Unilever perd une bataille contre le distributeur Intermarché

Le jeudi 8 février 2024, le Tribunal de commerce de Paris, saisi d’une demande en référé par Unilever France, a donné raison à l’enseigne Intermarché qui dénonçait ses pratiques de shrinkflation et de réduflation.

Publié le 
10/6/2024
Unilever perd une bataille contre le distributeur Intermarché

Le rappel des faits objets du litige

Dans une de ses campagnes de communication, Intermarché diffusait des slogans publicitaires détournés de certaines grandes marques du portefeuille d’Unilever. L’objectif pour l’enseigne de distribution était de fustiger des demandes de tarifs jugées trop importantes, ou de dénoncer des cas de « shrinkflation » et de « réduflation ». Pour rappel, ces pratiques sont des stratégies économiques, consistant à réduire les quantités ou la taille des produits, tout en laissant les prix inchangés ou en les augmentant.

Par cette critique des méthodes commerciales adoptées par certaines marques, Intermarché dit espérer « que ce type de campagnes permette aux industriels concernés de faire preuve de plus de transparence et de modération », particulièrement dans le contexte d’inflation actuel.

De l’autre côté, les industriels tels que la marque Findus, se défendent en expliquant devoir revoir leur grammage pour faire face à l’inflation des coûts et optimiser leur processus de production.

L’action en justice d’Unilever

En ce début d’année 2024, Unilever a assigné Intermarché pour campagne publicitaire dénigrante, alors même que les deux entreprises se trouvaient en pleines négociations commerciales, durant lesquelles les industriels et les distributeurs se mettent d’accord sur les prix d’achat et de vente, ainsi que sur la visibilité en magasin notamment.

Sur les affichages, les consommateurs pouvaient notamment lire « Knorr, j’adore j’adorais », que les glaces Carte d’Or « n’y vont pas avec le dos de la cuillère », « Magnum, avant ça voulait dire grand », et que la hausse des prix des surgelés Findus « ça jette un froid ». Intermarché indiquait également que « pour votre pouvoir d’achat, nous refusons l’augmentation que [nom de la marque] veut imposer. Ainsi, malgré tous nos efforts pour parvenir à un prix juste tenant compte de l’intérêt de nos clients, vous ne trouverez plus cette marque dans nos rayons », et précisait le taux d’augmentation des produits.

Unilever a très vite réagi en chargeant des commissaires de justice de se rendre dans plusieurs magasins pour les sommer de cesser ces affichages.

Intermarché a précisé que ces campagnes d’alertes, qui sont menées depuis plusieurs mois, ne se cantonnent pas aux marques d’Unilever. Mais l’industriel n’apprécie guère le ton moqueur du distributeur, et juge dans son assignation que « Les messages laissent à penser que la requérante aurait un comportement défavorable à l’égard du consommateur ».

Cette action marque un nouvel épisode de la guerre entre industriels et distributeurs, et l’enseigne du groupement des Mousquetaires reçoit cette attaque comme une tentative de déstabilisation et de pression, au regard du contexte de négociations commerciales durant laquelle elle intervient.

L’alerte lancée aux pouvoirs publics

Intermarché alerte également les pouvoirs publics et les prie d’agir pour encadrer de telles pratiques, afin de protéger davantage les consommateurs.

A ce titre, le gouvernement français a récemment déposé un projet d’arrêté européen à la Commission européenne, afin d’obliger l’information des consommateurs en cas de shrinkflation, par le biais d’une mention telle que « pour ce produit, la quantité vendue est passée de [ancienne quantité] à [nouvelle quantité] et son prix a augmenté de [pourcentage ou montant de l’augmentation] ».

Cependant, pour le moment, une telle obligation incomberait aux distributeurs, bien que ces derniers plaident pour que cette obligation repose plutôt sur les fournisseurs.

Et gare à ceux qui dénoncent des pratiques qu’ils appliquent eux-même !

En effet, l’enseigne Carrefour, s’est vue reproché d’avoir affiché des produits et fournisseurs coupables de shrinkflation tels que Pepsi Co., alors que le distributeur était lui-même accusé de perpétrer de tels actes dès avril 2021. Le Tribunal de commerce a dès lors, condamné Carrefour à retirer de ses rayons ses affichettes, notamment parce que le discours n’était pas quantifié, qu’il revêtait un caractère vague et subjectif, et que ces pratiques n’étaient pas neutres puisqu’elles pouvaient bénéficier à l’enseigne (Tribunal de commerce de Paris, 24 janvier 2024, n°2023069037).

Le verdict du juge commercial : victoire pour Intermarché

Unilever reproche à Intermarché d’avoir tenu des propos dénigrants sur ses affiches.

Or, le dénigrement est une pratique de concurrence déloyale, qui consiste à porter atteinte à l’image d’une marque, d’une entreprise ou d’un produit désigné ou identifiable, en utilisant des propos ou des arguments répréhensibles, qu’importe le fait qu’ils reposent sur une base exacte ou non. En outre, la divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent constitue un dénigrement, peu importe qu’elle soit exacte (Cour d’appel de Versailles, 18 janvier 2024, n°22/01220). Le but du dénigrement est de toucher les clients, c’est pourquoi les victimes sont essentiellement des professionnels, qui engagent la responsabilité civile délictuelle des auteurs de la pratique.

De plus, l’auteur d’un dénigrement cherche aussi à affaiblir l’entreprise visée par la critique déloyale, souvent afin d’accroître son propre prestige. Néanmoins, l’intérêt commercial et le statut de concurrent de l’auteur du dénigrement ne sont pas des conditions pour qualifier le dénigrement.

L’avocat du géant néerlando-britannique avait également choisi d’agir sur le terrain des pratiques commerciales déloyales ou trompeuses, estimant que les affiches affirmaient que les prix pratiqués par Unilever étaient trop élevés.

À la question « En détournant de façon humoristique les slogans publicitaires de marques pratiquant le réduflation et le shrinkflation, un distributeur se rend-il coupable de dénigrement ou de pratique commerciale déloyale ou trompeuse ? », le juge répond par la négative.

Le Tribunal de commerce retient dans son ordonnance de référé que « Il n'y a pas de dénigrement lorsque l'information délivrée se rapporte à un débat d'intérêt général, repose sur une base factuelle suffisante et est exprimée avec mesure », et que « même si les critiques d'Intermarché peuvent paraître sévères, le libellé des affichettes litigieuses n'est pas pour autant outrancier et repose sur une base factuelle suffisante, qui s'inscrit en outre dans un débat d'intérêt général sur les pratiques actuelles de réduflation et de hausses tarifaires injustifiées de certains industriels ».

La juridiction commerciale estime donc que les pratiques de « name and shame » (pratique consistant à déclarer publiquement qu’une entreprise agit de manière fautive, ou à publier les sanctions prononcées à son encontre, notamment en cas d’infraction aux règles de protection des consommateurs) ne relèvent pas du dénigrement, mais bien du droit légitime à informer sur une pratique commerciale déloyale et trompeuse. Le ton humoristique d’Intermarché respecte les limites de l’acceptable.

Cette décision marque une victoire pour Intermarché. Le droit de critique loyale portant sur un sujet d’intérêt général, ainsi que la liberté d’expression, l’emportent.

Intermarché n’est donc pas encore prêt de cesser ses alertes clientèles, et les enseignes pratiquant le shrinkflation n’ont qu’à bien se tenir !
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