Devoir de vigilance : premières décisions de la chambre 5-12 de la cour d'appel de Paris

Quatre mois après son inauguration, la chambre 5-12 de la Cour d’appel de Paris dédiée aux contentieux émergents a rendu, le mardi 18 juin 2024, ses premières décisions.

Publié le 
3/7/2024
Devoir de vigilance : premières décisions de la chambre 5-12 de la cour d'appel de Paris
 

Rappel des faits 

La nouvelle chambre de la cour avait à juger trois affaires portant, à ce stade, sur la recevabilité des actions en injonction introduites par des associations et des collectivités territoriales à l’encontre des entreprises EDF, TotalEnergies et Vigie Groupe (anciennement Suez). 

  • L’action menée contre TotalEnergies a pour objectif de contraindre la société à prendre les mesures nécessaires pour respecter les engagements de l’Accord de Paris. 
  • EDF, dans le cadre d’un projet de parc éolien menée par l’une de ses filiale au Mexique, est impliquée dans un contentieux qui fait état d’une possible violation des droits des peuples autochtones (non-respect de leur intégrité physique, de leur droit à la terre et de leur droit au consentement libre, informé et préalable). 
  • Pour finir, la société Vigie Groupe a été assignée en raison du rôle joué par sa filiale dans la contamination de l’eau potable de la ville d’Osorno au Chili.

Des décisions très attendues

Ces décisions étaient fortement attendues par de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que de la protection de l’environnement, et pour cause : 

  • elles doivent apporter des éclaircissements sur la procédure établie par la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, afin d’examiner au fond les demandes de réparation liées au devoir de vigilance.

Des questions procédurales avant de trancher sur le fond

Pour rappel, le Tribunal judiciaire de Paris, avait décidé, le 28 février 2023, de déclarer irrecevables les recours des diverses associations pour enjoindre TotalEnergies SE de respecter ses obligations en matière de devoir de vigilance. Les multinationales EDF et Suez ont également été assignées et ont connu le même jugement.

Ainsi, par trois arrêts du 18 juin 2024 (n° 21/22319, n° 23/10583 et 23/14348), la Cour d’appel de Paris, s’est prononcée sur les moyens d’irrecevabilité opposés aux demandeurs de l’action. 

En conséquence, la Cour d’appel de Paris a jugé recevables les actions intentées contre les groupes TotalEnergies SE et EDF, contrairement à celle concernant la société VIGIE GROUPE anciennement dénommée Suez Groupe.

En tout état de cause, ces arrêts offrent un éclaircissement bienvenu sur la procédure liée à la loi relative au devoir de vigilance.

Les enseignements des décisions TotalEnergies et EDF

Par ces décisions, la Cour d’appel de Paris offre plusieurs enseignements qui viennent clarifier les critères de recevabilité des actions en justice sur le fondement de la loi du 27 mars 2017 :  

  • La mise en demeure préalable exigée par la loi constitue bien un préalable obligatoire à l’action en justice prescrit à peine d’irrecevabilité de l’action.
  • Les mises en demeure adressées aux deux entreprises sont suffisamment claires et précises pour leur permettre de se mettre en conformité.
  • Si l’assignation en justice devait porter sur les mêmes obligations que la mise en demeure, elle n’avait pas à viser exactement le même plan de vigilance en termes de dates.

La cour d’appel l’affirme clairement en indiquant que : 

A défaut de précision dans la loi, il ne peut être exigé comme condition de recevabilité de l'action en injonction, que la mise en demeure et l'assignation visent exactement le même plan de vigilance en termes de date, le débiteur de l'obligation ayant pu le faire évoluer dans ses publications ultérieures, sans pour autant faire disparaître les non-conformités aux obligations édictées par l'article L225-102-4, I du code de commerce et relevées dans la mise en demeure, ce qu'il appartient ensuite au juge du fond de vérifier.
  • S’agissant des collectivités territoriales, même si leur compétence est limitée à leur territoire, la cour a jugé qu’elles pouvaient agir à condition de démonter une atteinte spécifique ou un impact particulier du risque sur leur territoire.
  • Enfin, la cour affirme dans l’arrêt TotalEnergies que la loi du 27 mars 2017 :
n'a pas créé un régime spécial de responsabilité excluant la responsabilité au titre du préjudice écologique, prévue par l'article 1252 du code civil, le devoir de vigilance ayant au demeurant un champ d'application beaucoup plus large que la protection de l'environnement, puisque le plan doit aussi prévenir les atteintes grave aux droits humains, aux libertés fondamentales, à la santé et à la sécurité.

Cette affirmation implique que les deux actions peuvent être cumulées si leur bien fondée est démontrée devant le juge du fond qui aura la tâche d’apprécier si les mesures réclamées au titre de l’une des actions se trouvent privées ou non d’objet en fonction de la réponse apportée à l’autre action. 

Un certain optimisme chez les associations 

Ces décisions sont accueillies favorablement par les associations.

En effet, pour l'association Sherpa, s’agissant de la décision relative à TotalEnergie : 

« cette décision vient mettre fin à une interprétation restrictive de la loi qui, à rebours de l’objectif poursuivi par le législateur de faciliter l’accès à la justice pour les victimes de violations de droits humains et d’atteintes à l'environnement, offrait une échappatoire aux entreprises »

S’agissant du contentieux relatif à EDF

« Après plus de trois ans d’arguments procéduraux, l’affaire peut enfin passer à la question de fond : si EDF respecte son obligation de vigilance. Cette affaire offre une occasion unique de clarifier la responsabilité des entreprises en matière de respect des droits des populations autochtones dans un contexte transnational ».

Les enseignements de la décision VIGIE GROUPE

Dans sa décision VIGIE GROUPE, la Cour d’appel confirme l’irrecevabilité de l’action. En effet, elle estime que la société assignée n’avait pas qualité à défendre.

Elle affirme que : 

la tête de groupe est la débitrice naturelle et inconditionnelle de l'obligation de publier et de mettre en œuvre un plan de vigilance. Pour autant, le statut de filiale n'est pas per se exclusif de la qualité de débiteur de cette obligation : la défaillance de sa société-mère fait obstacle à l'exemption et laisse sa charge peser sur la filiale qui remplit les conditions de seuil.

Il convient donc, pour les demandeurs, d'identifier avec précision le défendeur et ce plus particulièrement dans le cadre de groupe de sociétés.

Dans l'affaire en question, cette difficulté d’identification a été décuplée du fait de restructurations successives du groupe comme en témoignent les déclarations des avocats de la Fédération Internationale des Droits Humains (FIDH) : 

Ces obstacles à l’identification de la bonne entité à assigner ont été décuplés par les restructurations successives de Suez SA, devenue Vigie Groupe avant d’être absorbée par Veolia. On peut craindre que cette décision permette à certains groupes d’entretenir l’opacité de leurs structures ou de recourir à d’autres artifices pour échapper à leurs responsabilités »

Le feuilleton procédural étant dès lors terminé, l’heure est venue de juger au fond ces affaires. Il est certain que les observateurs seront nombreux et attentifs en la matière. 

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