Droit européen de la concurrence
Une opération de concentration sur un marché concentré peut aboutir à la création d'une position dominante collective et accroître la probabilité de coordination des comportements des entreprises présentes sur le marché, qui pourront adopter une ligne d'action commune et augmenter leurs prix, sans conclure d'accord ou recourir à une pratique concertée. Une situation de marché oligopolistique suffit-elle pour autant à générer une position dominante collective, indépendamment de toute condition comportementale ? Le juge européen répond clairement par l'affirmative : “Sur le plan juridique ou économique, il n'existe aucune raison d'exclure de la notion de lien économique la relation d'interdépendance existant entre les membres d'un oligopole restreint à l'intérieur duquel, sur un marché ayant les caractéristiques appropriées […], ils sont en mesure de prévoir leurs comportements réciproques et sont donc fortement incités à aligner leur comportement sur le marché, de façon notamment à maximiser leur profit commun en restreignant la production en vue d'augmenter les prix”. Selon la Commission, la coordination peut revêtir plusieurs formes, telles que le maintien des prix à un niveau supra-concurrentiel, la limitation de la production ou de la quantité de nouvelles capacités mises sur le marché, la répartition du marché par zone géographique ou sur la base d'autres caractéristiques de la clientèle, ou encore le partage des marchés dans les procédures d'appels d'offres. La source d'une telle coordination peut soit être trouvée, comme en matière d'abus de position dominante dans les liens capitalistiques, financiers ou commerciaux qui unissent les entreprises concernées, soit être directement déduite de la structure du marché.
Certaines structures de marché sont plus favorables que d'autres à une coordination des comportements. Tel est le cas lorsque les structures de coût sont similaires, les positions symétriques, le marché mature ou en surcapacité et la demande inélastique. Dans l'arrêt Airtours, les autorités européennes ont défini les trois conditions qui doivent être réunies pour que la coordination soit possible ou - ce qui revient au même - pour qu'une position dominante collective puisse être constatée : une transparence du marché et une homogénéité des produits suffisantes pour permettre à chaque membre de l'oligopole dominant de connaître, de manière suffisamment précise et immédiate, l'évolution du comportement des autres membres, afin de vérifier s'ils adoptent ou non la même ligne d'action (condition de détection) ; une incitation des membres de l'oligopole à ne pas s'écarter de la ligne d'action commune grâce à la mise en place de mécanismes de représailles ou de dissuasion (condition de dissuasion) ; une impossibilité de contestation de la ligne d'action commune par les concurrents actuels ou potentiels ou les consommateurs du fait de l'absence de contrepoids (condition de contestation). Ultérieurement, la Cour de justice a ajouté que "la probabilité d'une coordination tacite est plus forte, si les concurrents peuvent facilement parvenir à une perception commune de la manière dont doit fonctionner la coordination, notamment des paramètres susceptibles de faire l'objet de la coordination envisagée"(condition de compréhension). En outre, le juge européen, lorsqu'il apprécie l'existence d'une position dominante collective en appliquant les critères posés par l'arrêt Airtours, doit se garder de toute démarche mécanique consistant à apprécier séparément chacun des critères pris isolément, en ignorant le mécanisme économique global d'une hypothétique coordination tacite. S'il est facile d'imaginer une coordination des comportements entre concurrents, des effets coordonnés peuvent également survenir en cas de concentration non horizontale du fait de la réduction du nombre de concurrents et de l'accroissement du degré de symétrie entre les entreprises que ces opérations sont susceptibles d'entraîner.