Intersport a répliqué par une demande reconventionnelle visant à annuler le modèle en question.
La protection des modèles communautaires et la concurrence déloyale
L’enseigne de sport, qui s’appuie sur près de 25 marques propres (Kalenji, Kipsta, Domyos, Wed’ze…), détient le modèle de l'Union européenne n° 002526699-0001, couvrant le masque « Easybreath », et en a accordé une licence à Decathlon France.
Ce masque innovant évitait les inconvénients, attribués aux masques traditionnels, de vision altérée par la buée et de gêne respiratoire. Intersport France, de son côté, avait acquis des masques similaires appelés « Tecnopro », auprès de son fournisseur, la société Phoenix.
Néanmoins, le règlement (CE) n° 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires dispose clairement que, pour être protégé, un modèle doit être nouveau et présenter un caractère individuel.
Or, un modèle communautaire enregistré est considéré comme nouveau si aucun modèle identique n’a été divulgué avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement, ou avant la date de priorité revendiquée.
Un « délai de grâce » litigieux
Néanmoins, une divulgation antérieure au dépôt, mais dans les douze mois précédant celui-ci, n’affecte pas le caractère de « nouveauté » du modèle. Ce délai est qualifié de « délai de grâce ». En effet, la présomption de titularité des droits revient au déposant, sauf preuve contraire émanant des créateurs.
Cette présomption joue dans toute procédure devant l'Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) ainsi que dans toute autre procédure.
Dans l'affaire des masques, la Cour d'appel de Paris (CA Paris, 28 janvier 2022, n° 20/04831), a condamné Intersport et Phoenix pour parasitisme.
Contestant cette décision, Intersport a formé un pourvoi en cassation, critiquant notamment le bénéfice accordé à Decathlon SE du délai de grâce de 12 mois, arguant que Decathlon SE n’était pas le créateur du modèle.
La Cour de cassation a cependant confirmé que le déposant est bien présumé titulaire des droits, et a validé l'application du délai de grâce, car Decathlon avait paisiblement exploité le modèle depuis son dépôt, le 6 novembre 2013.
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Précision de la notion de parasitisme économique
Intersport contestait également sa condamnation pour parasitisme, arguant qu’elle exerçait simplement sa liberté de commerce en commercialisant un produit similaire, sans copier Decathlon, et que la charge de la preuve du parasitisme incombait à Decathlon. La société Phoenix soulignait, par ailleurs, qu'elle avait fabriqué les masques en Chine pour les vendre à Intersport, sans intention parasitaire.
Dans son arrêt du 26 juin 2024, la Cour de cassation rappelle, de façon assez didactique, que le parasitisme économique est une forme de déloyauté - constitutive d’une faute civile au sens de l’article 1240 du Code civil - qui consiste à tirer profit indûment :
- des efforts,
- du savoir-faire,
- de la notoriété, ou,
- des investissements d’un concurrent.
Cette action perturbe ainsi la loyauté de la concurrence.
La réalité du travail de conception et de développement du masque Easybreath
Dès lors, il incombe à la victime de prouver la valeur économique individualisée du bien litigieux et l’intention du tiers de se placer dans son sillage.
La Cour reconnaît, dans sa décision, que le masque de l’enseigne de la famille Mulliez bénéficiait :
- d’une grande notoriété,
- d’un travail de conception et de développement réel,
- d’une démarche innovante et
- d’importants investissements publicitaires.
Elle indique, en revanche, que les sociétés Intersport et Phoenix n'ont, quant à elles, pas su prouver assez d'efforts ou de coûts particuliers pour développer leur modèle et n'ont pas réussi à établir l'existence d'articles équivalents sur le marché français lors du lancement d’« Easybreath ».
Cette jurisprudence récente, bien que casuistique, apporte donc une clarification essentielle à la notion de parasitisme économique, en offrant une définition plus précise et des critères d’évaluation plus rigoureux.