Le contexte de l’affaire concernant Teva
Teva est une entreprise pharmaceutique mondiale qui exerce ses activités par l'intermédiaire de plusieurs filiales dans l'Espace économique européen.
L’entreprise détient le brevet du médicament Copaxone, utilisé pour traiter la sclérose en plaques et composé d’acétate de glatiramère, principe actif. Ce brevet appartenait au groupe jusqu’en 2015, avant que ce dernier ne le renouvelle et l’étende.
La Commission européenne a suspecté un abus de la position dominante de Teva dans plusieurs pays (Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Pays-Bas, Pologne et Tchéquie) sur une période s’étendant de 4 à 9 ans.
Des inspections inopinées ont été réalisées en 2019 dans les locaux de Teva, menant à l’ouverture d’une procédure le 4 mars 2021, pour pratiques anticoncurrentielles contre Teva Pharmaceutical Industries Ltd. et Teva Pharmaceuticals Europe B.V. Elle suspectait de potentiels abus visant à retarder, voire entraver l’accès au marché de concurrents ou futurs concurrents. Elle leur a envoyé une communication des griefs en octobre 2022.
L’audience s’est déroulée le 24 mars 2023, et la Commission a rendu sa décision le 31 octobre dernier.
Un abus issu de la propriété industrielle
Il est reproché au groupe pharmaceutique d’avoir étendu le brevet du Copaxone, l’un des produits phare de l’entreprise, de manière volontaire afin d’empêcher l’accès à ce brevet à de potentiels concurrents. Peu de temps avant l’expiration du brevet en 2015, l’entreprise aurait artificiellement renouvelé le brevet, faisant dès lors un usage abusif de la procédure de l’Office européen des brevets.
En effet, Teva a effectué plusieurs demandes de brevets divisionnaires, des brevets issus d’une demande de brevet dit « mère », portant sur des aspects légèrement différents de l’invention initiale. Ainsi, un réel réseau de brevets secondaires a été créé concernant le procédé de fabrication et le schéma de dosage du principe actif du produit pharmaceutique.
Teva a commencé à se prévaloir desdits brevets divisionnaires face à ces concurrents dans le but d’obtenir des injonctions provisoires.
Par la suite, l’entreprise retirait systématiquement ses brevets avant qu’une décision de révocation ne soit rendue, évitant tout jugement formel d’invalidité qui aurait pu fragiliser juridiquement ses autres brevets divisionnaires. Cette stratégie contraignait ses concurrents à introduire de nouveaux recours judiciaires, prolongeant l’incertitude juridique autour de ses brevets et retardant potentiellement l’arrivée de produits concurrents à base d’acétate de glatiramère.
La Commission estime que cette pratique a eu pour effet de retarder la concurrence sur le marché du médicament soignant la sclérose en plaques.
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Un abus issu du dénigrement de potentiels concurrents
Teva aurait également fait preuve de dénigrement en communiquant de fausses informations au sujet du produit d’un groupe pharmaceutique concurrent, contenant le même principe actif que celui du Copaxone.
Le groupe pharmaceutique aurait mené une campagne de dénigrement, critiquant et rabaissant le produit d’un concurrent auprès d’acteurs sur le marché de la santé et d’organismes de santé publique jouant un rôle clé dans la fixation des prix des produits concernés.
Ce comportement a eu pour conséquence d’entraver l’entrée sur le marché du concurrent de Teva, tout en prévenant une baisse du prix de vente du Copaxone de près de 40%.
Des pratiques qualifiées d’abus de position dominante
Pour la première fois dans l’histoire décisionnaire de la Commission, les deux infractions supra exposées ont été appréciées de manière complémentaire, conduisant la Commission à reconnaître un abus de position dominante, infligeant à Teva une amende s’élevant à 462,6 millions d’euros.
Margarethe Vestager, Vice-présidente exécutive chargée de la politique de concurrence, a commenté ainsi la décision de la Commission :
« La décision prise aujourd’hui d’infliger une amende à Teva pour pratiques anticoncurrentielles de dénigrement et d’utilisation abusive du système de brevets réaffirme l’engagement de la Commission en faveur de la mise en œuvre des règles de concurrence dans le secteur pharmaceutique. Grâce à cette décision, la Commission contribue à maintenir les médicaments à un prix abordable, à préserver le choix des traitements et à encourager l’innovation, au bénéfice des patients de l’UE et des systèmes de soins de santé nationaux. »
Teva, quant à elle, a nié les comportements et affirmé former un recours devant la Cour de Justice de l’UE.
Ce comportement anticoncurrentiel n’est pas le premier reproché à Teva. En effet, quelques semaines avant cette condamnation par la Commission, le ministère américain de la Justice avait annoncé que Teva allait verser 450 millions de dollars pour mettre fin à des poursuites civiles aux Etats-Unis lui reprochant une entente sur le prix de la Pravastatine, un médicament contre le cholestérol, et le versement de dessous-de-table pour augmenter les ventes du Copaxone.