un faisceau d’indices et des comparaisons structurelles, sans calcul précis des coûts (V. CJUE, 14 septembre 2017, Autortiesību un komunicēšanās konsultāciju aģentūra / Latvijas Autoru apvienība c/ Konkurences padome, aff. C-177/16).

L’adoption de mesures conservatoires : protéger le concurrent pour protéger le consommateur

En vertu de l’article LP. 641-1 du Code polynésien de la concurrence, l’Autorité polynésienne de concurrence a la possibilité d’adopter des mesures conservatoires si elles sont justifiées par l’urgence en cas (i) d’atteinte grave et immédiate à l’économie générale, à celle du secteur intéressé, à l’intérêt du consommateur ou à l’entreprise plaignante, si (ii) les faits qui lui sont soumis sont susceptibles de constituer une pratique anticoncurrentielle (iii) résultant directement en l’atteinte relevée. L’ensemble de ces conditions doit être réuni.

Pour établir l’atteinte grave et immédiate, la Cour de cassation relève que l’adoption d’un tarif de couverture si élevé a contraint le nouvel entrant à renoncer à l’itinérance dans les archipels éloignés. La renonciation au service d’itinérance a réduit fortement son attractivité commerciale et entravé son développement dans un marché s’ouvrant à la concurrence. Or, cette renonciation affecte la dynamique concurrentielle, menace la pérennité du nouvel entrant et amoindrit l’intensité concurrentielle au détriment des usagers.

Ces éléments permettent à la Cour de cassation de qualifier une atteinte grave et immédiate à l’économie générale, au secteur intéressé, à l’intérêt du consommateur, ce tarif créant un risque d’éviction du nouvel entrant. L’adoption de mesures conservatoires par l’Autorité polynésienne de la concurrence à l’encontre de l’opérateur historique était donc justifiée et nécessaire.

La Cour de cassation assure ainsi l’accès effectif au réseau pour les nouveaux entrants dans un contexte de libéralisation du marché. En empêchant l’éviction d’un nouvel entrant du fait de la reconnaissance de prix excessifs, la Cour protège la qualité du service pour les usagers.

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