Transition écologique, concurrence et droit de l’Union : une combinaison qui progresse

La transition écologique, la concurrence, et le droit de l'Union européenne sont trois domaines qui interagissent de manière croissante. Ces interactions reflètent notamment l'évolution des priorités politiques et économiques au sein de l'UE. L'UE s'efforce ainsi de réduire ses émissions de gaz à effet de serre, notamment à travers le Pacte vert européen. Cette synergie est essentielle pour atteindre les objectifs climatiques de l'UE tout en maintenant une économie française et européenne forte et compétitive.

Publié le 
8/1/2024
Transition écologique, concurrence et droit de l’Union : une combinaison qui progresse
 

Les enjeux du développement durable occupent une place de plus en plus importante dans les domaines contentieux et consultatifs, ainsi que dans le contrôle des fusions et acquisitions, notamment par l'analyse de marchés émergents.

En Europe, la politique environnementale tient compte à la fois du développement économique et social de l'Union dans son ensemble et du développement équilibré des régions dans leur diversité. Elle est fondée sur les principes de précaution, d'action préventive, de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement et de pollueur-payeur. Les textes d'harmonisation intervenus en matière de protection de l'environnement comportent une clause de sauvegarde qui permet aux États membres de prendre pour des motifs environnementaux, non économiques, des mesures provisoires.

L'article 191 TFUE précise par ailleurs les objectifs de l'Union en matière d'environnement :

  • la préservation, la protection et l'amélioration de la qualité de l'environnement,
  • la protection de la santé des personnes,
  • l'utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles,
  • et la promotion, sur le plan international, de mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l'environnement.


La protection de la couche d'ozone (CJCE, 14 juillet 1998, Bettati c. Safety Hi-Tech Srl, aff. C-341-95), la réduction des émissions de gaz à effet de serre (CJCE, 13 mars 2001, PreussenElektra AG c. Schhleswag AG, aff. C-379-98), la lutte contre la pollution sonore des avions (CJCE, 14 juillet 1998, Aher-Waggon, aff. C-389-96, admettant que le texte national impose des normes plus sévères que celles prévues par une directive d'harmonisation), les systèmes favorisant la prévention et la valorisation des déchets d'emballage (V. pour des exemples de mesures disproportionnées : CJCE, 20 septembre 1988, Danemark, aff. 302-86 et 14 décembre 2004, Allemagne, aff. C-463-01) ou le recyclage des déchets (CJCE, 9 juillet 1992, Belgique, aff. C-2-90) relèvent de la protection de l'environnement. Celle-ci inclut également la protection de la santé publique dans la mesure où elle vise à limiter les dangers pour la santé liés à une dégradation de l'environnement.

Le Pacte Vert pour l'Europe, ou Green Deal, est en ce sens une initiative majeure de la Commission européenne visant à rendre l'Union européenne plus durable. Annoncé en 2019, il vise la neutralité carbone d'ici 2050 en promouvant les énergies renouvelables, l'économie circulaire, la mobilité durable, la préservation de la biodiversité et une agriculture plus durable.

L'Union européenne a par ailleurs franchi une étape déterminante avec l'adoption des deux dernières propositions du paquet « Fit for 55 »[1], visant à réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d'au moins 55% d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Ces objectifs climatiques, désormais juridiquement contraignants, couvrent tous les secteurs clés de l'économie, marquant une avancée significative vers la réalisation du Pacte Vert pour l'Europe.[2]

Le Pacte Vert représente ainsi l'engagement de l'UE à lutter contre le changement climatique et à jouer un rôle de leader mondial dans la durabilité.

Dans la directe lignée de ce Pacte, le droit de la concurrence doit promouvoir et renforcer la compétitivité économique des solutions « vertes ».

Sur le sujet de la protection de l’environnement, la jurisprudence de la CJUE reste importante, d’abord parce que la protection de l'environnement, qui constitue l'un des objectifs essentiels de l'Union[3], peut justifier l'adoption de mesures nationales susceptibles d'entraver le commerce entre États membres dès lors que celles-ci demeurent proportionnées à l'objectif visé (CJCE, 15 novembre 2005, Allemagne, aff. C-320-03).

Lorsque la protection de l'environnement est invoquée pour justifier une mesure nationale restrictive, le juge européen n'est donc pas tenu d'examiner les arguments tirés de la protection de la santé publique (CJCE, 11 décembre 2008, Autriche, aff. C-524-07, V. égal. s'agissant d'une interdiction sectorielle de circuler dans le but de garantir la qualité de l'air ambiant : CJCE, 15 novembre 2005, Allemagne, aff. C-320-03). Pour être admise, la mesure restrictive ne doit pas aller au-delà du nécessaire (CJUE, 29 septembre 2016, Essent Belgium NV, aff. C-492-14, pour des réglementations régionales imposant un régime de distribution gratuite de l'électricité verte sur les réseaux de distribution, jugées disproportionnées). La réglementation nationale qui édicte une interdiction générale de circuler pour certains véhicules et en certains lieux sans apprécier au préalable la crédibilité du recours au ferroutage (CJCE, 15 novembre 2005, Allemagne, aff. C-320-03) ou un système de consignation et de reprise individuelle, dont le délai de transition ne permet pas aux opérateurs de s'adapter (CJCE, 14 décembre 2004, Allemagne, aff. C-463-01), a été jugée disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.

Ces questions apparaissent aussi dans le soutien que l’Autorité de la concurrence propose à travers sa politique de « porte ouverte », encourageant les acteurs impliqués dans la transition écologique à solliciter des conseils préalables sur leurs projets. En effet, les règles de concurrence ont un rôle essentiel à jouer dans la promotion du développement durable, en ce qu’elles influencent directement le comportement des entreprises.[4]

Partie 1 : Le cadre actuel du développement durable dans la concurrence

D’un point de vue économique, on pourrait être amené à penser que marché concurrentiel et écologie ne font pas bon ménage. Effectivement, en encourageant la réduction des prix, la concurrence joue un rôle crucial dans la stimulation de la consommation, en témoigne l’augmentation significative du nombre de passagers et de vols en Europe des suites de l’amélioration de la productivité et les baisses de prix dans le secteur du transport aérien.

Cette vision d’un consommateur uniquement intéressé par sa capacité à acheter le plus possible au prix le plus bas possible est en passe de devenir obsolète. Aujourd’hui, ces derniers intègrent à leur raisonnement économique d’achat des critères écologiques. Accompagné de réformes juridiques, ce changement dans le comportement des consommateurs pousse les acteurs économiques vers la nécessité d’intégrer des critères environnementaux et sociaux dans leurs pratiques commerciales.

Sur ce point, le Plan Stratégique pour les Technologies énergétiques (SET Plan) est une initiative essentielle qui coordonne les agendas de recherche et d'innovation européens et nationaux pour prioriser les solutions énergétiques à faible émission de carbone.

Ce plan vise à renforcer la résilience géopolitique de l'UE et la sécurité de l'approvisionnement en énergie, jouant un rôle central dans la direction des politiques énergétiques nationales.[5]

Mais, le droit de la concurrence, tel qu’il existe déjà, peut et a déjà été un outil contre les comportements préjudiciables sur le plan environnemental de certaines entreprises. Dans sa décision 17-D-20 du 18 octobre 2017 concernant le cartel des revêtements de sols, l’Autorité de la concurrence avait déjà fait valoir que les pratiques entraînant des répercussions négatives sur le développement durable sont considérées comme particulièrement graves :

« Pour déterminer le montant des sanctions, l'Autorité a notamment pris en compte la gravité des pratiques en cause, qui ont permis aux entreprises de s'abstraire du fonctionnement concurrentiel du marché sur une multitude de points (détermination des prix, planification des hausses de prix, politique commerciale etc.), d'échanger des informations sensibles et de mettre en place, sous l'égide du SFEC, une politique visant à s'interdire toute communication sur les performances environnementales individuelles de leurs produits respectifs. » ADLC, 18 octobre 2017, n° 17-D-20[6]

En substance, l'accord entre entreprises concurrentes par lequel celles-ci renoncent à se faire librement concurrence sur la base des mérites de leurs produits respectifs au regard des critères environnementaux, alors que ceux-ci s'imposent comme l'un des principaux critères de choix des distributeurs et des consommateurs finals, constitue une restriction de concurrence par objet.

En effet, ces pratiques ont un effet dissuasif sur la volonté des entreprises d’innover et d’améliorer leurs performances environnementales. Il s’agissait en l’espèce du fait pour les leaders du marché des sols en PVC et linoléum d’éviter délibérément la concurrence basée sur les mérites environnementaux de leurs produits, en s'abstenant de les promouvoir comme un argument commercial.

Partie 2: Vers une nouvelle synergie entre concurrence et écologie

Toutefois, face à l’urgence climatique, le droit de la concurrence ne peut se contenter de sanctionner les comportements qui tombent sous le joug des articles 101 et 102 du TFUE. Plus encore, l'objectif est d’ajuster la politique de la concurrence de manière à générer des signaux et des incitations positives, tout en évitant de fausser la concurrence et ses impacts positifs sur l'innovation et les prix.

C’est dans cette optique que les lignes directrices sur les accords de coopération horizontale comportent désormais un chapitre consacré à l’évaluation des accords poursuivant des objectifs de durabilité. L'approche générale vise à encourager les véritables innovations environnementales tout en dissuadant les pratiques d'écoblanchiment et les initiatives disproportionnées par rapport aux gains environnementaux. Les bénéfices indirects pour le consommateur, tels que la réduction de la pollution, sont également pris en compte. De plus, les lignes directrices introduisent la notion d’« avantages collectifs », précisant que les gains d'efficacité réalisés sur des marchés connexes peuvent être pris en considération.

Les lignes directrices clarifient notamment les cas d’entente licite entre concurrents que ce soient des cas exemptés par catégorie ou des cas pouvant bénéficier d’une exemption individuelle au titre du paragraphe 3 de l’article 101 du TFUE.

Reste à voir ce que les entreprises implémenteront conformément, ou non, avec ces nouvelles lignes directrices et la réception de ces nouvelles pratiques par les autorités nationales de concurrence.

Par ailleurs, la nouvelle réglementation européenne sur les chaînes d'approvisionnement exemptes de déforestation représente un jalon dans la lutte contre le changement climatique et la perte de biodiversité. Elle concrétise le souhait des citoyens européens de ne plus contribuer à la déforestation mondiale par leur consommation. Une fois appliquée, elle garantira que certains biens clés exportés ou mis sur le marché de l'UE soient produits sans causer de déforestation.[7]

Le « Net-Zero industry act » prévoit également que l'Europe produise 40% des technologies à zéro émission nette selon les Plans Nationaux Énergie et Climat (NECPs) et capture 25% de la valeur du marché mondial pour ces technologies. Le législateur européen cherche à élargir la portée des règles pour englober l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement. De plus, la Commission européenne a présenté un Plan d'Action Européen pour l'Énergie Éolienne, assurant que la transition énergétique propre s'accompagne de compétitivité industrielle et que le pouvoir éolien continue d'être une réussite européenne.[8][9]

Finalement, s’il est trop tôt pour mesurer l’effet de ces nouvelles dispositions, il n’en reste pas moins qu’elles s’inscrivent dans une dynamique législative qui cherche à trouver un équilibre entre assurer la sécurité juridique et ne pas entraver les initiatives vertueuses par une application trop rigide du droit de la concurrence.[10]

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Notes de bas de page :

[1] https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/green-deal/fit-for-55-the-eu-plan-for-a-green-transition/

[2] https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/priorities-2019-2024/european-green-deal_en

[3] Art. 3 TUE (ancien art. 2 CE) : "L'Union a pour but de promouvoir […] un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement".

[4] https://www.autoritedelaconcurrence.fr/fr/page-riche/developpement-durable-et-concurrence

[5] https://joint-research-centre.ec.europa.eu/jrc-news-and-updates/mapping-landscape-clean-energy-research-and-innovation-eu-2023-11-14_en

[6] V. également ADLC, 9 septembre 2021, n° 21-D-21,  l’ADLC a sanctionné des pratiques anticoncurrentielles freinant la transition numérique dans le secteur du transport routier, ayant potentiellement des effets négatifs pour l’environnement.

[7] https://environment.ec.europa.eu/news/green-deal-new-law-fight-global-deforestation-and-forest-degradation-driven-eu-production-and-2023-06-29_en

[8] https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/priorities-2019-2024/european-green-deal_en

[9] https://www.europarl.europa.eu/news/en/agenda/briefing/2023-11-20/6/plans-to-boost-europe-s-net-zero-technology-production

[10] Pour une décision récente V. CJUE, 3e ch., 19 janvier 2023, n° C-147/21 :

  • Une réglementation nationale peut interdire certaines pratiques commerciales telles que des remises, des rabais, des ristournes, la différenciation des conditions générales et particulières de vente, la remise d’unités gratuites ou toutes pratiques équivalentes, portant sur les produits biocides relevant des types de produits 14 et 18, dès lors que cette réglementation est justifiée par des objectifs de protection de la santé et de la vie des personnes ainsi que de l’environnement, qu’elle est propre à garantir la réalisation de ces objectifs et qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre.
  • Une réglementation nationale peut interdire la publicité à destination du grand public en faveur des produits biocides, dès lors que cette réglementation est justifiée par des objectifs de protection de la santé et de la vie des personnes ainsi que de l’environnement, qu’elle est propre à garantir la réalisation de ces objectifs et qu’elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre.
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