Droit français de la distribution
Par dérogation au préavis de deux années auquel il subordonnait la rupture d'un contrat de concession à durée indéterminée, l'article 5, paragraphe 3, du règlement automobile 1475/95 du 28 juin 1995, prévoyait un préavis abrégé d'une année “en cas de nécessité de réorganiser l'ensemble ou une partie substantielle du réseau”. La règle, reconduite par l'article 3 du règlement 1400/2002 du 31 juillet 2002, selon des modalités légèrement différentes, n'est plus applicable depuis le 1er juin 2013, date à laquelle la distribution de véhicules neufs est tombée dans le champ d'application du règlement restrictions verticales. En effet, celui-ci ne comporte plus aucune disposition relative aux obligations contractuelles des parties. Les causes et modalités de résiliation, ainsi que les durées de préavis, relèvent désormais des droits nationaux des contrats. Il n'est cependant pas exclu que les juridictions appelées à en connaître se réfèrent, à titre de guide d'analyse, aux solutions retenues sous l'empire des anciens règlements.
1° Conditions de forme
Selon l'article 5 du règlement 1475/95, pour bénéficier de l'exemption par catégorie, “les parties [devaient], en cas de désaccord, accepter un système de règlement rapide du litige, tel le recours à un tiers expert ou à un arbitre, sans préjudice [de leur droit] de saisir le tribunal compétent conformément aux dispositions du droit national applicable”. Ces dispositions n'imposaient pas au concédant de recueillir obligatoirement l'accord des concessionnaires et, en l'absence d'un tel accord, la désignation d'un tiers-expert préalablement à la mise en œuvre d'une résiliation pour réorganisation. La résiliation extraordinaire d'un contrat de concession pour réorganisation du réseau était valable dès lors qu'une procédure de règlement rapide des litiges, prévoyant le recours à une commission de conciliation ou à un tiers-expert et préservant le droit d'action devant les juridictions nationales, était ouverte aux concessionnaires après sa mise en œuvre.
La rédaction du règlement 1400/2002 était plus claire. L'article 3 dissociait en effet nettement la question du préavis abrégé pour réorganisation (pt 5), du droit pour chacune des parties de recourir à un expert indépendant ou à un arbitre en cas de litige relatif au respect de leurs obligations contractuelles. Cette obligation était remplie lorsque trois conditions étaient réunies. D'abord, le contrat de distribution devait contenir une clause permettant aux parties de saisir un expert ou un arbitre. Ensuite, la clause ne pouvait être mise en œuvre que si le constructeur avait respecté l'obligation de préciser par écrit les motifs de la rupture. Enfin, l'expert, l'arbitre ou le juge devait être en mesure d'exercer un contrôle effectif des motifs invoqués, afin de vérifier que la mesure ne venait pas sanctionner un comportement pro-concurrentiel du distributeur. La Cour de justice a confirmé que le règlement automobile 1400/2002 n'exigeait pas que la faculté pour les parties de saisir un tiers-expert ou un arbitre en cas de résiliation du contrat soit exercée préalablement à la notification de la rupture.
2° Conditions de fond
Aux termes de l'article 3, paragraphe 5, du règlement 1400/2002, la réorganisation devait concerner l'ensemble ou une partie substantielle du réseau. Pour présenter un caractère substantiel, la réorganisation devait s'appliquer à un nombre important de distributeurs et être nécessaire. Le contrôle du juge ne pouvait porter que sur l'existence de “circonstances objectives” et ne devait pas remettre en cause les considérations économiques qui avaient fondé la décision des constructeurs. La concurrence accrue entre constructeurs automobiles, qui les a conduits à réduire le nombre des distributeurs et étendre les territoires concédés en engageant des investissements supplémentaires pour valoriser l'image des marques et favoriser la commercialisation des véhicules, la récession du marché de l'automobile, la baisse de 45 % des ventes de véhicules neufs sur quatre ans dans un contexte de crise ou la nécessité d'améliorer la compétitivité de l'entreprise, ont été considérées comme des motifs économiques de réorganisation.
La décision de réorganiser le réseau pouvait être fondée sur des motifs à la fois économiques et juridiques et, dans ce cas, il importait peu que le nombre de distributeurs n'ait pas été modifié de manière substantielle. Mais la réorganisation pouvait aussi reposer sur des motifs d'ordre purement juridique. En effet, si l'entrée en vigueur du règlement 1400/2002, qui interdisait le cumul de la distribution exclusive et sélective, n'impliquait pas nécessairement une réorganisation du réseau, elle pouvait la rendre nécessaire compte tenu de l'organisation spécifique de certains d'entre eux. Ainsi, les constructeurs détenant plus de 30 % de part de marché ont dû, sous peine de perdre l'exemption, procéder à la résiliation des contrats de concession en vigueur pour passer de la distribution exclusive à la distribution sélective quantitative autorisée jusqu'à un seuil de 40 %. La réorganisation a également été admise lorsque le constructeur avait été contraint de recourir, dans un délai rapproché, à la distribution sélective, afin de préserver l'étanchéité de son réseau.
Le délai de mise en œuvre de la réorganisation n'entrait pas en ligne de compte lors de l'appréciation de son caractère nécessaire. Une résiliation avec préavis réduit pouvait ainsi intervenir à tout moment du processus de réorganisation, dès lors que celui-ci n'était pas achevé. Une réorganisation rapide et un recours au préavis d'un an pouvaient s'avérer justifiés dès lors que le règlement automobile n'avait accordé qu'un bref délai aux constructeurs pour mettre leurs réseaux en conformité avec ses nouvelles dispositions, que l'un d'eux avait tardé à mettre en oeuvre sa réorganisation pendant que les autres avaient engagé la leur, qu'il existait un risque juridique de sanctions attaché au défaut de mise en conformité et que la coexistence de deux systèmes normatifs différents portait atteinte à l'efficacité du réseau. Le fait d'avoir laissé passer la date d'entrée en vigueur d'un nouveau règlement d'exemption (le 1er octobre 2003 s'agissant du règlement 1400/2002) n'entraînait aucune péremption du droit de réorganisation d'un réseau, un retard de quelques mois rendant au contraire d'autant plus urgente la réorganisation du fait du risque de sanction. De même, l'intensité de la crise affectant le marché de l'automobile a pu rendre la réorganisation urgente, dans le but de rationaliser la distribution et de mener une politique commerciale efficace, et de justifier le recours à un préavis abrégé. Enfin, il a été jugé qu'un concessionnaire ayant été résilié pour réorganisation du réseau avec un préavis d'un an ne pouvait se prévaloir des dispositions de l'article L. 442-1, II du Code de commerce pour contester la durée du préavis, ce texte devant être interprété à la lumière du droit européen qui primait sur le droit national.