Eu égard à la licéité des critères de sélection quantitatifs, droit français et droit européen ont connu une évolution inverse. D'abord, fortement réticent à l'égard des critères quantitatifs, le droit européen les a ensuite admis de plus en plus largement en examinant la validité de la sélection quantitative sur le fondement de l'exemption individuelle, avant de reconnaître à la tête de réseau une liberté totale quant au choix d'y recourir sans avoir à justifier de leur bien-fondé en deçà de 30 % de parts de marché (Lignes directrices restrictions verticales 2022, pt 162). La Cour de cassation a pour sa part admis très tôt la licéité des critères de sélection de nature quantitative. Plus libérales au départ, les autorités françaises se sont par la suite montrées plus timorées que les autorités européennes. Certaines décisions pouvaient même laisser penser que le juge français continuait de vouloir exercer un véritable contrôle de proportionnalité en appréciant l'opportunité de recourir à la sélection quantitative.
Une harmonisation s'est avérée indispensable. Elle s'impose chaque fois que le droit français est appliqué cumulativement avec le droit européen et va de soi lorsque le droit européen est utilisé comme guide d'analyse. La divergence portant sur l'application même du droit européen, la Commission est intervenue en qualité d'amicus curiae auprès de la Cour d'appel de Paris afin de veiller au respect de l'application uniforme du droit de l'Union. Selon la Commission, les critères quantitatifs n'obéissent pas à la même logique que les critères qualitatifs : ils doivent seulement être définis, sans qu'il y ait lieu de contrôler leur bien-fondé, leur justification ou leur objectivité. La Cour d'appel de Paris s'est alignée sur cette position. Compte tenu des divergences de jurisprudence, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice d'une question préjudicielle. L'arrêt était particulièrement attendu par les fournisseurs têtes de réseau qui souhaitaient que, conformément aux termes du règlement et à ses travaux préparatoires, le juge européen reconnaisse que des critères quantitatifs définis - critères déterminés qui limitent directement le nombre de distributeurs - tels un numerus clausus, puissent être librement choisis par la tête de réseau sans que celle-ci ait à avancer une justification que le texte ne requiert pas.
Dans son arrêt Auto 24/Jaguar du 14 juin 2012, la Cour de justice a dit pour droit que les critères définis au sens du règlement 1400/2002 doivent seulement être des “critères dont le contenu précis peut être vérifié”, sans qu'il soit “nécessaire qu'un tel système repose sur des critères qui sont objectivement justifiés et appliqués de façon uniforme et non différenciée à l'égard de tous les candidats à l'agrément”. Cette décision, conforme au droit de la concurrence et à l'efficience économique, devrait mettre un terme aux divergences de la jurisprudence et sécuriser les systèmes de distribution sélective dans tous les secteurs de l'économie. En effet, le règlement 2022/720, qui remplace le règlement 330/2010, se réfère lui-même à un système de sélection “sur la base des critères définis” avec interdiction de revente hors réseau (art. 1er, 1., (g)). Comme le règlement, l'arrêt de la Cour de justice ne fait aucune distinction selon que la distribution sélective est qualitative ou quantitative. Dans les lignes directrices restrictions verticales, qui, elles, distinguent ces deux formes de sélection, la Commission requiert que les critères qualitatifs soient objectifs, uniformes et non discriminatoires. Elle précise, toujours dans les lignes directrices restrictions verticales, que “les accords de distribution sélective qualitative et/ou quantitative peuvent bénéficier de l’exemption [par catégorie], pour autant que les parts de marché du fournisseur et de l’acheteur n’excèdent pas 30 % et que l’accord ne comporte aucune restriction caractérisée” et ce, “indépendamment de la question de savoir [si lesdits accords] remplissent les critères Métro” (Lignes directrices restrictions verticales, pt 151). L'autorité européenne ajoute que “l'exemption par catégorie s'applique à la distribution sélective quelle que soit la nature du produit concerné et les critères de sélection” sous réserve d'un éventuel retrait d'exemption si les caractéristiques du produit ne nécessitent pas une distribution sélective ou, plus généralement, en cas d'effets préjudiciables sensibles sur la concurrence (Lignes directrices restrictions verticales, pts 151 et 152). La Cour de cassation s'est alignée sur la position européenne en affirmant que ni le règlement automobile, ni le droit international, n'imposent à un constructeur qui a mis en place un réseau de distribution sélective quantitative, de justifier des raisons qui l'ont amené à arrêter son numerus clausus, dès lors que celui-ci est précis et vérifiable. Depuis lors, la Cour d'appel de Paris a même estimé qu'en dessous de 30 % de parts de marché, il n'était pas nécessaire de vérifier si les critères d'agrément au sein d'un réseau de distribution sélective quantitative sont suffisamment précis ou appliqués sans discrimination.
La jurisprudence rendue en France avant l'entrée en vigueur des règlements restrictions verticales de nouvelle génération présente encore un intérêt au-delà des seuils d'exemption par catégorie. Sous l'empire des anciens textes, il a été jugé qu'une limitation quantitative du nombre de points de vente est licite dès lors qu'elle se justifie par le potentiel des ventes ou l'intérêt du consommateur, ou par les objectifs de production du fabricant, à condition de ne pas donner naissance à une exclusivité territoriale au profit d'un seul distributeur agréé. Le nombre de points de vente alourdit les coûts de distribution, de publicité et de contrôle des distributeurs et rend l'approvisionnement plus complexe. L'impossibilité pour le fabricant d'approvisionner de multiples points de vente en raison d'une faible capacité de production, des possibilités économiques locales réduites, la préexistence d'un point de vente dans le secteur géographique, le taux de densité de la population et les facteurs locaux de commercialité, la nécessité d'une rotation rapide des stocks (par ex. pour les parfums de luxe) sont susceptibles de justifier une limitation du nombre de revendeurs. En revanche, la limitation quantitative est fautive lorsqu'elle aboutit à une diminution du nombre des revendeurs agréés alors que le chiffre d'affaires connaît une forte augmentation.