Droit européen des affaires
La théorie de l'épuisement du droit conféré par la marque répond à l'impératif de concilier liberté de circulation et propriété intellectuelle. Elle signifie que le droit exclusif conféré au titulaire de la marque s'épuise dès la première mise en circulation des produits ou services sur le territoire du marché intérieur avec son consentement. L'exercice du droit de marque ne peut, en effet, entraver la libre circulation des marchandises au-delà de ce qu'exige la sauvegarde des droits qui constituent l'objet spécifique de la marque, à savoir assurer à son titulaire le droit exclusif de l'utiliser pour la première mise en circulation d'un produit, et le protéger ainsi contre les concurrents qui voudraient abuser de la position et de la réputation de la marque en vendant des produits indûment revêtus de celle-ci. Cet objet spécifique découle de la fonction essentielle de la marque, qui est de garantir aux consommateurs l'identité d'origine d'un produit en lui permettant de le distinguer sans confusion possible de ceux d'une autre provenance. L'article 15 de la directive 2015/2436, qui a consacré la jurisprudence relative à la théorie de l'épuisement du droit, et l'article 36 TFUE sont interprétés de manière identique.
Les droits du titulaire ne sont pas épuisés s'il n'est pas parvenu à vendre les produits revêtus de sa marque dans l'EEE, si les produits sont placés sous un régime douanier suspensif tel que celui du transit externe ou s'ils n'ont été mis en circulation qu'en dehors de l'EEE. Dans tous les cas, son consentement à la mise dans le commerce dans l'EEE doit porter sur chaque exemplaire du produit pour lequel l'épuisement est invoqué.
Le titulaire de la marque ne peut, selon cette théorie, s'opposer à l'importation, dans un État membre, de produits qui ont déjà fait l'objet d'une commercialisation dans un autre État de l'EEE, de son fait, avec son consentement ou par une personne unie à lui par des liens de dépendance juridique ou économique. La mise dans le commerce de produits revêtus de la marque par le licencié en méconnaissance de certaines clauses du contrat de licence est considérée comme effectuée sans le consentement du titulaire de la marque : il peut légitimement s'opposer au titre de son droit de marque aux importations effectuées par le cessionnaire sur son territoire sans porter atteinte au principe de liberté de circulation des marchandises. En revanche, les droits du titulaire peuvent être épuisés malgré l'absence de lien économique avec l'opérateur ayant effectué la mise dans le commerce si des éléments et circonstances antérieurs, concomitants ou postérieurs, traduisent de façon certaine une renonciation implicite, mais non équivoque, à son droit de s'opposer à une commercialisation dans l'EEE.
De même, le titulaire de la marque ne peut empêcher la mise sur le marché d'un produit licitement pourvu de la marque dans un État membre lorsque, sans son consentement, l'importateur a reconditionné, réétiqueté ou réemballé les produits, mis en circulation avec son consentement, et qu'il y a réapposé la marque de l'État d'importation, dès lors que le reconditionnement s'avère indispensable à la commercialisation des produits dans l'État d'importation, que les produits restent intacts et leur origine apparente, et que l'exercice d'un droit d'opposition par le titulaire aurait pour effet de cloisonner artificiellement les marchés.
A contrario, le titulaire d'un droit de marque peut s'opposer à la commercialisation ultérieure de produits revêtus de sa marque alors qu'il a déjà consenti à une première mise dans le commerce dans l'EEE, s'il justifie d'un motif légitime. L'article 15, paragraphe 2, de la directive 2015/2436, qui consacre cette règle, énonce, à titre d'exemple, la modification ou l'altération de l'état des produits après leur mise dans le commerce.
Selon une jurisprudence désormais classique, le titulaire de la marque peut s'opposer à son utilisation par un tiers après reconditionnement du produit si cette utilisation est de nature à fausser la garantie de provenance. Ce droit d'opposition relève de l'objet spécifique du droit de marque. La garantie de provenance est compromise si le consommateur ou l'utilisateur final ne peut être certain que le produit n'a pas fait l'objet, à un stade antérieur de la commercialisation, d'une intervention, effectuée par un tiers sans autorisation du titulaire de la marque, qui a atteint le produit dans son état originaire. Le titulaire peut donc s'opposer à la commercialisation du produit dans un nouvel emballage sur lequel la marque a été réapposée, à moins que :
- l'utilisation de son droit de marque, compte tenu du système de commercialisation appliqué, ne contribue à cloisonner artificiellement les marchés entre États membres ;
- le reconditionnement n'affecte pas l'état originaire du produit ; pour apprécier l'absence d'affectation, il convient de tenir compte à la fois du produit et du procédé de reconditionnement ; si le reconditionnement qui n'altère pas l'emballage intérieur ou qui est contrôlé par une autorité publique en vue d'assurer l'intégrité du produit, n'affecte pas l'état originaire du produit, il en va différemment en cas de défaut de certaines informations importantes, que ce soit sur l'emballage extérieur ou intérieur du produit reconditionné ou dans une nouvelle notice d'utilisation, ou d'inexactitude des informations concernant la nature du produit, sa composition, son effet, son utilisation ou sa conservation ;
- il ne soit indiqué sur le nouvel emballage par qui le produit a été reconditionné ;
- il n'ait été averti préalablement de la mise en vente du produit reconditionné ;
- et que la présentation du produit ne nuise pas à sa réputation ni à celle de sa marque ; un emballage défectueux, de mauvaise qualité ou de caractère brouillon est susceptible de nuire à la réputation de la marque ; il en est de même du démarquage (non-apposition de la marque sur le nouvel emballage externe), du comarquage (utilisation d'une même présentation pour plusieurs produits différents), de l'apposition par l'importateur parallèle de son propre logo ou style, d'une étiquette supplémentaire masquant, totalement ou partiellement, la marque du titulaire, ou encore de l'impression du nom de l'importateur parallèle en lettres capitales. L'atteinte à la renommée de la marque constitue également un motif légitime, indépendamment de toute altération du produit.