L’expiration du brevet sur le principe actif du Périndopril
Servier a mis au point et commercialise le Périndopril, un médicament destiné à traiter certaines maladies cardiaques. Au cours des années 2000, le brevet sur le principe actif du périndopril est arrivé à expiration et est donc tombé dans le domaine public.
Servier a déposé des demandes de brevets portant notamment sur le procédé de fabrication de son principe actif. Plusieurs sociétés de génériques en ont contesté la validité, initiant donc des litiges.
Servier a conclu des accords de règlement amiable avec certaines d’entre elles, aux termes desquels elles renonçaient à contester le brevet et à entrer sur le marché du Périndopril, en contrepartie d’une rémunération.
Les fabricants suivants sont en cause : Lupin, Krka, Niche Generics, Unichem Laboratories, Mylan Laboratories, Teva et Biogaran.
Les accords de règlement amiable et la libre concurrence
Les accords de règlement amiable sont conclus dans le cadre d’un contentieux entre deux ou plusieurs parties afin de mettre fin à ce litige.
Le droit du titulaire d'un brevet ne peut ainsi être appréhendé par l'article 101 TFUE en l'absence de concertation. Il en va autrement lorsque le titulaire du brevet passe un accord de “pay for delay” avec des concurrents qui n'est pas objectivement nécessaire à la protection de son droit, puisqu'il pourrait atteindre ce résultat en intentant des actions en contrefaçon ou en négociant un règlement amiable avec eux sans entraîner leur exclusion du marché.
En effet, si la conclusion d'un accord de règlement amiable avec un contrefacteur qui n'excède pas la portée et la durée de validité restant à courir du brevet constitue l'expression du droit de propriété intellectuelle de son titulaire, le brevet n'autorise pas ce dernier à conclure des accords contraires à l'article 101 TFUE ou à adopter des pratiques collusoires qui présentent un degré de nocivité suffisant pour être qualifiées de restriction par objet.
La saga judiciaire du Périndopril
Les amendes de la Commission et la saisine du TUE
En 2014, la Commission a considéré que ces accords constituaient des restrictions de concurrence. Selon elle, Servier avait donc mis en place une stratégie d’exclusion qui représentait un abus de position dominante.
Elle a infligé des amendes de plus de 330 millions d’euros à Servier et d’environ 97 millions d’euros aux fabricants de génériques concernés qui ont décidé de saisir le Tribunal de l’Union.
Le TUE, en 2018, a partiellement rejeté les recours de Servier et des fabricants contre la décision de la Commission, confirmant de la sorte le caractère infractionnel desdits accords dans plusieurs cas :
- Les accords conclus entre Servier et Niche/Unichem ;
- Les accords conclus entre Servier et Matrix (devenu Mylan) ;
- Les accords conclus entre Servier et Teva ;
- Les accords conclus entre Servier et Lupin.
Il a toutefois annulé la décision de la Commission en ce qui concerne :
- L’abus de position dominante de Servier ;
- Les accords conclus entre Servier et Krka.
Le groupe pharmaceutique français, sa filiale Biogaran, ainsi que les sociétés de génériques qui avaient été sanctionnées ont formé des pourvoi contre les décisions du Tribunal. La Commission a, elle aussi, formé des pourvois contre les arrêts annulant sa décision.
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Les décisions de la CJUE
La Cour de Justice de l’UE a confirmé les jugements du Tribunal de l’UE, affirmant que les accords conclus par Servier et les fabricants restreignaient la concurrence.
Elle a rejeté les pourvois formés par les entreprises Lupin (décision C-144/19 P), Niche Generics (décision C-164/19 P), Unichem Laboratories (décision C-166/19 P), Mylan (décision C-197/19 P), Teva (décision C-198/19 P) et Biogaran (décision C-207/19 P).
Ces sociétés restent donc redevables des amendes infligées par la Commission.
Décision C-144/19 P
La Cour juge dans cette décision notamment que :
La présence, dans un accord de règlement amiable d’un litige relatif à un brevet, de clauses de non-contestation et de non-commercialisation dont la portée s’étend au-delà du champ d’application de ce brevet présente un degré de nocivité suffisant pour le bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence pour que leur insertion soit qualifiée de restriction par objet, sans qu’il soit même besoin de démontrer, en sus, l’existence d’une incitation.(1)
Décision C-164/19 P
La Cour juge de nouveau ici que :
Lorsque des accords de règlement amiable ont pour véritable cause non pas la reconnaissance par les parties de la validité des brevets, mais une incitation du fabricant de médicaments génériques à se soumettre à des clauses de non-commercialisation et de non-contestation, les restrictions de concurrence qui en résultent ne peuvent être regardées comme étant objectivement nécessaires et ainsi comme constituant l’accessoire d’un règlement amiable. (2)
L'annulation de certains arrêts du Tribunal
Toutefois, la Cour annule partiellement l’arrêt du Tribunal Servier e.a./Commission (T-691/14) et annule l’arrêt du Tribunal Krka/Commission (T-684/14), qui contestait la décision de la Commission.
Selon la Cour, le Tribunal a commis des erreurs de droit sans avoir statué ni sur les irrégularités qui auraient affecté l’analyse économétrique de la Commission, ni examiné, de manière autonome, la définition du marché de la technologie relative au principe actif du périndopril et l’existence d’une position dominante de ladite entreprise sur ce marché. Dès lors, le litige n’était pas en état d’être jugé, de sorte qu’il y a lieu de renvoyer l’affaire au Tribunal.
La distinction entre démarche légitime et atteinte à la concurrence
Ces affaires permettent de préciser la distinction entre :
- les démarches légitimes des fabricants de médicaments consistant à régler à l’amiable de véritables litiges dans le secteur pharmaceutique et
- les accords qui partagent de manière illégale le marché d’un produit pharmaceutique par le biais d’un règlement amiable de litiges en matière de brevets.
Notes de bas de page :
(1) Analyse des juristes Livv sous la décision C-144/19 disponible sur Livv.eu pour nos abonnés
(2) Analyse des juristes Livv sous la décision C-164/19 disponible sur Livv.eu pour nos abonnés