L'application du droit de la concurrence aux associations Sportives : FIFA, UEFA et ISU
Dans le cadre juridique de l'Union Européenne, la Cour de justice a rappelé que les associations sportives telles que la FIFA, l'UEFA et l'International Skating Union (ISU) sont assujetties aux règles de concurrence énoncées dans le Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE). Cette application s'étend aux activités économiques liées à l'organisation et à la gestion des compétitions sportives.
Les règles adoptées par ces associations, spécifiquement celles régissant le régime d'autorisation préalable des compétitions, tombent sous le coup des articles du TFUE relatifs à la concurrence, à la libre circulation des travailleurs, à la libre prestation de services, à l'établissement et aux mouvements de capitaux. Ces règles doivent ainsi respecter les principes de non-discrimination, de transparence et de proportionnalité pour être conformes au droit de l'Union.
Les exceptions à l'application des règles économiques sont limitées et ne concernent que les règlements purement sportifs, tels que ceux relatifs à la composition des équipes nationales ou aux critères de classement pour les compétitions individuelles. En dehors de ces exceptions, les règles ayant un impact sur le travail et la prestation de services des athlètes professionnels ou semi-professionnels sont asujetties au TFUE.
Ainsi, le comportement des associations sportives en matière d'autorisation préalable et de gestion des droits économiques liés aux compétitions est évalué à l'aune des articles 101 et 102 TFUE concernant les pratiques anticoncurrentielles et l'abus de position dominante. Ces dispositions imposent que les associations agissant en tant qu'entreprises respectent les règles de concurrence pour maintenir un marché équitable et ouvert.
Cette interprétation juridique met en évidence la dualité des associations sportives en tant qu'entités régulatrices du sport et acteurs économiques, soumises aux exigences du droit de la concurrence de l'UE et renforce l'obligation pour ces associations de veiller à ce que leurs règlements et pratiques commerciales puissent garantir l'intégrité et la compétitivité dans le domaine sportif.
L’affaire Superleague
CJUE, gr. ch., 21 décembre 2023, n° C-333/21
a. Le contexte de l'affaire
La FIFA et l'UEFA, toutes deux associations de droit suisse, ont le pouvoir d'autoriser les compétitions internationales de football professionnel, y compris les compétitions interclubs. European Superleague Company (ESLC), une société espagnole, a été constituée par plusieurs clubs de football professionnels dans le but d'organiser une nouvelle compétition européenne annuelle de football interclubs, dénommée « Superleague ». La création de cette compétition a été conditionnée à la reconnaissance par la FIFA ou l'UEFA, qui ont cependant refusé de reconnaître la Superleague et menacé de sanctions les clubs et joueurs participants. Ainsi, par une série de questions préjudicielles, les tribunaux espagnols souhaitent savoir si les règlements de la FIFA et de l’UEFA, en ce qu’ils concernent les compétitions sportives à naître, enfreignent le droit de l’Union.
b. L’analyse de la Cour
Même si la FIFA et l’UEFA ne jouissent pas d’un monopole légal et que des entreprises concurrentes peuvent, en théorie, créer de nouvelles compétitions qui ne seraient pas soumises aux règles adoptées et appliquées par ces deux associations, leur position dominante sur le marché de l’organisation et de la commercialisation des compétitions internationales de football interclubs est telle qu'en pratique, il est impossible de créer, de façon viable, une compétition extérieure à leur écosystème, compte tenu du contrôle qu’elles exercent, directement ou par l’intermédiaire des associations nationales de football qui en sont membres, sur les clubs, sur les joueurs ainsi que sur d’autres types de compétitions, comme celles qui sont organisées au niveau national.
Ainsi, dans la mesure où les règles d’autorisation préalable et de participation qui permettent de soumettre l’organisation et le déroulement des compétitions internationales de football professionnel à des règles communes destinées à garantir l’homogénéité et la coordination de ces compétitions et, plus largement, à promouvoir la tenue de compétitions sportives fondées sur l’égalité des chances et le mérite, sont légitimes dans le contexte spécifique du football professionnel et des activités économiques auxquelles l’exercice de ce sport donne lieu, ni l’adoption de celles-ci ni leur mise en œuvre ne peuvent être qualifiées, dans leur principe et de façon générale, d’exploitation abusive d’une position dominante (en particulier compte tenu de la « considérable importance non seulement sociale et culturelle, mais aussi médiatique » que revêt le football au sein de l’Union Européenne).
Cependant, l’adoption et la mise en œuvre de règles d’autorisation préalable et de participation qui, de façon générale, ne sont pas assorties de limites, d’obligations et d’un contrôle propres à exclure le risque d’exploitation abusive d’une position dominante, et qui ne sont pas encadrées par des critères matériels et par des modalités procédurales propres à garantir leur caractère transparent, objectif, précis et non discriminatoire, alors même qu’elles confèrent à l’entité qui est appelée à les mettre en œuvre le pouvoir d’empêcher toute entreprise concurrente d’accéder au marché, doivent être considérées comme violant l’article 102 TFUE.
De même, sur le terrain de l’entente, de telles modalités doivent également être remplies pour ne pas tomber sous le coup de l’article 101. En effet, le fait pour deux associations sportives d’autoriser préalablement la tenue d’une compétition concurrente et de sanctionner les participants constitue une décision d’association d’entreprise, restreignant par objet la concurrence.
Enfonçant encore un clou dans le cercueil des règlements de l’UEFA et de la FIFA, la Cour observe par ailleurs qu’aucune exemption ne permet de justifier de telles violations : les articles 101, paragraphe 3, et 102 TFUE doivent être interprétés en ce sens que des règles par lesquelles des associations qui sont responsables du football aux niveaux mondial et européen et qui exercent en parallèle différentes activités économiques liées à l’organisation de compétitions, subordonnent à leur autorisation préalable la création, sur le territoire de l’Union, de compétitions de football interclubs par une entreprise tierce et contrôlent la participation des clubs de football professionnel et des joueurs à de telles compétitions, sous peine de sanctions, ne peuvent bénéficier d’une exemption à l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ou être considérées comme étant justifiées au regard de l’article 102 TFUE que s’il est démontré, au moyen d’arguments et d’éléments de preuve convaincants, que toutes les conditions requises à ces fins sont remplies.
Les articles 101 et 102 TFUE s’opposent encore à des règles édictées par des associations responsables du football aux niveaux mondial et européen, et exerçant en parallèle différentes activités économiques liées à l’organisation de compétitions en ce que celles-ci attribuent à ces mêmes associations un pouvoir exclusif en matière de commercialisation des droits en cause, à moins qu’il ne soit démontré, au moyen d’arguments et d’éléments de preuve convaincants, que toutes les conditions requises pour que ces règles puissent bénéficier, au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, d’une exemption à l’application du paragraphe 1 de cet article et être considérées comme étant justifiées au regard de l’article 102 TFUE sont remplies.
Finalement, la Cour a analysé cette affaire à la lumière de l’article 56 TFUE, qui traite de la libre prestation de services. Sans surprise, les règles en cause ont été jugées comme constituant une entrave à cette liberté, sans être justifiées par un objectif légitime d’intérêt général.
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L’affaire ISU
CJUE, gr. ch., 21 décembre 2023, n° C-124/21 P
Si, dans cette décision, le patinage n'est pas qualifié de sport revêtant une importance considérable au sein de l’Union, celle-ci reprend de nombreux raisonnements de la décision n° C-333/21 (cf. supra).
a. Le contexte de l’affaire
L'International Skating Union (ISU) a instauré des règles d'autorisation préalable et d'éligibilité pour la participation à des compétitions de patinage de vitesse sur glace. Ces règles étaient accompagnées d'un régime de sanctions et d'un système d'arbitrage exclusif via le Tribunal arbitral du sport. La Commission européenne, saisie par deux patineurs professionnels, a jugé que ces règles étaient anticoncurrentielles, car elles limitaient la liberté des athlètes de participer à des compétitions organisées par des tiers, restreignant ainsi la concurrence dans le domaine des compétitions internationales de patinage.
b. L’analyse de la Cour
L'analyse de la Cour a révélé que l'ISU, en sa qualité d'association d'entreprises exerçant une activité économique, était sujette aux règles de concurrence établies par l'UE. En effet, en imposant des règles d'autorisation préalable pour l'organisation des compétitions, l'ISU exerçait une influence considérable sur le marché des compétitions de patinage, contrôlant potentiellement l'accès des concurrents et limitant la diversité des compétitions disponibles pour les athlètes et les spectateurs.
Un point clé de la décision a été le manque de critères objectifs, transparents et non discriminatoires dans l'application de ces règles d'autorisation préalable par l'ISU. Cette absence de critères clairs et justifiables rendait les règles potentiellement arbitraires et discriminatoires, offrant à l'ISU la possibilité d'exclure ou de limiter l'entrée de nouveaux organisateurs de compétitions sur le marché. Ce pouvoir discrétionnaire, s'il est mal exercé, peut mener à une restriction injustifiée de la concurrence, en favorisant les événements organisés par l'ISU au détriment de ceux organisés par des tiers.
En outre, la Cour a souligné que ces restrictions imposées par l'ISU avaient un impact direct sur les athlètes et les organisateurs de compétitions tiers. Les athlètes se trouvaient limités dans leur capacité à participer à des compétitions alternatives, ce qui réduisait non seulement leurs opportunités professionnelles mais aussi la diversité des choix offerts aux consommateurs. De même, pour les organisateurs tiers, ces règles représentaient un obstacle significatif à l'entrée sur le marché des compétitions de patinage, limitant ainsi la concurrence et l'innovation dans ce sport. La Cour a ainsi vu au sein de telles règles une restriction de la concurrence par « objet » réprimée à l'article 101, paragraphe 1 du TFUE.
c. La décision de la Cour concernant les règles arbitrales
Le règlement ISU impose un passage devant un tribunal arbitral pour régler une décision d’inéligibilité.
La Commission avait considéré que ces règles d’arbitrage renforçaient l’infraction à l’article 101 en rendant plus difficile le contrôle juridictionnel des sentences arbitrales par lesquelles le TAS se prononce sur les décisions adoptées par l’ISU en vertu de ses pouvoirs discrétionnaires. Or, le Tribunal, quant à lui, n’a pas suivi la Commission dans son raisonnement. Ainsi, l’avis de la Cour était particulièrement attendu sur cet aspect.
Ainsi, tout en relevant qu’un particulier a la possibilité de souscrire une convention qui soumet, dans des termes clairs et précis, tout ou partie des litiges liés à celle-ci à un organe arbitral, en lieu et place de la juridiction nationale qui aurait été compétente pour se prononcer sur ces litiges en vertu des règles de droit interne applicables, et que les exigences tenant à l’efficacité de la procédure arbitrale peuvent justifier que le contrôle juridictionnel des sentences arbitrales revête un caractère limité, la Cour n’en a pas moins rappelé qu’un tel contrôle juridictionnel doit, en tout état de cause, pouvoir porter sur la question de savoir si ces sentences respectent les dispositions fondamentales qui relèvent de l’ordre public de l’Union, dont font partie les articles 101 et 102 TFUE. Une même exigence s’impose à plus forte raison quand un tel mécanisme d’arbitrage doit être considéré comme étant, en pratique, imposé par un sujet de droit privé, tel qu’une association sportive internationale, à un autre, tel qu’un athlète.
Le respect de cette exigence d’un contrôle juridictionnel effectif vaut tout particulièrement pour des règles d’arbitrage comme celles imposées par l’ISU.
Par conséquent, la Cour annule partiellement l’arrêt du Tribunal sur ce qu’il a décidé concernant les règles d’arbitrage.
L'équilibre délicat entre régulation d’un sport et restriction de concurrence
En définitive, ces décisions rappellent avec force que, même dans le domaine du sport, les activités économiques doivent se conformer aux règles de concurrence établies par l'Union Européenne. Elle souligne que les fédérations sportives, tout en jouant un rôle essentiel dans la promotion et la régulation de leur sport, doivent veiller à ce que leurs règles n'entravent pas indûment la concurrence sur le marché. Les restrictions imposées doivent être justifiables, proportionnées et appliquées de manière équitable pour garantir que la régulation sportive ne se fasse pas au détriment d'une concurrence saine.
Ces décisions mettent en lumière le défi pour les fédérations sportives de trouver un équilibre entre leurs responsabilités réglementaires et la nécessité de respecter le cadre juridique du marché unique européen. Elle réaffirme l'idée que les règles de gouvernance sportive doivent être élaborées de manière à favoriser un environnement compétitif, innovant et équitable pour tous les acteurs impliqués, des athlètes aux organisateurs de compétitions, tout en protégeant les intérêts des consommateurs et des spectateurs.
La portée de ces décisions dépassent largement le cadre du football ou du patinage, envoyant un message clair à toutes les fédérations sportives internationales sur l'importance de la conformité avec les principes de concurrence de l'UE. Elle insiste sur la nécessité d'une gouvernance sportive transparente, responsable et soucieuse de maintenir un équilibre entre les objectifs sportifs et les exigences du marché.
Pour Patrick Bayeux :
La création de ligues fermées alternatives ne signifie pas forcément la fin du modèle sportif européen. Certaines existent déjà, notamment l’Euroleague de basket. L’Europe ne peut s’ériger en forteresse sportive, face au reste du monde qui pratique déjà une forme de libéralisme sportif, et qui la concurrence rudement (comme le font la Chine, l’Inde et les pays du Moyen Orient).
On peut estimer que les jugements rendus par la Cour sont équilibrés, car ils actent une ouverture nécessaire à une forme de concurrence, tout en renforçant l’état de droit qui est une constante de la construction européenne.