Malgré ses affirmations d’avoir quelque dix millions d'utilisateurs payants dans le monde, les chiffres de Tinder révèlent une tendance à la baisse, soulevant des questions sur la gestion de l'entreprise.
Non-conformité avec le Digital Markets Act
Depuis l'entrée en vigueur du Digital Markets Act (DMA) le 6 mars dernier, l'attention se porte davantage sur les pratiques commerciales des géants du numérique. Une enquête avait déjà été ouverte contre la société Tinder à la suite de plaintes déposées en Suède et aux Pays-Bas, dès juillet 2022. Les autorités locales de consommation avaient alors établi que "Tinder appliquait des prix personnalisés sans en informer les consommateurs, ce qui est contraire aux lois de la consommation dans l'UE", a précisé la Commission dans un communiqué de presse, le 7 mars 2024, mettant ainsi en garde la société. Il s’agit pour l’instant d’un simple avertissement, mais au vu de la récente sanction infligée à Apple (1.84 milliard d’euros), Tinder a tout intérêt à coopérer et à répondre aux exigences de la Commission européenne.
Des prix personnalisés problématiques
Les reproches de la Commission portent notamment sur le manque d'informations claires données aux consommateurs concernant les promotions et les tarifs proposés par l’application. Un manque d’informations qui compromet la transparence et le droit à une prise de décision éclairée des utilisateurs.
En effet, une étude menée en 2022 en Suède révèle que Tinder n’appliquait pas moins de 36 tarifs différents, certains utilisateurs payant l’équivalent de 3 dollars alors que d’autres étaient contraints de payer jusqu’à 36 dollars, pour le même service. En principe, l’application offre un service de base gratuit, mais propose également des abonnements payants, tels que Tinder Plus et Tinder Gold. Ces abonnements proposent des fonctionnalités supplémentaires telles que des « likes » illimités, la possibilité de rembobiner un « swipe », des « Super Likes » supplémentaires, la visualisation des personnes qui ont déjà « swipé » vers la droite, etc. Par ailleurs, en 2023, l’application de rencontres avait également lancé un nouvel abonnement premium « Tinder Select », pour la modique somme de 499 dollars par mois. Cette formule très sélect -accessible sur invitation seulement- est proposée à moins de 1 % des utilisateurs « extrêmement actifs », mais sans préciser outre mesure les conditions pour accéder à cette offre.
L’enquête conclut que Tinder utilise des moyens automatisés pour, par exemple, identifier les consommateurs qui ont manifesté peu ou pas d'intérêt pour leurs services premium au prix normal et leur proposer ensuite des réductions personnalisées. En outre, Tinder a également reconnu qu’elle avait proposé aux « jeunes » utilisateurs un tarif plus avantageux qu’à ceux plus âgés, sans communiquer dessus. Néanmoins, un porte-parole de Tinder a affirmé que la société avait mis fin à cette pratique en avril 2022, soit avant le début de l’enquête.
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Une concurrence pouvant être considérée comme déloyale
Les offres promotionnelles sont désormais très encadrées par le DMA pour éviter de tromper les consommateurs. Dès lors, cette pratique de prix différenciés peut être considérée comme étant déloyale puisque cela empêche les utilisateurs de la plateforme, non informés, de faire un choix éclairé sur la formule à sélectionner.
En effet, Didier Reynders, commissaire européen chargé de la justice, a déclaré que :
"Chacun sait que le prix est indéniablement le facteur déterminant le plus important pour les consommateurs. Toutefois, les techniques de personnalisation annulent la possibilité de comparer les prix, ce qui prive les consommateurs, dans les faits, de leur pouvoir de décision en matière d’achats. C’est la raison pour laquelle le droit des consommateurs de l’UE exige maintenant que les professionnels indiquent si leur prix est personnalisé par des moyens automatisés.
Le marché unique se méfie effectivement des différences de traitement entre les consommateurs qui doivent répondre à des motifs pertinents étant entendu que la nationalité ne fait pas partie des motifs admis (Règlement 2018/302 du Parlement européen et du Conseil du 28 février 2018 et 2017/2394, ainsi que la directive 2009/22/CE). Cependant, l’enquête de l’autorité suédoise ne démontre pas que Tinder utilise la nationalité ou le lieu de résidence comme motif pour appliquer des prix différents à ses utilisateurs, sans pour autant trouver d’explication claire et logique à cette différenciation. Or, les professionnels doivent désormais fournir des informations sur la façon dont ils fixent leur prix, mais sont également contraints d’informer les consommateurs de toute tarification personnalisée fondée sur des moyens automatisés.
Des informations complémentaires à venir
Match Group, la société mère de Tinder, a récemment réagi à l'avertissement de la Commission en promettant d'améliorer la transparence des informations fournies aux utilisateurs et d’informer clairement les consommateurs sur les offres promotionnelles et les éventuelles disparités de prix d’ici la fin du mois d’avril 2024.
C'est pourquoi Didier Reynders a ajouté :
Je me réjouis que Tinder veille désormais à ce que les droits des consommateurs soient pleinement respectés.
La Commission surveillera activement la mise en œuvre des engagements pris par Tinder. Elle veillera à leur respect et pourra éventuellement infliger des amendes à l’entreprise en cas de non-conformité avec le Règlement 2017/2394 sur la coopération entre les autorités nationales chargées de veiller à l’application de la législation en matière de protection des consommateurs.
Cette mise en garde adressée au leader de la rencontre en ligne souligne l’importance, pour les entreprises du digital, d’être transparentes dans la mise en œuvre de leurs pratiques commerciales. Il rappelle également que la conformité aux réglementations européennes en matière de consommation est cruciale pour toutes les entreprises opérant sur le marché unique.