Les clauses de parité tarifaire progressivement remises en cause
Acteur majeur de la réservation hôtelière sur Internet, Booking offre un service d’intermédiation en ligne destiné à mettre en relation les voyageurs et les hôtels. Moyennant une commission, ceux-ci peuvent proposer des nuitées sur cette plateforme. L’hypothèse que ces mêmes hôteliers proposent des nuitées sur des plateformes concurrentes a été anticipée par le géant du Web néerlandais qui, dans ses contrats, a inséré des clauses dites « de parité tarifaire ».
Jusqu'en 2015, les contrats conclus entre Booking et les hôtels comprenaient des clauses de parité tarifaire « étendues ». Elles étaient destinées à interdire à ces derniers de proposer des nuitées à un prix moins cher, aussi bien sur des plateformes concurrentes que sur leurs propres canaux.
La validité de ces clauses a néanmoins été remise en cause par certains acteurs du marché dans plusieurs Etats membres, sur le fondement des articles 101 et 102, TFUE (en droit français, L. 420-1 et L.420-2 du Code de commerce).
En France, ce sont cinq syndicats hôteliers, ainsi que le groupe Accor, qui ont saisi l’Autorité de la concurrence afin qu’elle se prononce sur la compatibilité de ce type de clause avec le droit de la concurrence. Si l’autorité de contrôle française n’a pas qualifié ces clauses de pratiques anticoncurrentielles, elle a néanmoins imposé à Booking de prendre l’engagement de ne plus stipuler des clauses de parité tarifaire étendue dans ses contrats (ADLC – Décision 15-D-06 du 21 avril 2015).
Les autorités italiennes et suédoises ont adopté cette même position. Dans le même temps, la loi Macron de 2015 a prohibé ce type de clause en introduisant l’article L. 311-5-1 du Code du tourisme.
A partir de cette date, Booking a donc remplacé les clauses de parité tarifaires étendues par des clauses de parité « restreintes ». Ces clauses autorisaient dorénavant les hôteliers à proposer des prix moins chers sur des plateformes concurrentes. Ils demeuraient toutefois obligés de présenter des prix moins attractifs sur leurs propres canaux de vente.
Ce nouveau type de clause a néanmoins été contestée devant l’autorité de la concurrence allemande, qui a estimé qu'elles portaient atteinte à la prohibition des ententes en droit de l’Union et droit allemand. Partiellement infirmée par un tribunal régional, cette décision a ensuite été confirmée par la Cour fédérale de justice allemande, qui a considéré que ces clauses constituaient une restriction sensible de concurrence qui ne saurait être exemptée au titre de la théorie des restrictions accessoires ou du règlement n°330/2010 sur les restrictions verticales.
A la suite de cette décision, le tribunal d’Amsterdam a saisi la Cour de justice de l'Union européenne de l’affaire en lui posant la question préjudicielle suivante :
- les clauses de parité tarifaires, aussi bien étendues que restreintes, peuvent-elles être justifiées en tant que restriction accessoire, sur le fondement de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ?
La définition de la théorie des restrictions accessoires
En droit de la concurrence, plusieurs moyens ont été consacrés aux fins d’échapper à la prohibition des ententes, sur le fondement de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Il faut en effet rappeler la difficulté d’obtenir une exemption sur le fondement de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, en particulier avant le règlement 1/2003 du 16 décembre 2002.
La règle de raison fait partie de ces moyens. Issue du droit américain, cette théorie implique de réaliser un bilan des effets pro et anti-concurrentiels d’un accord sur le fondement de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE, aux fins de le faire échapper à la qualification d’entente. Elle a néanmoins été écartée par la jurisprudence européenne en raison du fait qu’un bilan concurrentiel ne saurait intervenir que lorsque l’article 101, paragraphe 3 est mobilisé, sous peine de priver cette disposition de sens.
La théorie des restrictions accessoires constitue un autre moyen d’échapper à la prohibition des ententes, sans avoir recours à l’exemption de l’article 101, paragraphe 3, TFUE.
Dans la décision étudiée, la Cour la définit comme une restriction de concurrence indispensable à la réalisation d’une opération projetée. Elle conditionne également son application à la nécessaire proportionnalité entre la restriction de concurrence opérée et les objectifs poursuivis par l’opération en cause.
Elle rappelle enfin que la théorie des restrictions accessoires ne conduit pas à réaliser un bilan concurrentiel de la pratique contestée. Il appartient simplement au juge d’apprécier si l’opération serait impossible à réaliser si la pratique anticoncurrentielle n’était pas mise en œuvre.
La théorie des restrictions accessoires a récemment été étudiée dans le cadre de l’affaire Superleague (CJUE, 21 déc. 2023, aff. C-333/21 European Superleague Company SL, c/ Féd. Internationale de football association (FIFA), Union des associations européennes de football (UEFA)). On se souvient que la Cour avait jugé qu’elle ne pouvait être retenue dès lors que la pratique en cause constituait une restriction par l’objet.
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Les clauses de parité tarifaire injustifiables du point de vue de l’article 101, paragraphe 1, TFUE
De nouveau sollicitée par Booking dans cette affaire, la Cour de justice s’est vue poser la question de l’application de la théorie des restrictions accessoires aux clauses de parité tarifaire, aussi bien étendues que restreintes.
La Cour commence par constater que la fourniture de service de réservation hôtelière en ligne a eu un effet neutre, voire positif, pour la concurrence. En effet, il est de jurisprudence constante que, pour mobiliser la théorie des restrictions accessoires, l’opération projetée doit poursuivre un objectif légitime (CJCE, 18 juill. 2006, aff. C-519/04 P, Meca-Medina et Majcen).
Ce constat n’est néanmoins pas suffisant pour emporter l’inapplication de la prohibition des ententes.
La Cour considère en effet que les clauses de parité tarifaire ne sauraient être considérées comme des restrictions de concurrence indispensables à la réalisation des effets procurés par le service en ligne d’intermédiation proposé par Booking. Elle appuie sa décision par le constat que, dans les pays où les clauses paritaires ont été interdites, l’activité de Booking n’avait pas été entravée.
La Cour estime également que ces clauses ne sont pas non plus proportionnées à l’objectif poursuivi par le service fourni par Booking. Elle retient cette solution aussi bien à l’égard des clauses de parité tarifaire étendues que restreintes, quand bien même celles-ci sont considérées comme des clauses restrictives de concurrence moindres par les juges de Luxembourg.
Elle renvoie néanmoins cette question à la juridiction de renvoi, qui devra déterminer le marché pertinent à retenir dans cette affaire.
A noter enfin que, sur le fondement des pratiques restrictives de concurrence cette fois-ci, les clauses de parité tarifaires ont été qualifiées de déséquilibre significatif dans l’affaire Expedia (Com. 8 juill. 2020, n°17-31.536).