Validation de la résiliation d’un contrat de distribution automobile par la Cour de cassation
La Cour de cassation valide la résiliation, avec un préavis de deux ans, d’un contrat de distribution automobile et juge conforme au droit des ententes le refus d’agrément de la candidature postérieure de l’ancien partenaire commercial (Cass. com., 12 mai 2021, n° 19-17.580).
Contexte de l’arrêt de la Cour de Cassation
La Cour de Cassation vient de rendre un arrêt important en droit de la distribution et de la concurrence pour les réseaux de distribution. Par une décision en date du 12 mai 2021, elle a validé la résiliation ordinaire avec préavis de deux ans d’un contrat de distributeur-réparateur Renault et a jugé également conforme au droit des ententes le refus d’agrément de la candidature de l’ancien distributeur.
Assistance juridique dans l’affaire
Notre cabinet a assisté la société Renault en première instance et en appel et a suivi la procédure de Cassation avec le concours de l’avocat à la Cour de Cassation de la société Renault, la SCP Spinosi.
L’arrêt de la Cour de Cassation prend clairement position sur deux points souvent débattus en doctrine et en jurisprudence à l’occasion de la résiliation d’un contrat de distribution : la durée de préavis admissible en cas de résiliation ordinaire (1) et la légalité d’un refus d’agrément (2).
1- Sur la durée du préavis applicable en cas de résiliation ordinaire
Dans l’espèce commenté, Renault avait accordé un préavis de deux ans à son distributeur, conformément à ce qui était prévu au contrat. Arguant de l’ancienneté des relations et de son prétendu état de dépendance économique, le concessionnaire réclamait un préavis de trois ans.
La Cour de cassation a confirmé la Cour d’appel dans le rejet des prétentions du concessionnaire :
- deux années de préavis sont bien suffisantes pour un concessionnaire qui s’était vu offrir la possibilité de conserver son activité après-vente, laquelle représentait 79% de son résultat demi-net ;
- l’état de dépendance économique ne saurait être caractérisé au vu des possibilités de reconversion du distributeur.
L’arrêt présente un intérêt particulier pour les quelques procédures encore soumises à l’ancien droit de la rupture brutale de relations commerciales établies, i.e. dont la rupture est antérieure à l’ordonnance EGalim du 24 avril 2019 (Voir "Que faut-il penser de l’ordonnance « EGalim » du 24 avril 2019 : une réforme courageuse mais perfectible du droit de la négociation commerciale"). En effet, depuis cette ordonnance, ne peut plus être engagée la responsabilité des entreprises qui ont accordé un préavis d’au moins 18 mois. Le législateur a ainsi mis fin aux préavis trop longs, jugés restrictifs de concurrence et économiquement inefficients.
2- Sur la légalité d’un refus d’agrément
Comme cela est fréquent à la fin d’un contrat de distribution, l’ancien distributeur avait formulé une demande de ré-agrément au sein du réseau bien que sa résiliation ait été prononcée en invoquant des performances commerciales insuffisantes. Renault avait rejeté sa demande.
La Cour d’appel avait considéré que le refus d’agrément de Renault ayant été opposé au regard du critère quantitatif convenu entre le constructeur et son réseau, celui-ci devait être considéré comme résultant d’un accord entre le fournisseur et le distributeur, de sorte qu’il était soumis au droit des ententes.
Toutefois, les règlements européens n°1/2003 et 1400/2002 (devenus les règlements n°330/2010 et 461/2010) prévoient des seuils de parts de marché, sur les marchés de la vente de biens ou services par le fournisseur et de l’achat de ces biens et services par l’acheteur, en-dessous desquels les accords entre ce fournisseur et ce distributeur ne sont pas susceptibles de restreindre la concurrence. Ces seuils étaient de 40% de parts de marché en matière automobile, mais sont désormais de 30% à l’exception de l’après-vente automobile encore soumise à l’ancien seuil de 40%.
Or, comme le relevait la Cour d’appel confirmée en cela par la Cour de cassation, un refus d’agrément non accompagné d’une faute civile doit s’apprécier à l’égard de ces règlements européens d’exemption. Les seuils n’étant en l’espèce pas franchis, aucune entente anticoncurrentielle ne saurait être reprochée.
Il est désormais acquis qu’un refus d’agrément ne saurait être considéré comme anticoncurrentiel si les seuils d’exemption ne sont pas dépassés, même si le distributeur répond aux critères qualitatifs de sélection. Il ne s’agit pas davantage, au nom de la liberté contractuelle, d’une atteinte au principe de bonne foi devant gouverner la conclusion et l’exécution des contrats.
Inscrivez-vous à la newsletter Livv
et recevez chaque semaine des informations exclusives en droit des affaires. En savoir plus
Débat sur la nature du refus d’agrément
Cependant, la Cour de cassation n’a pas tranché le point, largement débattu, de savoir si un tel refus d’agrément constitue un accord ou un acte unilatéral. Deux courants jurisprudentiels s’opposent à ce sujet :
- le courant traditionnel, porté par l’Autorité de la concurrence (ADLC, déc. n° 19-D-08 du 9 mai 2019) et la chambre concurrence de la Cour d’appel de Paris (Paris, 5-7, 4 juin 2020, Garage Richard Drevet/Hyundai, n° 19/10672), analyse le refus comme un accord entre la tête de réseau et ses distributeurs.
- le nouveau courant, porté par le Tribunal de commerce de Paris (v. par ex. 21 févr. 2018, Mercedes-Benz France/Garage de Bretagne, n° 2017006510) et la chambre distribution de la Cour d’appel de Paris (Paris, 5-4, 24 juin 2020, Safirauto/Hyundai Motor France, n° 18/23867), analyse le refus comme un acte unilatéral du fournisseur, qui dès lors ne relève pas du droit des ententes.
Dans ce second cas, le refus d’agrément n’est pas sanctionné comme anticoncurrentiel même si les seuils d’exemption sont dépassés.
Justification du nouveau courant jurisprudentiel
Ce nouveau courant de jurisprudence doit être pleinement approuvé, tant pour des raisons juridiques que d’efficience économique :
- d’un point de vue juridique, l’application du droit des ententes implique l’existence d’un véritable accord entre entreprises, lequel fait défaut dans le cas d’un simple refus d’agrément décidé par la tête de réseau. Un accord ne saurait être caractérisé que dans les rares cas où la tête de réseau aurait convenu avec l’un des membres du réseau ou avec la totalité d’entre eux de refuser l’accès d’un candidat au profit d’un nouveau partenaire sélectionné ou en vertu d’un critère quantitatif ne permettant pas sa nomination ;
- d’un point de vue économique, il est également peu efficient d’imposer un contrat forcé à des partenaires qui ne souhaitent pas travailler librement ensemble.
Preuves concrètes du caractère unilatéral
D’un point de vue pratique, au contentieux, pour éviter toute discussion quant à la nature d’acte unilatéral du refus d’agrément, il vaut mieux disposer de preuves concrètes et irréfutables de ce caractère unilatéral. S’il existe de bonnes raisons de refuser la candidature d’un ancien distributeur du réseau, comme son passé de mauvais payeur, son dénigrement de la marque ou ses reventes hors réseau, le juge sera plus enclin à respecter le refus d’agrément. Et si la juridiction devait interpréter le refus d’agrément au regard du droit des ententes, ces éléments seraient tout de même de nature à écarter son caractère anti-concurrentiel.