Dénigrement jurisprudence et législation

La notion de dénigrement en droit français de la concurrence

Selon une pratique décisionnelle constante de l'Autorité de la concurrence, le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifiés. Il se distingue de la critique dans la mesure où il émane d'un acteur économique qui cherche à bénéficier d'un avantage concurrentiel en pénalisant son compétiteur. Des propos médiatisés, modérés en la forme, qui s'analysent en une appréciation critique de la politique commerciale d'un concurrent ne constituent pas des pratiques de dénigrement. De même, un discours vif, reflet d'une rivalité normale entre entreprises, ne relève pas du dénigrement. En revanche, la divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent constitue un dénigrement, même si elle est exacte. Ainsi, la diffusion d'informations partielles, tronquées ou biaisées par un opérateur en position dominante auprès de collectivités locales est susceptible de constituer un abus, si elle conduit à l'éviction de son concurrent sur le marché amont. Un opérateur historique de télécommunication abuse également de sa position dominante sur un marché de services lorsqu'il dénigre auprès de ses clients la capacité de son concurrent à fournir les mêmes services.

Pour qu'un dénigrement puisse être qualifié d'abus de position dominante, il convient que soit établi un lien entre la domination de l'entreprise et la pratique de dénigrement. Pour apprécier son existence, l'Autorité vérifie d'abord si le discours commercial tenu par l'entreprise en position dominante relève de constatations objectives ou s'il procède d'assertions non vérifiées. Ensuite, afin de déterminer si le discours commercial de l'entreprise dominante est de nature à influencer la structure du marché, elle examine les effets attendus ou réels de ce discours auprès des partenaires commerciaux ou de la clientèle potentielle de ses concurrents. La notoriété de l'entreprise et la confiance que lui accordent les acteurs du marché est de nature à établir un lien entre sa position dominante et la pratique de dénigrement.


Les décisions de justice pertinentes associées à la notion de dénigrement en droit français de la concurrence


La notion de dénigrement dans l'ouvrage "Droit français de la concurrence" de Louis Vogel

Le dénigrement consiste à jeter le discrédit sur une personne ou un produit pour en tirer un profit (Paris, 27 janvier 2016, 13-10846, Contrats Conc. Consom. 2016, n° 91, obs. MALAURIE-VIGNAL : une société cherche à nuire à la réputation de sa concurrente en vue d'en détourner la clientèle, lorsqu'elle envoie un courriel à quatre acteurs majeurs de la distribution d'articles de sport faisant état d'un jugement condamnant cette dernière pour contrefaçon et laissant croire qu'elle est interdite d'activité sans préciser qu'un appel a été formé, et qu'elle relaye cette information sur Twitter et Facebook ; Versailles, 12 novembre 2019, 18-06617, qui rappelle que le dénigrement consiste à porter atteinte à l'image de marque d'une entreprise ou d'un produit désigné ou identifiable afin de détourner la clientèle en usant de propos ou d'arguments répréhensibles, ayant ou non une base exacte, diffusés ou émis de manière à toucher les clients de l'entreprise visée, concurrente ou non de celle qui en est l'auteur.). Pour qu'il soit constitutif de concurrence déloyale, il faut qu'une information malveillante ou péjorative, concernant une personne identifiable, soit diffusée à la clientèle. La participation de la personne à une communication dénigrante est fautive, qu'elle en soit l'auteur ou l'instigateur (Cass. com., 4 novembre 2020, 18-23.757). Selon la Haute juridiction, même en l'absence d'une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées (Cass. com., 4 mars 2020, 18-15.651 : même en l'absence d'une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l'une, d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre, constitue un acte de dénigrement, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure.), la publication, par l'une, de propos de nature à jeter le discrédit sur un produit fabriqué ou commercialisé par l'autre, peut constituer un acte de dénigrement en dehors de la constatation d'un élément intentionnel (Cass. 1re civ., 12 décembre 2018, 17-31.758, retenant que l'éditeur de presse qui, sans en vérifier la qualité ni l'exactitude, diffuse la chronique d'un critique en oenologie qui porte atteinte à la réputation d'un vin alors qu'elle repose sur une erreur matérielle résultant d'une inversion des notes attribuées aux bouteilles de la dégustation, engage sa responsabilité pour dénigrement). Ainsi, la campagne de communication qui ne cherche pas à ternir la réputation des pharmaciens, mais seulement à remettre en cause leur monopole, ne constitue pas un dénigrement des pharmaciens et officines de pharmacie (Cass. com., 21 juin 2016, 14-22.710, RJDA 2016, n° 747). Le dénigrement, qui peut être direct ou indirect (T. com. Paris, 22 février 2013, 2012076280 : le dénigrement prohibé peut être direct lorsqu'il vise nommément le concurrent ou ses produits, mais aussi indirect lorsqu'un opérateur attribue des qualités à ses propres produits ou services en laissant entendre que ceux de la concurrence en sont dépourvus ou consiste, sans la nommer, à rendre clairement identifiable l'entreprise directement dénigrée ou ses produits ou services.), se distingue à la fois de la critique et de la diffamation.

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Décisions de justice

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Cass. com., 27 septembre 2023, n° 22-10.777

Akiva c. Gaiatrend - Action en justice - Une société ne saurait prétendre qu'un concurrent a commis un dénigrement à son encontre en adressant à ses clients des lettres faisant référence à l'action en contrefaçon qu'il aurait formée contre elle, dès lors que les courriers dudit concurrent qui ne visaient qu'à informer objectivement ses revendeurs qu'il avait engagé une action en contrefaçon de marque de certains de ses produits, étaient exempts de dénigrement.

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Cass. com., 20 septembre 2016, n° 15-10.939

Trolem (SA) c. Boston golf Europe (SARL) - Différend - La dénonciation à la clientèle d'une action n'ayant pas donné lieu à une décision de justice est fautive. - Relations entre les deux actions - L'annulation d'un modèle ne saurait conduire au rejet d'une demande fondée sur la concurrence déloyale introduite concurremment à une action en contrefaçon, dès lors que la première peut reposer sur des faits matériellement identiques à ceux allégués au soutien de la seconde rejetée pour défaut de constitution de droit privatif.

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CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 11 janvier 2022, n° 19/17384

FORRESTER SWITZERLAND GMBH (Sté) c. AGORA OPINION (SAS) - Décision de justice - Il y a lieu de considérer que les courriers adressés aux clients de sa concurrente par lesquels une société affirme que le boîtier de celle-ci reproduit toutes les caractéristiques de son modèle déposé, ou leur demande “de geler tout déploiement du boîtier jusqu'à la décision judiciaire à intervenir”, sont dénigrants, en l'absence, au moment de leur envoi, de toute décision de justice ayant fait droit aux prétentions de leur auteur, et qu’ils créent nécessairement un préjudice, qu’il convient de réparer…

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CA Paris, 3e ch. B, 25 octobre 2002, n° 2001/22277

Clunet Coste, Bon c. Le Prestre, Hotel Privilège II (SNC), Hotel Privilège I (SNC), Bassino - Critique excessive - Les circulaires adressées par un associé aux autres associés critiquant l'action et les projets du gérant, constituent un dénigrement en raison du caractère excessif des termes employés.

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Cass. com., 28 juin 2023, n° 21-15.862

Diffamation - La divulgation par une entreprise à ses clients que sa concurrente est l'objet d'actions judiciaires pour des malversations constitue l'imputation de faits précis et déterminés portant atteinte à son honneur et à sa considération, qui ne peut être poursuivie qu'en application des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, et non une critique de ses produits ou services constitutive d'un dénigrement, le fait que ces allégations aient eu pour objectifs de lui nuire…

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Cass. com., 18 octobre 2011, n° 10-24.808

Miss France (SAS), Endemol Développement (SAS) c. Mulmann dite de Fontenay ; Association Comité Miss France - Critique excessive - Le fait, pour l'organisatrice d'une élection concurrente de celle de Miss France, de tenir de nombreux propos discréditant ce concours et les sociétés qui l'organisent, est dénigrant. - Conditions de validité - La cédante des titres de la société Miss France, même tenue par une clause de non-concurrence illicite, ne peut organiser une élection concurrente de celle de Miss France sans méconnaître la garantie légale…

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CA Limoges, ch. soc., 13 avril 2023, n° 21/00929

Yuca (SAS) c. Le Mont de la Coste (SASU) - Propos objectifs - L'utilisation par une application qui note les produits alimentaires, du terme “mauvais” associé à la note de 0/100, “risque élevé”, pour un saucisson, ne constitue pas un dénigrement à l'encontre de la société plaignante, mais relève de l'évaluation des produits que cette dernière offre à la vente, en fonction de certains risques et d'une base factuelle suffisante.

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Cass. com., 22 mars 2023, n° 21-20.331

People and Baby (Sté), People and Baby développement (Sté), Crèches pour tous (Sté) c. Evancia (Sté), Fédération française des entreprises de crèches - Diffamation - Des propos qui ne comportent aucune dépréciation des services des sociétés demanderesses mais leur imputent tout au plus, des pratiques illicites telle qu'une publicité mensongère, ne sont pas constitutifs d'actes de dénigrement, alors en outre que les abus de la liberté d'expression, prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881, ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1240 du Code civil.

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CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 8 décembre 2022, n° 21/14555

Yuca (SAS) c. A.B.C. Industrie (SAS) - Propos objectifs - Ne caractérise pas un acte de dénigrement, le fait qu'une société dont l'objet est d'informer le consommateur sur la qualité des produits à travers une application, note un produit 9/100 et l'évalue comme mauvais, dès lors que les modalités d'évaluation sont explicitées, qu'il ne résulte d'aucun document qu'elle ait violé ces modalités afin de causer un préjudice à une société, et que les allégations reposent sur des articles scientifiques qui constituent une base factuelle suffisante.

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CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 1 mars 2023, n° 21/00558

Terpan (Sasu) c. Association Safe (Sté) - Action en justice - Le fait, pour une société, d'adresser des courriers à plusieurs associations, libellés en termes mesurés, qui rappellent l'existence et les principales caractéristiques du brevet dont elle est titulaire et font état d'une procédure engagée en contrefaçon, sans mettre en cause une entreprise de manière nominative, ni même désigner le produit litigieux, ne caractérise pas un acte dénigrement dès lors que ces courriers revêtent un caractère informatif qui repose sur une base factuelle suffisante.

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Législation / Articles de loi

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Avis n° 21-12 de la Commission d'examen des pratiques commerciales du 18 novembre 2021

La Commission d’examen des pratiques commerciales, Vu la lettre enregistrée le 16 juillet 2021, sous le numéro 21-36, par laquelle un professionnel interroge la Commission sur la conformité de la pratique consistant à démarcher les clients d’un concurrent en proposant une prime à la conversion destinée à les inciter à rompre leur relation commerciale et entrer en relation contractuelle avec la société proposant ladite prime. Vu les articles L. 440-1 et D. 440-1 à D. 440-13 du code de commerce…

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Fiche pratique n° 5 de la Cour d'appel de Paris du 1 avril 2020

1. Que peut-on espérer sur le fondement du préjudice moral ? La chambre commerciale de la Cour de cassation a consacré l’existence d’un préjudice moral pour les sociétés (Com., 15 mai 2012, pourvoi n°11-10278). Au regard de la doctrine, le préjudice moral d’une société revêt deux aspects : - L’un externe, affectant, par exemple en raison d’un dénigrement, l’image ou la réputation de l’entreprise, son honneur quand elle est porteuse de valeurs (professionnelles, spirituelles, philosophiques ou politiques) qui font son identité…

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Fiche pratique n° 12 de la Cour d'appel de Paris du 1 avril 2020

La concurrence déloyale et le parasitisme trouvent leur fondement juridique dans le principe général de responsabilité civile édicté aux articles 1240 et 1241 du Code civil. Ces deux notions, appréciées à l’aune du principe de la liberté du commerce (CA Paris, pôle 5 - ch. 1, 12 septembre 2017, n°16/04469), couvrent en pratique des situations juridiques distinctes : - La concurrence déloyale "consiste dans des agissements s'écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans les activités économiques et…

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Fiche pratique n° 2 de la Cour d'appel de Paris du 1 avril 2020

1. L’appréciation juridique du lien de causalité La notion de lien de causalité n'est pas définie par le code civil. Si, de premier abord, il s'agit d'une notion intuitive qui suppose d'établir un lien de cause à effet entre le comportement reproché et le dommage allégué, sa démonstration est complexe, le lien de causalité devant être direct, ce qui recouvre des réalités différentes selon que l’on raisonne à partir de "l’équivalence des conditions" ou de la "causalité adéquate". Tandis que...

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Article L122-2 du Code de la consommation

La publicité comparative ne peut : 1° Tirer indûment profit de la notoriété attachée à une marque de produits ou de services, à un nom commercial, à d'autres signes distinctifs d'un concurrent ou à l'appellation d'origine ainsi qu'à l'indication géographique protégée d'un produit concurrent ; 2° Entraîner le discrédit ou le dénigrement des marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens, services, activité ou situation d'un concurrent ; 3° Engendrer de confusion entre l'annonceur et un concurrent ou entre les marques, noms commerciaux, autres…

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Article R242-39 du Code rural et de la pêche maritime

Confraternité. Les vétérinaires doivent entretenir entre eux et avec les membres des autres professions de santé des rapports de confraternité. Lorsqu'un vétérinaire intervient après un confrère, il doit s'abstenir de tout dénigrement. Les vétérinaires se doivent mutuellement assistance, conseil et service. Si un désaccord professionnel survient entre des confrères, ceux-ci doivent d'abord chercher une conciliation. En cas d'échec de la conciliation, ils sollicitent une médiation ordinale auprès du président du conseil régional de l'ordre.

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Rapport de l'Autorité de la concurrence du 1 janvier 2015

ÉDITORIAL Voici plus de dix ans entrait en vigueur le Règlement n° 1/2003 qui marquait un changement de paradigme dans la mise en œuvre du droit européen de la concurrence. Le système centralisé de notification préa-lable à la Commission européenne des accords entre entreprises, aux fins d'exemption sur le fondement de ce qui est devenu l'article 101, paragraphe 3 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, cédait la place à un système décentralisé d'évaluation ex post dans lequel…

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Article R631-8 du Code de la sécurité intérieure

Respect et loyauté. Les acteurs de la sécurité privée font preuve entre eux de respect et de loyauté. Dans cet esprit, ils recherchent le règlement amiable de tout litige. Ils s'interdisent toute concurrence déloyale et toute entreprise de dénigrement tendant à nuire à un confrère ou à le supplanter dans une mission qui lui a été confiée. Ce principe ne s'oppose pas à la révélation aux services publics compétents de toute infraction à la réglementation ou de tout manquement déontologique.

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