La CJUE face aux règles de transfert de joueurs professionnel de la FIFA : l’interprétation des articles 45 et 101 du TFUE

La Cour de justice de l’Union européenne a jugé contraires au droit de l’Union européenne les règles de la FIFA en matière de transfert des joueurs professionnels de football.

Publié le 
23/10/2024
La CJUE face aux règles de transfert de joueurs professionnel de la FIFA : l’interprétation des articles 45 et 101 du TFUE
 

Conflit contractuel entre Lassana Diarra et le Lokomotiv Moscou

L’ancien joueur de foot Lassana Diarra avait signé en 2013 un contrat de travail d’une durée de quatre années avec le Futbolny Klub Lokomotiv, également connu sous le nom de Lokomotiv Moscou, club de football professionnel établi en Russie.

En août 2014, le club de football russe a résilié le contrat du joueur pour des motifs liés à son comportement en réaction à une forte réduction de son salaire. Le club a ensuite saisi la chambre de résolution des litiges (CRL) en septembre de la même année d’une demande tenant à la condamnation de Lassana Diarra au paiement d’une indemnité de 20 millions d’euros, en invoquant l’existence d’une « rupture de contrat sans juste cause » au sens de l’article 17 du RSTJ (Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs).

Par la suite, Lassana Diarra a indiqué avoir cherché un nouveau club de football professionnel. Dans le cadre de ses recherches, le joueur a été confronté aux difficultés engendrées par le risque pesant sur le club d’être solidairement et conjointement responsable du paiement de l’indemnité qu’il pourrait se trouver tenu de payer au Lokomotiv Moscou, en vertu de l’article 17 du RSTJ. 

A la suite de cela, le club de football professionnel belge, Sporting du Pays de Charleroi SA, a proposé au joueur de l’engager à la condition suspensive que le club 

« obtienne la confirmation écrite et inconditionnelle qu’il ne pourrait être tenu solidairement et conjointement au paiement de toute indemnité dont BZ serait éventuellement redevable envers le Lokomotiv Moscou » 

et que le joueur 

« soit enregistré et qualifié régulièrement au sein de l’équipe première de ce club afin de participer à toute compétition organisée par la FIFA, l’UEFA et l’URBSFA pour laquelle il serait sélectionné ».

Finalement, après que la rupture a été jugée abusive et l’amende ramenée à 10,5 millions d’euros, le club belge de Charleroi a renoncé à recruter le joueur français redoutant d’avoir à assumer solidairement une partie de ces pénalités conformément au règlement de la FIFA.

Le cadre juridique de la FIFA : la réglementation des transferts des joueurs

Pour rappel, la FIFA est une association de droit privée basée en Suisse. Selon ses statuts, elle a pour but d’établir des règles et des dispositions régissant le football et de veiller à les faire respecter. Elle contrôle également le football sous toutes ses formes en adoptant des mesures afin de prévenir la violation de ses statuts, des règlements, de ses décisions ou encore des lois du jeu.

Concernant la réglementation relative au statut et au transfert des joueurs, la FIFA a adopté en mars 2014 le « Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs » (RSTJ) entré en vigueur en août de la même année. Plus particulièrement, ce règlement contient notamment des règles relatives aux contrats de travail des joueurs professionnels. 

Selon ces règles, le contrat entre un joueur professionnel et un club peut prendre fin uniquement à son échéance ou d’un commun accord. Le contrat peut toutefois être résilié par l’une des parties en présence d’un cas de juste cause sans entraîner de conséquences pécuniaires ou disciplinaires.

Ces règles posent alors un véritable principe d’interdiction de résiliation unilatérale du contrat en cours de saison. Ainsi, l’article 17 du RSTJ vient prévoir les conséquences d’une rupture du contrat en l’absence d’une juste cause. 

Ce dernier dispose que lorsqu’un contrat est résilié sans juste cause, la partie ayant rompu le contrat est tenue de payer une indemnité 

« calculée en tenant compte du droit en vigueur dans le pays concerné, des spécificités du sport et de tout autre critère objectif ».

Par ailleurs, l’article poursuit en précisant que le joueur professionnel et son nouveau club peuvent être tenus solidairement et conjointement responsables du paiement de l’indemnité. En effet, le règlement pose une présomption simple envers le club qui signe un contrat avec un joueur professionnel ayant rompu son ancien contrat sans juste cause d’avoir incité ce joueur à une rupture du contrat. 

A ce titre, il impose une sanction tenant à l’interdiction pour le club d’enregistrer de nouveaux joueurs, à l’échelle nationale ou internationale, pendant deux périodes d’enregistrement complètes et consécutives.

Les règles de la FIFA précisent également qu’un joueur ne peut être enregistré auprès d’un nouveau club qu’après réception d’un Certificat International de Transfert (CIT) délivré par son ancien club. Ce processus de délivrance d’un CIT inclut donc une demande à l’ancien club de football devant vérifier les conditions dans lesquelles le contrat du joueur professionnel a pris fin. Également, en cas de litige, le CIT ne peut pas être délivré

Renvoi préjudiciel : la compatibilité des règles de transfert avec le droit européen

Le joueur français, soutenu par des syndicats de joueurs, dont l’Union nationale des footballeurs professionnels et la Fédération internationale des associations de footballeurs professionnels, a saisi la justice belge. Dans ce cadre, la cour d’appel de Mons a décidé de surseoir à statuer et d’adresser à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) la question préjudicielle suivante :

Les articles 45 et 101 TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils interdisent :

  1. Le principe de solidarité entre le joueur et le club qui le recrute pour payer l’indemnité due à son ancien club avec lequel le contrat a été rompu sans juste cause ;
  2. La possibilité pour l’association nationale de football dont dépend l’ancien club du joueur de ne pas délivrer le Certificat International de Transfert nécessaire pour s’engager dans un autre club s’il existe un litige entre l’ancien club et le joueur ?

 

Décision de la CJUE : le bouleversement du système de transfert des joueurs professionnels

Le vendredi 4 octobre 2024, la CJUE a répondu à cette question bouleversant ainsi le système de transfert des joueurs professionnels. En effet, la Cour a estimé que les règles de la FIFA encadrant les transferts entre clubs étaient contraires au droit de l’Union européenne et étaient de nature à entraver la libre circulation des joueurs de football professionnels.

S’agissant de l’article 45 du TFUE :

Cet article pose un principe de libre circulation des travailleurs et interdit les actions qui pourraient nuire aux citoyens de l’Union qui souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d’un Etat-membre. Néanmoins, les règles de la FIFA relatives aux sanctions imposées au nouveau club du joueur et à la délivrance du CIT dissuadent les clubs des autres Etats-membres de recruter des footballeurs professionnels qui auraient rompu leur contrat sans juste cause. Ces règles entravent donc la liberté des joueurs de circuler et de travailler dans d’autres Etats-membres.

La Cour réaffirme toutefois que ces règles peuvent poursuivre un objectif légitime d’intérêt général tel que la protection des travailleurs, le maintien de la stabilité contractuelle ainsi que celle des équipes des clubs de football professionnel mais encore afin de préserver l’intégrité, la régularité et le bon déroulement des compétitions sportives. Il reviendra donc aux juridictions nationales d’apprécier ces justifications.

En tout état de cause, la Cour ne considère pas que les joueurs ont le droit de rompre leur contrat sans conséquence mais uniquement que l’indemnité due apparaît disproportionnée.

S’agissant de l’article 101 du TFUE :

L’article 101 paragraphe 1 du TFUE prohibant les ententes est applicable à toute entité exerçant une activité économique et qualifiée d’entreprise. Néanmoins, en tant qu’association, la FIFA et ses membres sont également qualifiées d’entreprises en ce qu’elles exercent une activité économique liée à l’organisation et à la commercialisation de compétitions de football interclubs à l’échelle nationale ainsi qu’à l’exploitation de droits liés à celles-ci, ou qui ont elles-mêmes pour membres ou pour affiliés des entités pouvant être qualifiées comme telles, à l’instar des clubs de football.

A cet effet, la Cour donne raison à l’avocat général qui, dans ses conclusions du 30 avril 2024, avait relevé que les règles du RSTJ en cause dans le litige faisaient apparaître qu’elles étaient de nature à restreindre la concurrence au regard de la possibilité de recruter des joueurs professionnels. 

En effet, le transfert des joueurs constitue un paramètre de concurrence essentiel dans le secteur du football professionnel interclubs. Il reviendra alors à la juridiction nationale d’apprécier la réunion des conditions de l’article 101 paragraphe 3 du TFUE afin de déterminer si cette décision d’association d’entreprises est susceptible ou non de bénéficier d’une exemption.

A ce stade, il n’est pas possible d’être formel. Il reviendra donc aux juridictions nationales belges de vérifier si les règles de la FIFA restreignent ou non la concurrence au regard des diverses justifications et exemptions posées par les textes. 

Pour l’avocat du joueur, cette décision est une victoire pour tous les joueurs professionnels qui auraient été affectés par ces règles. La FIFA, quant à elle, n’a pas la même lecture et se dit 

"satisfaite que la légalité des principes clés du système de transfert ait été reconfirmée". 

Elle considère que cet arrêt ne révolutionne pas son système de transfert et semble prête à ne revoir qu’une seule règle : la solidarité du paiement de l’amende encourue par le joueur avec son nouveau club. Pourtant, il semblerait que l’arrêt de la CJUE puisse entraîner des conséquences beaucoup plus importantes.

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