Droit français de la concurrence
L'article L. 420-5 du Code de commerce prohibe “les offres de prix ou pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation, dès lors que ces offres ou pratiques ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'éliminer d'un marché ou d'empêcher d'accéder à un marché une entreprise ou l'un de ses produits. [...] Ces dispositions ne sont pas applicables en cas de revente en l'état, à l'exception des enregistrements sonores reproduits sur supports matériels et des vidéogrammes destinés à l'usage privé du public”. La disposition est destinée à compléter l'arsenal législatif de lutte contre les pratiques de prix bas illicites, puisqu'elle concerne notamment des hypothèses dans lesquelles ni la prohibition de la revente à perte, ni la théorie des prix prédateurs ne sont applicables.L'article L. 420-5 se situe à la marge du droit de la domination puisqu'il n'exige pas à proprement parler que l'entreprise qui commet l'abus occupe une position dominante sur le marché ou que sa victime se trouve en situation de dépendance économique. La prohibition des prix abusivement bas est strictement encadrée dans son champ d'application. Dans sa lettre, l'article L. 420-5 vise les “prix de vente aux consommateurs”, mais l'Autorité de la concurrence l'interprète comme s'appliquant également aux services. La notion de vente aux consommateurs n'est pas définie. La disposition pourrait-elle s'appliquer à certains professionnels ? Une réponse négative semble s'imposer, en particulier parce que l'intention du législateur est de lutter contre certaines pratiques de la grande distribution au détriment du petit commerce, qui ne se manifestent que lors de la vente à un consommateur final. La jurisprudence paraît du reste aller dans ce sens puisque la Cour d'appel de Paris définit le consommateur comme la personne physique ou morale qui, sans expérience particulière dans le domaine où elle contracte, agit pour la satisfaction de ses besoins personnels et utilise dans ce seul but le produit ou service acquis. L'opérateur qui dispose de capacités et de compétences spécifiques dans le domaine concerné par la demande ou dont les clients sont des utilisateurs professionnels n'est pas un consommateur. Le texte exclut les reventes en l'état, sauf en ce qui concerne les “enregistrements sonores reproduits sur supports matériels”. La disposition concerne donc à la fois les ventes directes des producteurs aux consommateurs et les ventes des produits transformés par les revendeurs à des consommateurs. La notion de produit transformé donne lieu à de nombreuses discussions. S'il est peu contestable que la découpe ou le tranchage d'un produit alimentaire constitue une transformation, il n'est pas sûr que la décongélation ou le reconditionnement en représente une. Alors que la vente d'un produit dans son emballage d'origine caractérise indéniablement une vente en l'état, le montage des éléments du produit ainsi que la fourniture de consommables peuvent constituer une transformation.Selon l'Autorité de la concurrence, la notion de prix abusivement bas doit s'interpréter “dans la droite ligne de la jurisprudence communautaire et nationale sur les prix de prédation”. Un prix de prédation est un prix inférieur à la moyenne des coûts variables ou à la moyenne des coûts totaux lorsque l'intention de prédation est démontrée. La volonté d'éviction ne peut être déduite des seuls alignements de prix sur ceux d'un concurrent qui pratique des tarifs de base inférieurs. La pratique d'un prix coûtant ne présume pas de l'effet d'éviction, qui doit être étayé par des éléments suffisamment probants.La charge de la preuve du caractère abusivement bas des prix pratiqués par un concurrent pèse sur l'entreprise qui s'en prétend victime. La partie saisissante doit “fournir des éléments tenant par exemple à ses coûts d'achat, aux coûts de production des produits en cause, à sa situation financière, au lien entre sa situation et la pratique dénoncée, ainsi que des éléments susceptibles de démontrer la volonté d'un concurrent de l'éliminer”. La communication de publicités de prix est manifestement insuffisante pour établir que les éléments de l'infraction sont réunis.Enfin, la vente à prix abusivement bas doit, pour être sanctionnée, avoir un objet ou un effet anticoncurrentiel. Seule est susceptible de revêtir un caractère abusif une pratique de prix bas qui présente un caractère suffisamment permanent et étendu, de telle sorte que l'on puisse en déduire qu'elle fait partie d'une stratégie de détournement de la clientèle d'un concurrent et d'éviction de celui-ci. L'étendue de la pratique est appréciée en fonction de l'importance des différences de prix, du poids des produits concernés dans l'activité respective des entreprises et éventuellement de l'effet cumulatif pouvant résulter de la mise en œuvre d'une même politique commerciale par différentes entreprises. Ne satisfont pas à ces conditions une opération promotionnelle limitée dans le temps et ne portant que sur une quantité restreinte de produits ou de simples publicités de prix et des courriers faisant état d'une baisse d'activité. L'éviction n'est pas davantage établie lorsque, pendant la période de référence, l'entreprise saisissante a connu une évolution plus favorable que celle de son concurrent et que les ventes du produit en cause, qui ne représentent pas une part prépondérante de son activité, n'ont pas connu de baisse sensible susceptible de compromettre son maintien sur le marché.