De l'ouvrage "Droit européen de la concurrence" de Louis Vogel
Droit de la concurrence et droit de la consommation
Le droit de la concurrence et le droit de la consommation poursuivent des finalités différentes. Le droit de la concurrence au sens large règle les rapports entre les entreprises et le fonctionnement du marché ; le droit de la consommation tend à organiser les relations entre les consommateurs et les fournisseurs de biens et services. Mais chaque corps de règles peut concourir au renforcement de l'autre (V. SERRA et CALAIS-AULOY (sous la dir.), Concurrence et consommation, Dalloz, 1994.). La protection du consommateur contre les tromperies ou les comportements abusifs de certains professionnels protège en même temps les concurrents qui n'usent pas des mêmes procédés. Inversement, le développement d'une concurrence loyale et réglée entre les entreprises les incite à mettre sur le marché des produits ou services de meilleure qualité et au meilleur prix, dans l'intérêt du consommateur.Le droit de la concurrence et le droit de la consommation poursuivent des finalités différentes. Le droit de la concurrence au sens large règle les rapports entre les entreprises et le fonctionnement du marché ; le droit de la consommation tend à organiser les relations entre les consommateurs et les fournisseurs de biens et services. Cependant, chaque corps de règles peut concourir au renforcement de l'autre. La protection du consommateur contre les tromperies ou les comportements abusifs de certains professionnels protège en même temps les concurrents qui n'usent pas des mêmes procédés. Inversement, le développement d'une concurrence loyale et réglée entre les entreprises les incite à mettre sur le marché des produits ou services de meilleure qualité et au meilleur prix, dans l'intérêt du consommateur. Plus spécifiquement, certains comportements ou pratiques entre opérateurs sur le marché peuvent être poursuivis sur le fondement de la concurrence déloyale et faire l'objet d'une sanction pénale en vertu du Code de la consommation. Le non-respect d'une réglementation caractérise un acte de désorganisation susceptible d'engager la responsabilité civile de son auteur pour concurrence déloyale. Ainsi, la violation des dispositions qui régissent les annonces de réduction de prix peut constituer un acte de concurrence déloyale (V. Cass. com., 31 octobre 2006, 04-16.042, Contrats Conc. Consom. 2007, n° 36, obs. RAYMOND ; RJDA 2007, n° 789, approuvant Pau, 5 avril 2004, 03-02386 : offres de rabais fictifs.), alors qu'elle est par ailleurs pénalement sanctionnée par l'article L. 121-2 du Code de la consommation. De même, la victime d'une pratique commerciale déloyale peut intenter une action en concurrence déloyale contre son auteur. Dans ce cas, la victime ne sera pas le consommateur mais souvent un concurrent (Même si l'auteur des actes n'est pas un concurrent stricto sensu du demandeur : Paris, 16 janvier 2015, 12-13539.). L'action en concurrence déloyale peut également être introduite par les concurrents directs de l'auteur de soldes organisés en contravention avec les textes pour obtenir réparation du préjudice subi (V. Paris, 1er octobre 1992, 90-017636, approuvée sur ce point par Cass. com., 18 octobre 1994, 92-21.087 : en l'espèce, un partenaire commercial d'un magasin avait cessé les livraisons de vêtements de marque, et organisé dans le même temps des soldes portant sur ces produits, les deux magasins étant situés à proximité immédiate.) ou par les concurrents lésés par une pratique de vente ou de prestation de services subordonnée dès lors que le non-respect de l'article L. 121-11 (ancien art. L. 122-1) du Code de la consommation cause nécessairement une rupture d'égalité entre concurrents, et peut incidemment conduire à une captation de clientèle (T. com. Paris, 23 février 2009, 2008078679, 2008079194, confirmé par Paris, 31 mars 2009, 09-03794, ayant retenu que l'opérateur historique des télécommunications, en imposant aux amateurs de football de souscrire un abonnement à Internet auprès de sa filiale pour visionner la chaîne Orange Foot, se rend coupable de vente subordonnée illicite et partant, d'une captation de clientèle, justifiant le prononcé, sous astreinte, d'une mesure d'interdiction. Cependant, la Haute juridiction est revenue sur cette appréciation, estimant qu'il n'y avait pas en l'occurrence de pratique déloyale de vente liée, dès lors que le consommateur se déterminait de façon générale en considération des services associés à l'offre et par conséquent des capacités de différenciation des diverses offres concurrentes, V. Cass. 1re civ., 13 juillet 2010, 09-15.304, 09-66.970.). Enfin, le Code de la consommation ne prévoyant pas de sanctions spécifiques, le non-respect des règles relatives à la publicité comparative peut faire l'objet d'une action en concurrence déloyale. D'ailleurs, avant que le législateur adopte un texte qui lui soit propre, la jurisprudence se fondait sur le droit de la concurrence déloyale pour sanctionner le dénigrement par comparaison.
Au-delà de cette première approche, il apparaît que les rapports que le droit des pratiques anticoncurrentielles, au sens strict, et le droit de la consommation entretiennent avec les consommateurs, se situent à des niveaux différents. Le droit antitrust a bien pour finalité d'augmenter le surplus global au bénéfice des consommateurs : il leur profite, plus qu'il ne les protège. À la différence du droit de la consommation, il n'appréhende le consommateur ni comme un agent économique isolé, ni comme le bénéficiaire direct de la protection. Et lorsqu'il subordonne le bénéfice de l'exemption à la réservation d'une partie équitable du profit aux utilisateurs, il ne fait des consommateurs qu'un élément de localisation des effets bénéfiques de l'entente, et plus généralement, un critère d'appréciation de l'atteinte au marché. Dans la perspective globale du droit des pratiques anticoncurrentielles, le droit - particulier - de la consommation, peut lui-même faire l'objet d'une appréciation : dans certaines hypothèses, le droit de la consommation constituera une barrière à l'entrée des nouveaux concurrents ; dans d'autres, au contraire, il empêchera certains comportements d'exclusion ou constituera un obstacle au cloisonnement des marchés (ex. : la prohibition du refus de vente au consommateur édictée par l'article L. 121-11 du Code de la consommation empêche la réservation de clientèle). Au-delà, il apparaît que les rapports que le droit des pratiques anticoncurrentielles, au sens strict, et le droit de la consommation, entretiennent avec les consommateurs, se situent à des niveaux différents. Le droit des ententes a bien pour finalité d'augmenter le surplus global au bénéfice des consommateurs : il leur profite, plus qu'il ne les protège. À la différence du droit de la consommation, il n'appréhende le consommateur ni comme un agent économique isolé, ni comme le bénéficiaire direct de la protection. Et, lorsqu'il subordonne le bénéfice de l'exemption à la préservation d'une partie équitable du profit aux utilisateurs, il ne fait des consommateurs qu'un élément de localisation des effets bénéfiques de l'entente, et plus généralement, un critère d'appréciation de l'atteinte au marché. Dans la perspective globale du droit des pratiques anticoncurrentielles, le droit de la consommation peut lui-même faire l'objet d'une appréciation : dans certaines hypothèses, le droit de la consommation constituera une barrière à l'entrée des nouveaux concurrents ; dans d'autres, au contraire, il empêchera certains comportements d'exclusion ou constituera un obstacle au cloisonnement des marchés (ex. : la prohibition du refus de vente au consommateur édictée par l'article L. 121-11 C. consom. empêche la réservation de clientèle).
Le droit de la consommation et le droit de la concurrence (spécialement le droit de la concurrence déloyale et des pratiques restrictives) s'influencent désormais réciproquement. Ainsi, l'article L. 442-1, I, 2° du Code de commerce réprime le fait de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité sur la notion de déséquilibre significatif, le Conseil constitutionnel a précisé que celle-ci est définie en des termes suffisamment clairs et précis dès lors qu'elle figure déjà dans le Code de la consommation et la directive 93-13 du 5 avril 1993 et qu'elle a été précisée par la jurisprudence. Inversement, transposant les dispositions de la directive 2005-29 du 11 mai 2005, la loi du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs a introduit de nouvelles dispositions dans le Code de la consommation relatives aux pratiques commerciales déloyales (art. L. 121-1), qui prohibent les pratiques contraires aux exigences de la diligence professionnelle et qui sont susceptibles d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur. L'article L. 121-2 du Code de la consommation qualifie de trompeuse la pratique commerciale qui crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif du concurrent, reprenant ainsi les éléments retenus pour la confusion déloyale. La tromperie peut également résulter de l'omission, de la dissimulation ou du caractère inintelligible d'une information substantielle, telle que les caractéristiques du bien ou du service, ou l'identité du professionnel. Le dispositif a été complété par la loi LME du 4 août 2008, qui a inséré un article L. 121-1-1 (devenu art. L. 121-4) dans le Code de la consommation interdisant les pratiques trompeuses en matière de label de certification, de prix ou d'offres promotionnelles, de service après-vente, d'agissements parasitaires.
Le droit de la concurrence à l'ère du numérique
Consciente que la digitalisation de l’économie est un élément déterminant pour lutter contre le changement climatique et réussir la transition écologique, la Commission poursuit la construction de l’Europe du numérique. Après l’adoption des règlements sur la libre circulation des données à caractère personnel et sur la cybersécurité, de la directive relative aux données ouvertes et du règlement général sur la protection des données, elle a présenté sa stratégie en matière de données et d’intelligence artificielle le 19 février 2020. Affirmant la volonté de l’Europe de devenir un chef de file mondial dans le développement de systèmes d’intelligence artificielle propices à des utilisations et applications sûres, ainsi qu’un modèle et un acteur majeur de l’économie des données, la Commission entend d’une part, réaliser un marché unique des données, doté d’un cadre réglementaire pour la gouvernance, l’accessibilité et la réutilisation des données, entre entreprises, entreprises et administrations, ou au sein même des administrations, et d’autre part, faciliter l’élaboration d’infrastructures de nouvelle génération permettant d’exploiter tout le potentiel de l’économie des données.
Le droit de la concurrence doit également répondre aux enjeux du numérique (MARTY et WARIN, Innovation et concurrence à l’heure des plateformes numériques et de l’intelligence artificielle, Concurrences 1/2020.). L’essor de plateformes numériques mondiales proposant des services d’intermédiation dans la vie quotidienne des consommateurs et des entreprises ainsi que l’avènement de nouveaux outils numériques aux fonctionnalités surpuissantes (algorithmes, cloud, intelligence artificielle, blockchain) réalisent une véritable révolution. Les autorités de contrôle se sont efforcées d'y répondre avec les moyens dont elles disposaient. Mais face à l'ampleur du phénomène, leur réaction se révèle aujourd'hui très insuffisante.
1) La révolution numérique
Caractérisée par l'apparition de nouveaux outils, la révolution numérique a donné lieu à l'émergence d'un secteur économique présentant des caractéristiques structurelles spécifiques. Parmi les nouveaux outils numériques, algorithmes et blockchain sont susceptibles d'entraîner d'importants risques anticoncurrentiels.
L'Autorité de la concurrence définit les algorithmes comme “ une série de règles à appliquer dans un ordre précis pour accomplir une tâche particulière : il s’agit d’une séquence logique permettant d’obtenir un certain résultat à partir d’un intrant donné. [… Ils] sont désormais utilisés pour l’exécution automatique de tâches répétitives impliquant le traitement de données et des calculs complexes ” (Avis Aut. conc. n° 18-A-03 du 6 mars 2018 portant sur l’exploitation des données dans le secteur de la publicité sur internet.). Aujourd’hui, un nombre croissant d’entreprises recourt aux algorithmes pour collecter d’importants volumes de données afin de surveiller le marché et modifier en temps réel leur politique tarifaire en tenant compte des dernières évolutions de l’offre recensées par la machine. Les algorithmes peuvent ainsi constituer le véhicule d’une collusion entre opérateurs concurrents, être fournis par un tiers facilitant la collusion ou réaliser eux-mêmes cette collusion. Dans le premier cas, les entreprises se mettent préalablement d’accord sur le principe d’une fixation commune des prix avant d’utiliser les algorithmes comme outil de mise en œuvre, de surveillance et de dissimulation. Dans son étude sur les algorithmes, réalisée conjointement avec le Bundeskartellamt, l’Autorité de la concurrence les qualifie de “ facilitateurs ” d’ententes. Dans le second cas, les entreprises concurrentes utilisent le même algorithme de détermination de leurs prix fourni par un tiers (le développeur de la solution), qui conduit à un alignement de prix, sans aucun contact entre les concurrents eux-mêmes. Les lignes directrices sur les restrictions horizontales visent les échanges d’informations pouvant intervenir indirectement par le biais d’une agence commune ou d’un tiers (pt 368). Cependant, pour qu’un tel comportement soit saisi par le droit des ententes, encore faut-il que les concurrents aient conscience qu’ils utilisent le même algorithme (V. CJUE, 21 janvier 2016, Eturas, aff. C-74-14, C-74/14, Europe 2016, n° 104, obs. IDOT ; Contrats Conc. Consom. 2016, n° 73, obs. DECOCQ ; LD mars 2016, 7, obs. LOUVET ; AJCA 2016, 201, obs. LUC ; Concurrences, 2/2016, 172, obs. LACRESSE ; LPA, 29 juin 2016, 16, obs. ARHEL ; RDC 2016, 718, obs. IDOT.). Enfin, des concurrents actifs sur des marchés oligopolistiques euvent utiliser en parallèle, sans se concerter, des algorithmes, qui, par leur capacité d’apprendre eux-mêmes (self-learning), conçoivent des stratégies de fixation des prix, susceptibles de conduire à des alignements sur le marché sans aucune intervention humaine (V. COUSIN, L’algorithme au service de la politique tarifaire : Nouvelle pratiques, nouveaux risques ?, Concurrences 4/2017 ; RODA, L’entente algorithmique, JCP G 2019, n° 785 ; TROUSSARD et de BURE, La coordination algorithmique : fantasme ou réalité ?, RLC 2020, n° 3764.). L’appréhension d’une telle pratique par le droit des ententes est plus délicate car la condition d'accord de volontés semble plus difficile à caractériser.
Les algorithmes peuvent également être utilisés au service d’une entente verticale, pour permettre aux fournisseurs de surveiller les prix pratiqués par la concurrence et adresser en temps réel de nouvelles consignes à leurs distributeurs ou surveiller l’application effective de telles consignes. La Commission a sanctionné ce type de pratiques dans ses décisions rendues dans le secteur de la vente en ligne d’appareils électroniques grand public (Comm. UE, 24 juillet 2018, aff. 40181, Philips ; 40182, Pioneer ; 40465, Asus ; 40469, Denon & Marantz.).
Du côté de la demande, les algorithmes permettent d'adopter deux types de stratégies tarifaires (COUSIN, L’algorithme au service de la politique tarifaire : Nouvelle pratiques, nouveaux risques ?, Concurrences 4/2017 ; NOUEL de BUZONNIERE et PFISTER, Algorithmes tarifaires et personnalisation des prix : Quelles implications pour la concurrence ?, Ibid., SAUTEL, Personnalisation tarifaire à l’heure des big data : Quel éclairage de la théorie économique ?, Ibid.) : i) la fixation de prix personnalisés, déterminés eu égard à la disposition du client à s’acquitter d’un certain niveau de prix, elle-même identifiée grâce à la collecte d’informations sur ses habitudes de consommation, son lieu de résidence, l’utilisation de dispositifs de fidélisation, …) ; ii) la fixation de prix dynamiques, adaptés en temps réel aux conditions actuelles du marché (par ex. le yield management) (Le “yield management” ou “pratique de gestion fine des tarifs” consiste, “pour un prestataire de services dont l’offre est par nature non stockable (périssable) et limitée, à maximiser son revenu en faisant varier le prix d’une même prestation, en fonction de critères tels que la demande des consommateurs ou le taux de remplissage”. - V. Avis CNC, Pratiques de gestion fine des tarifs ou yield management et information du consommateur, BOCCRF 7 février 2020.). Ces pratiques, discriminatoires, demeurent néanmoins très marginales, comme l’a montré la Commission dans son rapport final sur le commerce électronique.
L’utilisation d’algorithmes peut enfin constituer, dans certaines circonstances, un abus de position dominante. L’exploitation d’algorithmes est susceptible de conférer en soi à une entreprise un certain pouvoir de marché : d’abord, parce que le développement d’un tel outil implique de lourds coûts d’investissements et que l’entreprise qui y recourt, doit disposer de ressources suffisantes pour ne pas se heurter à cette barrière à l’entrée ; ensuite, parce qu’un algorithme permet de collecter un très grand volume de données, dont le contrôle de l’accès peut conduire l'entreprise dominante à adopter certains comportements abusifs (refus d’accès ou de fourniture d’informations essentielles, menace de déréférencement, conditions de transaction inéquitables, etc.). Un autre comportement abusif pourrait consister à imposer des prix excessifs, prédateurs ou discriminatoires fixés par algorithme.
La blockchain (BOSCO, Blockchain et droit de la concurrence, Contrats Conc. Consom. juin 2018, Repère 6 ; BETTONI, Problématiques soulevées par le blockchain en droit de la concurrence, Contrats Conc. Consom. Février 2020, Etudes, n° 3. – V. aussi MEKKI, Les mystères de la blockchain, D. 2017, 2160.) ou “ chaîne de blocs ” constitue un mode d’enregistrement de données produites en continu, sous forme de blocs liés les uns aux autres dans l'ordre chronologique de leur validation, dans lequel chacun des blocs et leur séquence sont protégés contre toute modification (Vocabulaire de l'informatique, JO 23 mai 2017.). Une fois intégrées à une chaîne, les données sont gravées dans le marbre : elles acquièrent date certaine et ne peuvent plus être modifiées. Leur fiabilité est garantie par leur vérification par la communauté des ordinateurs reliés au réseau et non par une entité extérieure, étatique ou non. Les données stockées dans une blockchain peuvent notamment servir de support à un “ smart contract ”, logiciel programmé pour automatiser les différentes étapes de la vie d’un contrat, auquel il se superpose.
Par son effet amplificateur de la transparence du marché, la blockchain recèle inévitablement un risque de coordination des comportements de ses utilisateurs. Dans les relations horizontales, les smart contracts pourraient être utilisés par des concurrents qui ont préalablement convenu des modalités d’une entente de prix pour assurer l’exécution de celle-ci et empêcher toute tentative de comportement déviant. Comme pour les algorithmes, dont ils ne constituent qu’une variante, les smart contracts se réduisent dans cette hypothèse au rôle de véhicule d’une entente préalable, et pourront, lorsque celle-ci vise à coordonner le comportement de ses participants, être sanctionnés avec elle. Les smart contracts peuvent également être utilisés pour assurer l’exécution d’une entente verticale de prix en garantissant au fournisseur que les distributeurs ne dévieront pas des prix programmés. Privant les distributeurs de toute autonomie dans la fixation de leurs prix, ils tombent nécessairement sous le coup de l’article 4 du règlement restrictions verticales.
Si elle facilite la mise en œuvre des ententes, la blockchain, par un effet boomerang, peut également constituer un outil très utile pour les services d’instruction des autorités de concurrence. En fixant définitivement les éléments de l’accord de prix et en leur donnant date certaine, la blockchain permet de débusquer et prouver les comportements anticoncurrentiels beaucoup plus facilement, d’autant que dans l'hypothèse de blockchains fermées, l’article L. 450-3, alinéa 5, du Code de commerce permet à l’Autorité d’exiger le décryptage des données. En outre, la blockchain peut être utilisée par les autorités de concurrence pour se partager des informations sur les affaires en cours ou déjà traitées, dans l’esprit de collaboration préconisé par le règlement 1/2003. Enfin, la blockchain peut être mise en œuvre pour surveiller le respect des engagements pris par les entreprises dans le cadre des procédures négociées ou des injonctions de l’autorité de concurrence.
Sur le terrain de l'abus de position dominante, la blockchain pourrait permettre à une entreprise dominante d’imposer des conditions tarifaires inéquitables ou discriminatoires à ses clients en utilisant la technique du “ pricing personnalisé ” qui, grâce à des algorithmes, permet de moduler le prix d’un produit, en fonction des revenus et des habitudes de consommation des internautes : compte tenu de ses revenus, une personne paiera moins cher un produit tandis qu’une autre, identifiée comme payant habituellement plus cher sur internet, paiera un prix plus élevé pour le même produit, de façon à compenser le manque à gagner. Un autre risque pourrait résulter du fait que certaines plateformes numériques créent leur propre blockchain privée, pour stocker leurs données, afin de mieux en refuser l’accès à leurs concurrents.
Au-delà des risques anticoncurrentiels identifiés liés à l’utilisation de ces nouveaux outils, la structure et les caractéristiques du secteur du digital suscitent des questions spécifiques (BELFLAMME et PEITZ, Les effets concurrentiels de l’exclusivité et de la transparence des prix sur les marchés dotés de plateformes numériques, Concurrences 1/2020 ; MUSCOLO, Les écosystèmes et l’intersection entre droit de la propriété intellectuelle et droit de la concurrence, Concurrences 1/2020 ; de STREEL, Should digital antitrust be ordoliberal?, Concurrences 1/2020, 2.).
Le secteur digital, marqué par l’innovation, se caractérise par la présence de géants du web américains, les GAFAM, plateformes numériques de dimension mondiale, qui, par l’intermédiaire de leur expertise technologique, l’importance des effets de réseau, la collecte massive de données ou les économies d’échelle dont ils profitent, disposent d’un pouvoir de marché considérable conduisant à des situations d’ultra-dominance (Soulignant que l'importance de la dominance est un critère d'appréciation de la responsabilité particulière qui incombe à une entreprise dominante, l’Autorité de la concurrence qualifie, de façon inédite, “ d’extraordinaire ” la position dominante de Google, qu’elle attribue à la détention d’une part de marché supérieure à 90 %, aux effets de réseau importants qui caractérisent le marché de la publicité liée aux recherches, ainsi qu’à son pouvoir régulateur à l’égard des annonceurs, qui décuple son pouvoir de marché [car, en établissant les règles permettant à ces derniers d’interagir, Google est à même d'orienter le modèle économique des annonceurs et d'influer sur la qualité et la diversité de l'offre ouverte aux internautes], V. décision Aut. conc. n° 19-D-26 du 19 décembre 2019, 19-D-26.), voire de monopole (Dans sa contribution au débat sur la politique de la concurrence et les enjeux numériques, publiée le 21 février 2020, l’Autorité de la concurrence alerte notamment sur “ les phénomènes de « tipping ” ou de “ winner takes all ” qui traduisent un basculement vers une situation de monopole ou de “ gatekeepers ”, dans lequel certains acteurs contrôlent l’accès au marché pour de multiples utilisateurs.). Profitant de ces effets de convergence, ces plateformes, actives sur plusieurs marchés, souvent bifaces, créent des écosystèmes grâce à la complémentarité de leurs services, aux externalités de réseau et à la mise en œuvre de stratégies de fidélisation, qui leur permettent de mettre en œuvre des pratiques abusives - susceptibles à terme de rendre captifs les consommateurs - le plus souvent sur des marchés distincts du marché monopolisé. Ces spécificités structurelles, la substituabilité dynamique et évolutive des services offerts, mais aussi leur gratuité (Dans la décision Comm. UE n° AT.40009 du 20 septembre 2019, Google-Android, il est apparu à la Commission que le test SSNIP n’était pas pertinent s’agissant de services gratuits, comme souvent sur internet, elle lui a donc substitué un test d’élasticité “ qualité ” croisée de la demande ou SSNQD (« small but significant non-transitory decrease in quality ») au terme duquel elle a considéré qu’en cas de baisse de la qualité du système Android, les consommateurs ne se reporteraient pas nécessairement sur celui d’Apple.) ont amené la Commission à s’interroger sur sa grille de critères de définition du marché pertinent (Discours du 9 décembre 2019 de la Chillin’ Compétition Conference.). Concernant la dimension géographique du marché, l’autorité de concurrence préconise une appréciation différenciée, au cas par cas, selon les produits ou services. S’agissant du marché de produits ou de services, elle se prononce en faveur d’une meilleure prise en considération de la concurrence potentielle d’acteurs ne se situant pas sur le marché pertinent, mais susceptibles d’influer sur le pouvoir de marché de l’entreprise concernée (V. décision Google-Android précitée, dans laquelle la pression indirecte exercée par les systèmes d’exploitation fermés mobiles, jugés non substituables aux systèmes d’exploitation sous licence (Android), a été mesurée pour savoir si elle constituait un contrepoids sérieux à la position dominante détenue par Google sur le marché des systèmes d’exploitation Android.). Cette approche pragmatique, qui prend en considération les interdépendances entre les différents services, se justifie particulièrement dans le secteur innovant du digital où la délimitation du marché peut s’avérer difficile ou rapidement obsolète et où une définition trop étroite du marché de référence, en conduisant à caractériser des positions dominantes automatiques, pourrait aboutir à des condamnations trop systématiques.
Les spécificités du secteur du numérique impactent également le droit des concentrations, qui s’est trouvé confronté à la réalisation par les géants du numérique de nombreuses opérations de fusion-acquisition, qui échappent le plus souvent au contrôle des autorités de la concurrence, car elles visent des entrants innovants ou n’ayant pas encore monétisé leur innovation. En pratique, les plateformes numériques en cause utilisent cette politique d’ “ acquisitions prédatrices ” intensive, soit pour tuer la cible dont la communauté croissante d’utilisateurs risque d'en faire rapidement un concurrent important - “ killer acquisitions ” -, soit le plus souvent pour intégrer à leur écosystème de jeunes start-up dont elles développent l’activité, afin d’augmenter leur propre communauté d’utilisateurs potentiels et renforcer leur position sur le marché dominé ou des marchés voisins - “ acquisitions englobantes ou consolidantes ” -. Dans tous les cas, la concurrence potentielle s’en trouve limitée, sans que ces acquisitions soient soumises au contrôle des concentrations puisqu’elles ne dépassent pas les seuils nationaux ou européens de notification obligatoire, mais dans la première hypothèse, une source d’innovation qui aurait pu doper le fonctionnement concurrentiel du marché et bénéficier au consommateur se trouve éliminée, tandis que dans la seconde, elle se voit confisquée par l’opérateur dominant qui en recueille les bénéfices en privant les consommateurs d’offre alternative. Par ailleurs, l’analyse concurrentielle des concentrations réalisées dans le secteur du numérique suppose une appréciation prospective d’effets congloméraux potentiels, qui s’avère complexe sur des marchés émergents, innovants et évolutifs.
2) Les réponses des autorités de contrôle
Jusqu’à présent, la qualification d’abus de position dominante s’est avérée appropriée pour incriminer les comportements des GAFAM matérialisés en pratique par des refus d’accès, des ventes liées, la mise en place d’une interopérabilité insuffisante avec les produits ou services concurrents ou encore l’imposition de conditions de transactions inéquitables. Sur le fondement de l’article 102 TFUE, la Commission a contraint Microsoft à ouvrir son système d'exploitation pour permettre aux éditeurs de logiciels tiers de proposer des logiciels compatibles avec Windows (Décision Comm. CE du 24 mars 2004, 2007-53. - V. aussi Comm. CE du 16 décembre 2009, 39.530, dans laquelle elle a contraint Microsoft de doter Windows au sein de l'EEE d'un mécanisme permettant aux Original Equipment Manufacturers (OEM) et aux utilisateurs finals d'activer ou de désactiver Internet Explorer et d'en faire le navigateur web par défaut, de ne pas s'opposer à ce que les OEM préinstallent librement le(s) navigateur(s) web de leur choix sur les PC qu'ils fournissent, et de diffuser auprès des utilisateurs de PC équipés de Windows au sein de l'EEE, au moyen de Windows Update, une mise à jour logicielle consistant en un écran multi-choix leur proposant différents navigateurs web, afin de remédier aux problèmes de concurrence suscités par la vente liée de son navigateur web “ Internet Explorer ”, à celle de son système d'exploitation “ Windows ” pour PC clients.) et sanctionné Google pour avoir favorisé son site comparateur de prix en ligne Google Shopping (Décision Comm. UE n° AT.39740 du 27 juin 2017, Google Search.), puis son application de recherche Google Search et son navigateur Google Chrome (Décision Comm. UE n° AT.40009 du 18 juillet 2018, Google Android.). Prochainement, la Commission examinera la plainte pour abus de position dominante de Spotify qui reproche à Apple d’avantager son service de streaming musical, Apple Music, sur l'App Store au détriment de l’application Spotify. Quant à l’Autorité de la concurrence, elle a très récemment infligé une amende de 150 millions d’euro à Google pour avoir défini de manière non objective ni transparente les règles contractuelles de fonctionnement de son service Google Ads et les avoir imposées aux annonceurs dans des conditions aléatoires, non équitables et discriminatoires (V. décision Aut. conc. n° 19-D-26 du 19 décembre 2019, C-307/18). Dans sa contribution au débat sur la politique de concurrence et les enjeux numériques publiée le 21 février 2020, l’Autorité s’est montrée favorable à une transposition au secteur du digital, en particulier aux comportements des grandes plateformes numériques, de la pratique décisionnelle mise en œuvre précédemment dans des secteurs à forte innovation marqués par des problématiques d’interopérabilité et de refus d’accès à des données non réplicables. L’Autorité a ainsi imposé à Nespresso qui avait organisé une incompatibilité de ses machines à café avec les capsules des fabricants concurrents, l’interopérabilité de ses produits avec ceux de ses concurrents (V. décision Aut. conc. n° 14-D-09 du 4 septembre 2014, Nespresso, 14-D-09.) et contraint Engie de donner accès à ses concurrents à sa base de données clients, considérée comme non réplicable, alors que l’opérateur historique gazier s’y refusait au moment stratégique de l’ouverture du marché de la fourniture du gaz à la concurrence (V. décision Aut. conc. n° 14-MC-02 du 9 septembre 2014, 14-MC-02, qualifiant l'utilisation de l'infrastructure commerciale et des fichiers clients, en l'état de l'instruction, d’étrangère à une concurrence par les mérites dans la mesure où une partie significative de cette infrastructure commerciale a été développée alors que GDF Suez détenait un monopole de la fourniture de gaz naturel et que la faible connaissance des clients du fonctionnement concurrentiel du marché de l'énergie, ainsi que la non-réplicabilité par les concurrents de cette infrastructure, constituaient des circonstances particulières, susceptibles de renforcer l'effet potentiel d'éviction des nouveaux entrants des marchés du gaz et de l'électricité.).
La pratique décisionnelle française en matière de contrôle des concentrations s'est déjà adaptée aux spécificités du secteur numérique. Lorsqu’elle a exercé son contrôle sur une opération de concentration réalisée sur le marché biface des petites annonces immobilières en ligne (V. décision Aut. Conc. n° 18-DCC-18 du 1er février 2018, 18-DCC-18.), l’Autorité a pris en considération la concurrence potentielle des plateformes numériques structurantes, telles que Google, Amazon et Facebook. Dans la décision Darty/Fnac relative au secteur de la distribution au détail (Décision Aut. conc. n° 16-DCC-111 du 27 juillet 2016, 16-DCC-111, concernant la distribution au détail de produits électroniques bruns et gris. - Dans le même sens, V. décision Aut. conc. n° 19-DCC-65 du 17 avril 2019, 19-DCC-65 concernant la distribution de jouet au détail et n° 19-DCC-199 du 28 octobre 2019, 19-DCC-199, concernant la distribution au détail d'accès à internet et n° 19-DCC-132 du 16 juillet 2019, 19-DCC-132, concernant la vente au détail de livres neufs.), elle est revenue sur la délimitation du marché pertinent en y intégrant désormais les ventes en ligne et a centré son analyse concurrentielle de l’impact de la concentration sur l’intérêt du consommateur en jugeant que le rapprochement de réseaux de magasins physiques, auxquels s'ajoute la vente à distance, était susceptible d'engendrer une dégradation de la qualité de l'offre proposée au consommateur en magasin, notamment en termes de services (conditions d'accueil, de conseil, de service après-vente ou d'horaires d'ouverture).
3) Faut-il faire évoluer les règles de concurrence ?
Même si l’expérience récente montre que les autorités de concurrence ont su faire usage des outils existants pour traiter des questions nouvelles posées par le développement du numérique, des adaptations à droit constant ou même de véritables modifications du droit existant paraissent souhaitables pour qu'elles se montrent plus réactives sans pour autant entraver le développement d'offres nouvelles ou de l’innovation.
Sous l’angle des adaptations, et concernant spécifiquement le droit des ententes, la Commission a fait part de son intention de réviser les lignes directrices sur la coopération horizontale(27) s’agissant du partage de données et des accords de mise en commun(28). En matière d’abus de position dominante, l’Autorité de la concurrence propose dans sa contribution au débat sur la politique de la concurrence et les enjeux numériques, d’élargir la notion de position dominante pour “ y inclure certains acteurs en situation de quasi-dominance ” ou “ sur le point de faire basculer le marché ”, qu’elle qualifie de “ plateformes structurantes ”, et qui disposent d’un pouvoir de marché considérable non seulement sur le marché dominé mais aussi sur des marchés connexes, notamment en raison de leur statut de “ gate keeper ”. La modification annoncée de la Communication de la Commission sur la définition du marché pertinent s’inscrit dans la même tendance. En raison du caractère incontournable de “ certaines bases de données, communautés d’utilisateurs ou écosystèmes ”, l’Autorité de la concurrence envisage soit d’assouplir la notion d’infrastructure essentielle en général, qui actuellement fait l’objet d’une interprétation très stricte pour tenir compte des infrastructures numériques, soit de l’appliquer de façon plus souple à l’industrie du numérique, afin de pouvoir qualifier plus facilement ces infrastructures d’ “ essentielles ” en consacrant le caractère incontournable de la donnée. Pour ne pas laisser s’installer des situations irréversibles, le recours aux mesures provisoires, avant même toute saisie par les opérateurs victimes, est plébiscité. Le droit de l’Union a institué cette procédure dans la directive ECN+(29), mais celle-ci n’est pas encore transposée en droit français. L’Autorité souhaiterait d’ailleurs que les entreprises puissent la saisir d’une demande de mesures conservatoires avant même d’avoir régularisé la saisine au fond(30).
En matière de contrôle des concentrations, l’Autorité propose de mettre à jour les critères de l’analyse concurrentielle de sorte que l’impact d’une concentration dans l’économie numérique soit examiné au regard de différents paramètres pertinents pour le consommateur, tels que le pluralisme, la diversité ou la qualité du service offert, sans se limiter aux seuls effets sur les prix. Elle préconise d’améliorer les outils de mesure du pouvoir de marché de l’entité issue de la concentration lorsqu’il résulte de la détention de vastes données ou de larges communautés d’utilisateurs(31), ainsi que de recourir davantage aux engagements comportementaux, plus souples et adaptables que les engagements structurels, pour restaurer les conditions d’une concurrence effective. Par ailleurs, pour remédier au vide juridique concernant les acquisitions prédatrices, l’Autorité propose un recours plus fréquent au mécanisme de renvoi prévu à l’article 22 du règlement 139-2004, qui permet à une autorité nationale de concurrence de renvoyer à la Commission une concentration non notifiable, que ce soit au regard des seuils nationaux comme européens, dès lors qu’elle menace d'affecter de manière significative la concurrence sur son territoire.
A côté de ces adaptations du droit existant, une autre voie pourrait consister à compléter le droit de la concurrence en adoptant des règles spécifiques à l’industrie du numérique(32).
L’Autorité de la concurrence suggère d’introduire dans le droit de la concurrence, national comme européen, de nouvelles dispositions spécifiques aux “ plateformes numériques structurantes ”. Partant du postulat qu’il faut d’abord identifier celles-ci afin d’appréhender leur comportement, l’Autorité propose une définition générale de la notion de “ plateforme numérique structurante ” en trois temps, qui pourrait ensuite être encadrée par des lignes directrices. Relèveraient de cette qualification : “ 1) une entreprise qui fournit en ligne des services d’intermédiation, en vue d’échanger, acheter ou vendre des biens, des contenus ou des services, et 2) qui détient un pouvoir de marché structurant a) en raison de l’importance de sa taille, sa capacité financière, sa communauté d’utilisateurs et/ou des données qu’elles détient, b) lui permettant de contrôler l’accès ou d’affecter de manière significative le fonctionnement du ou des marchés sur lesquels elle intervient, 3) à l’égard de ses concurrents, de ses utilisateurs et/ou des entreprises tierces qui dépendent pour leur activité économique de l’accès aux services qu’elle offre ”. L’Autorité suggère d'établir une liste de pratiques soulevant des préoccupations de concurrence, tout en précisant qu’elles ne devraient pas faire l’objet d’une interdiction per se mais d’une appréciation au cas par cas. Parmi les pratiques visées, figurerait la discrimination des produits ou services concurrents utilisant les services de la plateforme, l’entrave à l’accès aux marchés sur lesquels elles ne sont pas dominantes ou structurantes, l’utilisation des données sur un marché dominé pour en rendre l’accès plus difficile, le fait de rendre l’interopérabilité des produits ou services ou la portabilité des données plus difficiles ou d’empêcher le recours à la multi-domiciliation.
S’agissant du contrôle des concentrations, l’Autorité se prononce en faveur de l’introduction d’un contrôle des concentrations dans l’économie numérique qui reposerait sur un double mécanisme, avec d’une part, l’instauration d’une obligation d’information(33), au bénéfice de la Commission et/ou des autorités de concurrence concernées, portant sur toute opération de concentration mise en œuvre par une plateforme numérique structurante sur le territoire de l’Union et d’autre part, l’ajout de nouveaux seuils de notification pouvant être mis en œuvre ex-ante, mais aussi ex post(34), sur demande d’une autorité de concurrence, à l’issue d’une veille concurrentielle, dès lors que trois conditions sont réunies : “ l’ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration réalise un chiffre d’affaires total mondial supérieur à 150 millions d’euros ; l’opération soulève des préoccupations substantielles de concurrence identifiées sur le territoire concerné et le cas échéant ; l’opération ne relève pas de la compétence de la Commission européenne ”. L’Autorité fait valoir à l'appui de sa proposition qu’un tel système est d'ores et déjà appliqué en Estonie, Hongrie, Irlande, Lituanie, Norvège, Suède, aux États-Unis ainsi qu’au Japon.
Une autre voie a finalement été choisie avec l'adoption d'une législation dédiée au secteur numérique de l'Union.
4) La mise en place d'une réglementation européenne spécifique
Afin de contrecarrer le pouvoir des grandes plateformes qui contrôlent des écosystèmes importants dans l’économie digitale et créer un espace numérique plus sûr où les droits fondamentaux des utilisateurs sont protégés et des conditions de concurrence équitables garanties aux entreprises, l'Union a adopté un paquet Espace numérique, composé du règlement 2022/1925 du 14 septembre 2022 sur les marchés numériques(36), dit DMA (37), et du règlement 2022/2065 du 19 octobre 2022 sur les services numériques (JOUE L 277, 27 oct. 2022, 1), dit DSA.
Le DMA, applicable depuis le 2 mai 2023 (A compter de cette date, les entreprises concernées disposaient d'un délai de deux mois pour communiquer à la Commission les seuils susceptibles de les désigner comme contrôleur d'accès. La Commission en a retenu six (Alphabet, Amazon, Apple, ByteDance, Meta, Microsoft) sur sept entreprises notifiantes par des décisions de désignation en date du 5 septembre 2023, qui estiment à vingt-deux les services de plateforme essentiels. Meta, TikTok et Apple ont contesté leur désignation.), tend à mieux encadrer les activités économiques des très grandes plateformes ou contrôleurs d'accès (gatekeepers), qui jouent un rôle systémique dans le marché intérieur pour des services numériques importants et fonctionnent comme des goulets d’étranglement entre les entreprises et les consommateurs. Il vise en particulier à préserver la contestabilité et l'équité sur les marchés numériques, afin d'empêcher que leur accès ne soit verrouillé par les contrôleurs d'accès en raison du contrôle qu'ils exercent via leurs services de plateforme essentiels (moteur de recherche, réseau social). Les services de plateforme essentiels fournis ou proposés par des contrôleurs d’accès à des entreprises utilisatrices établies dans l’Union ou à des utilisateurs finals établis ou situés dans l’Union (Le lieu d'établissement ou de résidence du contrôleur ainsi que la loi applicable à la fourniture des services n'entrent pas en ligne de compte dans la détermination du champ d'application.) relèvent ainsi du DMA, qui prévoit par ailleurs les règles d'articulation avec les autres textes européens dans le domaine du numérique et s'applique sans préjudice des articles 101 et 102 TFUE, des règles nationales de concurrence et du règlement 139/2004. Pour identifier les contrôleurs d'accès, le DMA fixe un certain nombre de critères et de seuils en termes de chiffre d'affaires et de fréquentation (art. 3). Eu égard à l'importance de ces seuils, les GAFAM semblent particulièrement concernés par la notion de contrôleur d'accès. En vue de permettre aux entreprises de “surmonter efficacement les barrières à l'entrée et à l'expansion, et faire concurrence au contrôleur d'accès sur la base des mérites de leurs produits et services” et de garantir l'équilibre entre les droits et obligations des contrôleurs d'accès et des entreprises utilisatrices, le DMA impose en outre aux contrôleurs d'accès des obligations de comportements et de gouvernance tout en prohibant les pratiques auxquelles ces derniers recourent habituellement pour renforcer leur position sur internet, telles que la combinaison de données personnelles provenant de différentes plateformes, l'interdiction opposée aux entreprises utilisatrices de recourir à des canaux de distribution concurrents ou encore l'obligation pour les utilisateurs de s'abonner à l'ensemble des services qu'ils proposent (art. 5 à 7.). La Commission se voit par ailleurs conférée des pouvoirs d'enquête, de décision et de sanction destinés à garantir la conformité des pratiques des contrôleurs d'accès au règlement (art. 20 s.).
Le DSA, entré en vigueur le 25 août 2023, met en place des règles harmonisées en matière de modération des contenus illicites et de transparence pour les intermédiaires et plateformes en ligne (Notamment les places de marché en ligne, les réseaux sociaux, les plateformes de partage de contenu, les magasins d’applications et les plateformes de voyage et d’hébergement en ligne.). Comme le DMA, il vise principalement les GAFAM en prévoyant un cadre pour l'exemption conditionnelle de responsabilité des fournisseurs de services intermédiaires (Le DSA définit le service intermédiaire comme un service de la société de l’information, tel qu'un service de “simple transport”, consistant à transmettre, sur un réseau de communication, des informations fournies par un destinataire du service ou à fournir l’accès à un réseau de communication, de “mise en cache”, consistant à transmettre, sur un réseau de communication, des informations fournies par un destinataire du service, impliquant le stockage automatique, intermédiaire et temporaire de ces informations, effectué dans le seul but de rendre plus efficace la transmission ultérieure de ces informations à d’autres destinataires à leur demande ou un service d’”hébergement, consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service à sa demande (art. 2, g).) ainsi que des obligations de diligence spécifiques pour les plateformes en ligne et intermédiaires qui comptent plus de 45 millions d’utilisateurs par mois dans l’UE (Règl. 2022/1925, art. 1, paragr. 2, a) et b).).