Contrairement à la notion de consommateur, celle de non-professionnel n'était définie ni en droit interne, ni en droit de l'Union, qui ne la connaît pas. Il est donc revenu à la jurisprudence d'en préciser les contours.
1° Critère de l'incompétence ou du défaut de spécialité
Dans un premier temps, le juge a recouru au critère subjectif de la compétence professionnelle pour définir le non-professionnel et délimiter le champ d'application de la réglementation. Selon cette conception, le non-professionnel était celui qui se trouvait dans le même état d'ignorance que n'importe quel autre consommateur, parce que le contrat conclu ne relevait pas de son domaine de compétence ou de sa spécialité. Cette jurisprudence a permis de protéger le commerçant ne possédant pas la qualité de professionnel du crédit dans ses rapports avec le GIE cartes bancaires, ou le groupement agricole d'exploitation non spécialisé dans le cadre des opérations d'irrigation. Le critère de l'incompétence ou du défaut de spécialité a été critiqué pour son caractère subjectif et la trop grande marge d'appréciation qu'il laissait aux juges du fond, alors que la prohibition des clauses abusives doit rester limitée en raison de l'exception qu'elle apporte à la force obligatoire des contrats. La Cour de cassation lui a donc préféré le critère plus objectif du rapport direct avec l'activité professionnelle exercée, introduit en matière de démarchage par la loi du 31 décembre 1989, malgré certaines résistances des juges du fond et certaines prises de position ambigües de sa part.
2° Critère du rapport direct avec l'activité professionnelle
Ce n'est qu'en 1995 que la Cour de cassation a définitivement arrêté sa position : elle a considéré qu'un professionnel ne pouvait bénéficier de la réglementation protectrice lorsque le contrat contenant les clauses litigieuses était “en rapport direct avec son activité”, dans une affaire où ce dernier soutenait précisément avoir contracté hors de sa sphère habituelle d'activité et de sa spécialité. En l'occurrence, la Cour a estimé que la souscription d'un contrat de fourniture d'électricité présentait un rapport direct avec une activité d'imprimerie. La solution a été étendue aux contrats de fourniture d'eau, de lignes téléphoniques, de matériel informatique, de photocopieurs, et aux contrats de maintenance de ces matériels, ainsi qu'aux contrats de location de véhicules. L'existence d'un rapport direct entre le contrat litigieux et l'activité professionnelle d'un opérateur s'avérait plus facile à établir lorsque ce contrat était directement lié à son activité principale, comme ceux nécessaires à son exercice, qui participe de son financement ou qui sont destinés à la faire connaître ou à la protéger. De même, un contrat souscrit pour adjoindre une activité complémentaire à l'activité principale du professionnel était exclu du champ d'application des règles protectrices du consommateur. En revanche, un usage mixte ou essentiellement privé de la chose ou de la prestation conférait au cocontractant du professionnel la qualité de consommateur ou de non-professionnel.
Dans l'écrasante majorité des cas, le recours au critère du rapport direct a été utilisé pour repousser l'application du droit de la Consommation. Afin de faciliter la preuve du rapport direct et écarter toute contestation ultérieure, les professionnels ont pris l'habitude de faire expressément reconnaître par leur cocontractant que le contrat a été souscrit pour les besoins de son activité professionnelle. L'apposition d'un numéro de RCS ou d'un cachet professionnel sur le contrat constituait également un indice de la visée professionnelle de l'opération.
3° Personnes morales
Le droit de l'Union exclut expressément les personnes morales du dispositif de protection contre les clauses abusives. Néanmoins, la Cour de cassation a précisé que “la notion distincte de non-professionnel, utilisée par le législateur français, n'exclut pas les personnes morales de la protection contre les clauses abusives”. Le juge français n'a pas hésité à accorder la qualité de non-professionnel tant à une personne physique qu'à une personne morale, dès lors que la condition d'absence de rapport direct avec une activité professionnelle était remplie. Tel a notamment été le cas des sociétés civiles immobilières, des syndicats de copropriétaires, ou des sociétés HLM ayant pour objet la mise à disposition de logements sociaux. Pour autant, la protection ne s'appliquait pas à toutes les personnes morales : la Cour de cassation a estimé qu'un contrat conclu entre deux sociétés commerciales ne relevait pas du Code de la Consommation, sans même qu'il y ait lieu de s'interroger sur l'existence d'un rapport direct entre le contrat conclu et leur activité.
4° Définition du non-professionnel issue de l'ordonnance 2016-301 du 14 mars 2016
Le nouvel article L. 212-2 du Code de la Consommation, introduit par l'ordonnance 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du Code de la Consommation, qu'elle recodifie à droit constant, maintient l'applicabilité des dispositions relatives aux clauses abusives du nouvel article L. 212-1 aux contrats conclus entre professionnels et non-professionnels. Elle ajoute une définition du non-professionnel à l'article liminaire du Code de la Consommation. Celui-ci visait toute personne morale “qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole”. La loi de ratification de l'ordonnance simplifie cette définition : constitue désormais un non-professionnel “toute personne morale qui n'agit pas à des fins professionnelles”. Les non-professionnels personnes physiques (artisans, auto-entrepreneurs, professions libérales) semblent dorénavant relever de la notion de “consommateur”, que le texte définit comme “toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole”.
5° Bilan
L'on peut s'interroger aujourd'hui sur l'utilité de la notion de non-professionnel. En effet, celle-ci a vu le jour à une époque où les professionnels qui contractaient en dehors du cadre de leur activité professionnelle ne bénéficiaient d'aucune protection en cas de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. La situation a changé depuis l'insertion dans le Code de commerce de l'interdiction de soumettre ou de tenter de soumettre un cocontractant à des obligations créant un déséquilibre significatif (art. L. 442-1, I, ancien art. L. 442-6, I, 2º) et l'introduction dans le Code civil de l'article 1171 qui répute non écrite toute clause qui crée un déséquilibre entre les droits et obligations des parties liées par un contrat d'adhésion. Les professionnels disposent ainsi d'un arsenal juridique qui leur permet de dénoncer l'existence de clauses abusives dans les contrats les liant à leurs partenaires, sans qu'il soit nécessaire de recourir aux dispositions protectrices des consommateurs que le juge écarte le plus souvent.