Les notions clés et ressources en droit français de la distribution

De l'ouvrage "Droit français de la distribution" de Louis Vogel, Joseph Vogel


Existe-t-il un droit de la distribution ?

A priori, la question peut paraître surprenante. Le droit de la distribution fait l'objet de nombreux enseignements et de multiples ouvrages et les professionnels le pratiquent au quotidien. L'existence d'un tel droit peut donc difficilement être contestée. Cependant, la matière est difficile à cerner. Au sens large, le droit de la distribution pourrait regrouper l'ensemble des règles juridiques gouvernant les activités de mise à disposition des biens et des services au profit des utilisateurs finals entre le stade de la production et de la consommation. Une vision aussi extensive conduirait à y inclure notamment tout le droit du travail de la force de vente, l'ensemble du droit de la consommation, les règles d'urbanisme commercial, le régime des centres commerciaux... Cette conception tentaculaire présente des inconvénients certains. Chacun de ces thèmes constitue à lui seul une discipline à part entière, ayant ses propres spécialistes et soulève des questions qui ne sont pas nécessairement propres à la distribution. Le risque de l'exercice est d'aboutir à un catalogue de matières sans cohérence et difficilement maîtrisable. Il n'existe donc pas un, mais plusieurs droits de la distribution, en fonction du périmètre retenu. Notre préférence va à la partie centrale et stratégique du droit de la distribution, celle des réseaux de distribution. Nous ne traiterons donc pas des contrats de la grande distribution qui relèvent plus du droit de la concurrence (V. VOGEL, Traité de droit économique, T. 1 Droit de la concurrence, LawLex/Bruylant, 2015.) que du droit de la distribution. Sous des formes diverses, ils manifestent souvent en pratique l'exercice de la puissance d'achat des grands distributeurs à l'égard de leurs fournisseurs dépendants (Le droit européen de la concurrence saisit généralement ce type de contrat par l'intermédiaire des effets verticaux qui peuvent accompagner une concentration horizontale entre grands distributeurs. Lorsque le marché de la distribution et celui de l'approvisionnement sont étroitement interdépendants, un effet de spirale peut se produire, l'existence d'une position dominante sur l'un des marchés pouvant se traduire par la création ou le renforcement d'une position dominante sur l'autre. Tel est le cas lorsque la concentration limite les sources d'approvisionnement ou que la présomption de position dominante qui pèse sur la nouvelle entité est caractérisée par le renforcement de sa puissance d'achat (V. VOGEL, Traité de droit économique, T.1, Droit de la concurrence, LawLex/Bruylant, 2015, n° 311). En droit français de la concurrence, de tels effets restrictifs verticaux sont également appréhendés dans le cadre du contrôle des concentrations en cas de suppression d'un débouché ou de création d'un état de dépendance (V. VOGEL, op. cit., n° 1015). Plus spécifiquement, le droit français comporte des dispositions permettant de sanctionner l'abus de dépendance ou l'abus de dépendance économique (V. VOGEL, op. cit., nos 639 s. et 823 s.). Les lignes directrices sur les restrictions verticales (JOUE 19 mai 2010, 2010-C 130-1) apprécient les effets anticoncurrentiels de deux pratiques de la grande distribution : les redevances d'accès payables d'avance (pts 203 s.) et les accords de gestion par catégorie (pts 209 s.). Il convient de noter que les préoccupations du législateur français inscrites dans de nombreuses dispositions ont donné lieu récemment à des initiatives au niveau européen. Après avoir commandité une étude comparative d'envergure sur le droit des pratiques commerciales déloyales entre entreprises dans les 28 États membres de l'Union, la Commission a publié un Livre vert sur les pratiques commerciales déloyales (COM/2013/037 final) et lancé une consultation sur ces dernières. V. BÉHAR-TOUCHAIS et AMARO, A propos du Livre vert sur les pratiques commerciales déloyales dans la chaîne d'approvisionnement alimentaire et non alimentaire interentreprises en Europe (réponse du réseau Trans Europe Experts), RLC, 2013/36, 35.).

Un réseau de distribution se définit comme l'organisation par une entreprise, tête de réseau - généralement un fournisseur -, d'un ensemble d'entreprises liées par des relations contractuelles fortes, cohérentes et stables, de fournisseur à distributeur, en vue de développer de façon efficiente et pérenne les ventes. En ce sens, le droit de la distribution constitue un art éminemment pratique. Son objet est de permettre à l'entreprise, tête de réseau, de choisir le système de distribution le mieux adapté à la commercialisation de ses biens et services, d'encadrer les relations avec son réseau, de le faire vivre et de le développer, ainsi que de gérer au mieux les conflits et la fin des relations avec tel ou tel distributeur ou la réorganisation de l'ensemble d'un réseau. Même si on le limite au cœur de la matière, celle des réseaux de distribution, il s'agit d'une discipline riche et complexe car elle emprunte aux différentes branches du droit dont elle assure la synthèse au service du fonctionnement efficient des réseaux de distribution. Le droit de la distribution impose d'appliquer simultanément à tout moment le droit commercial des contrats et le droit national et/ou européen de la concurrence, tout en tenant compte des contraintes du droit du travail, du droit fiscal, du droit des procédures collectives, du droit pénal et du droit de la procédure. La pratique du droit de la distribution est un “sport dangereux” tant pour les entreprises que pour leurs directeurs juridiques et leurs conseils. L'objet du présent ouvrage est de les préparer au mieux à prendre leurs décisions et à les guider dans l'action en limitant autant que possible le risque juridique. Pour éclairer les choix du chef d'entreprise et de ses conseils, internes ou externes, nous avons concentré l'analyse sur les principales formes de réseaux de distribution auxquelles les entreprises ont recours en pratique.

Confrontés aux questions soulevées par la mise en place ou l'évolution d'un réseau de distribution, le chef d'entreprise et ses conseils ont le choix entre une large palette de solutions allant des formes les plus souples (approvisionnement exclusif, distribution exclusive, distribution sélective) aux formes les plus intégrées (franchise, agents, locataires-gérants), jusqu'à des figures contractuelles fondées sur un rapport de subordination, comme dans le cas des VRP.


Des réseaux fournisseurs aux réseaux distributeurs

À l'origine, une industrie toute puissante faisait face à un commerce atomisé. Depuis les années 1960, ce rapport de force s'est progressivement inversé au profit du commerce, qui a connu de profondes mutations : prédominance de la grande distribution de masse, émergence de systèmes de distribution spécialisée et intégrée, disparition des petits commerces de centre-ville. Les industriels se sont de plus en plus plus souvent trouvés en position d'infériorité économique face à certains de leurs clients, notamment ceux de la grande distribution. Les grands distributeurs ont mis en place des réseaux de centrales d'achat ou de référencement - des réseaux distributeurs - qui centralisent les achats de l'ensemble de leurs points de vente ou référencent leurs fournisseurs qui doivent y adhérer pour accéder au linéaire.

À la différence des réseaux fournisseurs fondés sur des relations directes entre fournisseurs et distributeurs, les réseaux distributeurs interposent entre les distributeurs membres du réseau et les tiers une structure juridique, la centrale.

La centrale, intermédiaire de la grande distribution, peut se limiter à mettre en relation des fournisseurs et des adhérents après avoir négocié et obtenu des prix intéressants pour ces derniers. Elle intervient alors en qualité de centrale de référencement, c'est-à-dire de courtier (FERRIER, La centrale de référencement : serviteur ou maître ?, AJ Contrat 2018, 16.). Les ventes sont conclues directement entre le fournisseur et les distributeurs, seuls ces derniers étant tenus à l'égard du fournisseur. La centrale de référencement, qui intervient en qualité de courtier, n'est obligée, sauf stipulation contractuelle contraire, ni d'informer les fournisseurs sur la solvabilité des distributeurs (Cass. com., 6 décembre 1988, 86-17.310), ni de garantir leurs dettes (Cass. com., 16 janvier 1990, 88-11.541), ni de payer le prix des marchandises (Cass. com., 23 octobre 1990, 88-13.468). Le fournisseur ne peut donc pas se prévaloir du non-paiement des marchandises par un distributeur pour ne pas verser la commission (En l'absence de clause limitant l'assiette de la commission au montant des factures effectivement payées par les adhérents de la centrale, il a été jugé que l'assiette de la commission due à la centrale de référencement est constituée par l'ensemble du chiffre d'affaires et non pas uniquement par celui effectivement réglé par les adhérents : Cass. com., 28 mai 1991, 88-19.359 ; 6 décembre 1988, 86-17.310. Contra : T. com. Paris, 10 juin 1988, 88-8788 ; Versailles, 16 décembre 1987, 921-87.) ou la ristourne qu'il doit à la centrale ou à un autre distributeur (Cass. com., 28 mai 1991, 88-19.359). La centrale ne peut céder par voie de bordereau Dailly les sommes versées par ses adhérents en paiement de fournitures livrées (Cass. com., 24 janvier 1995, 92-21.786). Lorsqu'une centrale de référencement se charge personnellement du recouvrement des sommes dues par ses adhérents et se porte garante de ceux-ci (Paris, 15 mars 1993, 92-21921 ; Bordeaux, 15 novembre 1993, 92002176), la garantie du paiement donnée par la centrale de référencement n'entraîne pas novation par changement de débiteur en l'absence de consentement du fournisseur (Cass. com., 25 octobre 1994, 93-10.344) et ne suffit pas à libérer ceux-ci à l'égard de ce dernier (Cass. com., 3 janvier 1995, 93-12.737). A défaut de mandat pour le recouvrement des factures donné par le fournisseur à la centrale, le paiement effectué par les adhérents entre les mains de cette dernière n'est pas libératoire (Cass. com., 9 mai 1995, 93-15.975 ; 22 avril 1996, 93-21.452 ; 31 mars 1998, 95-20.991 ; 11 décembre 2001, 96-22.096.). Enfin n'étant pas acheteur, la centrale ne peut pas voir sa responsabilité engagée pour non-respect des règles de facturation (Cass. crim., 21 juillet 1998, 97-84.477 ; Amiens, 25 mai 1999, 98-00993). Toutefois, la centrale de référencement qui, par son rôle d'intermédiaire, contribue à la commercialisation de produits contrefaits référencés se rend coupable de contrefaçon (Cass. com., 27 février 1996, 94-15.507).

La centrale peut également avoir pour mission d'agir pour le compte de ses adhérents en son propre nom. Commissionnaire au sens de l'article L. 132-1 du Code de commerce, la centrale d'achat devient alors un intermédiaire opaque, le fournisseur ne connaissant pas le distributeur qui acquiert ses produits. Aucun lien de droit n'existe entre le fournisseur et le commettant. Le distributeur règle à la centrale les produits que cette dernière lui a vendus, les ventes étant conclues entre la centrale et le distributeur (Si elle se contente de centraliser les commandes de ses adhérents, de transmettre ces dernières aux fournisseurs, de vérifier la ponctualité des livraisons, de payer les fournisseurs et de se porter ducroire, la centrale ne sera pas soumise au régime du commissionnement : Cass. com., 22 mars 1994, 92-11.087.). Une centrale d'achat doit être considérée comme un commissionnaire lorsqu'elle établit des bons de commande à son nom, sans indiquer qu'elle intervient en qualité de mandataire (Cass. com., 10 juillet 2001, 98-19.126). Unique vendeur, l'obligation de facturation lui incombe (Paris, 21 mai 2001, 00-07262). Lorsque la centrale agit en qualité de mandataire de ses affiliés pour l'achat de marchandises, elle peut être contractuellement tenue de répercuter sur ces derniers les ristournes obtenues des fournisseurs (Cass. com., 25 novembre 2014, 13-24.306, AJCA 2015, 89, obs. LECOURT. Dans cette hypothèse, elle est tenue de justifier des sommes encaissées pour le compte des affiliés et de leur reversement à leur profit.). En revanche, lorsque le contrat ne crée entre les parties aucun lien de mandataire à mandant ou de commettant à commissionnaire, la centrale d'achat peut conserver le bénéfice des ristournes qu'elle a négociées (Lyon, 8 novembre 2007, 05-06933 ; Paris, 4 décembre 2013, 11-21632.) ou prélever une marge sur les produits mis à disposition des franchisés (Paris, 12 septembre 2018, 15-15102, AJ Contrat 2018, 489, obs. DISSAUX ; LEDICO novembre 2018, 4, obs. MARTIN.). Qu'elle soit ou non mandataire, la centrale n'est pas tenue de révéler aux adhérents la teneur de la négociation avec les fournisseurs, qui relève du secret des affaires, mais seulement le résultat de celle-ci (Paris, 23 septembre 2015, 12-22096, approuvée par Cass. com., 8 juin 2017, 15-27.146, Contrats Conc. Consom. 2017, n° 171, obs. MALAURIE-VIGNAL ; LD juillet-août 2017, 7, obs. LEFEUVRE ; LEDICO, septembre 2017, 5, obs. BUCHER ; AJ Contrats 2017, 443, obs. DISSAUX ; JCP E 2018, n° 1131, obs. MAINGUY ; Paris, 27 mars 2019, 17-05107, 17-07947, 17-07648. - Comp. Cass. com., 18 octobre 2017, 16-15.891, LD novembre 2017, 7, obs. LEFEUVRE-ROUMANOS, qui retient que le secret des affaires ne peut être opposé à des franchisés qui disposent d'un intérêt légitime à déterminer si le franchiseur leur a rétrocédé les ristournes versées par la centrale de référencement auprès de laquelle ils sont tenus de s'approvisionner.). De même, un fournisseur dispose d'une action contre les adhérents d'une centrale d'achat lorsque cette dernière est leur mandataire pour le paiement des marchandises (Cass. com., 4 janvier 2000, 97-21.067 ; 22 février 2000, 96-21.933.). La centrale ne peut pas non plus se voir facturer les frais de gestion des comptes bancaires ouverts au nom de ses adhérents (Cass. com., 25 janvier 2005, 01-12.110).

Les adhérents d'une centrale d'achat peuvent-ils se prévaloir des dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce relatives à l'obligation précontractuelle d'information ? Une réponse positive a été apportée par la Cour de cassation à cette question. Dès lors qu'ils sont, pour les produits couverts par le contrat d'affiliation, tenus à une quasi-exclusivité, les distributeurs adhérents de la centrale peuvent revendiquer l'application de l'article L. 330-3, même s'ils ont la possibilité d'exercer d'autres activités non-concurrentes (Cass. com., 19 janvier 2010, 09-10.980). En revanche, la fourniture de comptes prévisionnels afin de susciter les candidatures n'est pas régie par l'article L. 330-3. Comme en matière de franchise, elle est à l'origine de nombreux contentieux, qui reçoivent dans les deux cas la même solution : la clause du contrat d'affiliation par laquelle le candidat, par ailleurs expérimenté, reconnaît que les comptes prévisionnels qui lui ont été fournis ne présentent qu'une valeur indicative et ne constituent pas un élément déterminant de son consentement, ne lui permet pas d'invoquer ultérieurement une erreur substantielle sur la rentabilité de l'exploitation (Angers, 5 mai 2015, 13-00515).

Le regroupement de commerçants au sein d'une centrale peut tomber sous le coup des articles L. 420-1 ou L. 420-2 du Code de commerce. Les centrales d'achat et leurs groupements constituent en effet une entente anticoncurrentielle lorsqu'ils entravent l'accès aux marchés de certains fournisseurs et limitent les possibilités compétitives des distributeurs concurrents (Décision, Comm. conc. du 14 mars 1985, voir la décision). La multiplication des regroupements à l'achat entre les enseignes de la grande distribution a conduit différentes autorités de concurrence à analyser de façon approfondie les possibles effets anticoncurrentiels de ces rapprochements (Pour une synthèse, V. VOGEL, Puissance d'achat et droit des pratiques anticoncurrentielles et des concentrations, intervention à l'Atelier de la DGCCRF du 17 juin 2015, Puissance d'achat, concurrence et abus de dépendance économique.). Conscient que de nombreux rapprochements échappaient au radar de ces autorités en raison de la non-atteinte des seuils de contrôle, le législateur a institué en 2015 une obligation de prénotification de l'opération à l'Autorité de la concurrence, afin de lui permettre d'apprécier l'opportunité d'une saisine d'office (RODA, Le nouvel article L. 462-10 du Code de commerce : Le renforcement (relatif) du contrôle de la puissance d'achat, Concurrences 1/2016, 35 ; REDON et PETRIGNET Loi EGalim : vers un nouvel équilibre des relations commerciales, BRDA, n° 23/18, 26 ; CHONÉ-GRIMALDI, Loi EGalim : un nouveau droit de la distribution des produits agricoles et alimentaires, JCP E, 2019, n° 1021.). En vertu de l'article L. 462-10 du Code de commerce, “[d]oit être communiqué à l'Autorité de la concurrence, à titre d'information, au moins quatre mois avant sa mise en œuvre, tout accord entre des entreprises ou des groupes de personnes physiques ou morales exploitant, directement ou indirectement, un ou plusieurs magasins de commerce de détail de produits de grande consommation, ou intervenant dans le secteur de la distribution comme centrale de référencement ou d'achat d'entreprises de commerce de détail, visant à négocier de manière groupée l'achat ou le référencement de produits ou la vente de services aux fournisseurs”. La loi EGalim (L. 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable, JO du 1er novembre 2018.) a enrichi le mécanisme en organisant une procédure de bilan concurrentiel ex post de l'accord. A cet effet, l'Autorité peut demander aux parties à l'accord de lui transmettre un rapport présentant l'effet sur la concurrence de cet accord. L'Autorité examine s'il est de nature à porter une atteinte sensible à la concurrence au sens des articles L. 420-1 et L. 420-2 et apprécie s'il apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser d'éventuelles atteintes à la concurrence, en prenant en compte son impact tant pour les producteurs, les transformateurs et les distributeurs que pour les consommateurs. Si des atteintes à la concurrence ou des effets anticoncurrentiels sont identifiés, les parties à l'accord s'engagent à prendre des mesures visant à y remédier dans un délai fixé par l'Autorité de la concurrence. L'Autorité de la concurrence peut également se saisir d'office ou être saisie par le ministre de l'Economie. Elle peut aussi prendre des mesures conservatoires dès lors que les atteintes à la concurrence que l'accord entraîne ou est susceptible d'entraîner immédiatement après son entrée en vigueur présentent un caractère de gravité suffisant. Ces mesures peuvent comporter une injonction aux parties de revenir à l'état antérieur ou de modifier l'accord.

Le libre choix de l'acheteur étant l'un des ressorts majeurs de la concurrence et le principal moyen par lequel le commerce stimule la productivité, l'amélioration de la qualité des produits et des services ainsi que l'abaissement des prix, la négociation des accords de référencement et des conditions commerciales dont ils sont assortis ou, au contraire, le refus de référencer, comme le déréférencement, ne constituent pas, en eux-mêmes, des pratiques anticoncurrentielles (Cass. com., 16 janvier 1990, 88-11.541 ; Décision Cons. conc. n° 05-D-62 du 10 novembre 2005, 05-D-62.). Le déréférencement ne devient contraire à l'article L. 420-1 du Code de commerce, que lorsqu'il a pour objet le boycott d'un fournisseur ou de l'un ou plusieurs de ses produits (Décision Cons. conc. n° 94-D-60 du 13 décembre 1994, 94-D-60 ; Paris, 13 décembre 1995, ECOC9510419X ; Décision Cons. conc. n° 99-D-01 du 5 janvier 1999, 99-D-01).

Le comportement de la centrale peut également caractériser un abus de dépendance économique. La prohibition de tels abus est justement née du changement de rapport de force entre fournisseurs et distributeurs, les premiers se plaignant des abus des seconds, qui ne pouvaient être réprimés sur le fondement de l'abus de position dominante (Avis Comm. conc. du 14 mars 1985, voir la décision) puisque les centrales ne sont quasiment jamais détentrices d'une telle position sur un marché de produits particulier (La solution serait peut-être différente si l'on admettait l'existence d'un marché de services d'approvisionnement.). Pour que l'incrimination joue, deux conditions doivent être remplies : une dépendance économique et une atteinte à la concurrence. La dépendance ne peut être établie qu'en l'absence de solution équivalente. Le fournisseur qui adhère à une structure concurrente (Versailles, 27 mars 1997, 5279-95.) ou l'associé coopérateur d'une centrale d'achat (Cass. com., 4 juillet 2006, 03-16.443 : le rapport de distribution doit primer le rapport de coopération pour établir une dépendance.) ne sont pas dépendants. En revanche, la centrale d'achat qui impose des conditions commerciales injustifiées à un distributeur dépendant, compte tenu de la difficulté à mettre rapidement en place de nouveaux réseaux d'approvisionnement, commet un abus (T. com., Châlons-en-Champagne, 19 mars 1998, 95-0566). Par ailleurs, l'exclusion d'un adhérent ne constitue pas un abus de dépendance économique lorsque la mesure n'a ni pour objet ni pour effet de restreindre la concurrence (Cass. com., 22 février 2000, 97-17.020).


Le double dualisme du droit de la distribution

Le droit de la distribution est un droit dual à un double titre : les règles nationales cohabitent avec les règles européennes et les règles de droit civil avec les règles de droit de la concurrence.

Actuellement, le droit de la distribution relève pour l'essentiel du droit des obligations. Au sein des États membres, un droit spécial de la distribution est même apparu, qui se subdivise en fonction de différentes catégories de contrats obéissant à des règles de plus en plus spécifiques (distribution exclusive, distribution sélective, franchise, agence…).

Le droit européen n'a pas pu longtemps se désintéresser des contrats de distribution qui sont un instrument essentiel de la libre circulation des marchandises au sein de l'Union européenne. Il les a appréhendés sous deux angles différents : d'abord sous l'angle du droit de la concurrence (V. L. et J. VOGEL, Distribution et droit de la concurrence, JCP E, 2012, I, 1180 ; CLAUDEL, Régulation de la distribution par les autorités de concurrence : quels objectifs ?, RLDA, 2013, n° 4654 ; CLAY, Concurrence, distribution et entreprises : quelles difficultés pratiques et contentieuses ? Comment les gérer ?, RLDA, 2013, n° 4657 ; FOURGOUX, Droit de la concurrence et contrats de distribution : quelles contraintes ?, RLDA, 2013, n° 4656 ; LUC, Droit de la concurrence et distribution : quel(s) rôle(s) pour le juge de droit commun ?, RLDA, 2013, n° 4655 ; VOGEL, Efficiency versus Regulation: The Application of EU Competition Law to Distribution Agreements, JECLAP, 2013, No 3, 277 ; VOGEL, The Recent Application of EU and National Competition Law to Distribution Agreements: Does Competition Law Promote Efficient Distribution Networks?, JECLAP 2016, 628.), ensuite sous celui des règles du marché intérieur.

Les contrats de distribution ont constitué l'objet principal des règlements d'exemption par catégorie qui ont permis à la Commission d'imposer aux opérateurs économiques les clauses qu'elle jugeait licites au regard du droit des ententes et d'exclure celles trop attentatoires à la concurrence. Au-delà du droit de la concurrence, les règlements d'exemption sont allés parfois jusqu'à déterminer le régime civil de ces contrats qu'ils ont imposé aux entreprises souhaitant bénéficier de l'exemption par catégorie. Les règlements automobiles successifs intervenus jusqu'en 2002 constituent la meilleure illustration de cette méthode puisqu'ils ont abouti à un véritable formatage des contrats de ce secteur en fixant leur durée et celle des préavis, en imposant la motivation de leur résiliation, en encadrant leur cessibilité et en aménageant leurs clauses de différends. La Commission ne s'est toutefois pas contentée de cette harmonisation indirecte des contrats par l'intermédiaire du droit de la concurrence, mais a, dans un second temps, utilisé les techniques du marché intérieur pour aboutir à un véritable rapprochement des régimes juridiques nationaux. En droit positif, la directive sur les agents commerciaux constitue la première manifestation de cette nouvelle politique. Plus généralement, la Commission a chargé un groupe de travail animé par le professeur von Bar d'établir des propositions en vue notamment de l'adoption de règles communes applicables aux contrats de distribution. Plus récemment, elle s'est intéressée aux pratiques commerciales déloyales dans la chaîne d'approvisionnement alimentaire et non alimentaire (Dir. 2019/633 du 17 avril 2019 sur les pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d'approvisionnement agricole et alimentaire, JOUE L 111 du 25 avril 2019, 59. - Sur ce texte, CHONE-GRIMALDI, Pratiques commerciales déloyales dans la chaîne alimentaire : une incursion européenne dans le droit des contrats entre professionnels, Europe novembre 2019, Etude n° 8 ; DASKALOVA, The New Directive on unfair Trading Practices in Food and EU Competition Law: Complementary or Divergent Normative Frameworks?, JECLAP 2019, 281 ; IDOT, Le titre IV et le droit de l'Union européenne, Concurrences 2019/3, 34 ; LEDOUX, Ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 : présentation générale de la réforme du titre IV du livre IV du Code de commerce, Droit rural août 2019, étude 16 ; PETIT, Le complément européen de la loi Égalim : la directive sur les pratiques commerciales déloyales dans la chaîne d'approvisionnement alimentaire, Droit rural janvier 2020, étude 1 ; PROUZET, La directive pratiques commerciales déloyales dans la chaîne d'approvisionnement alimentaire, Concurrences 2019/3, 27 ; TENENBAUM, Les professionnels et le droit matériel de l'Union européenne : des clauses abusives aux pratiques commerciales déloyales, RDC 2019, 122 ; THEBAUD et DEBOYSER, La directive 2019/633 et les pratiques commerciales déloyales dans le secteur agroalimentaire, JDE 2019, 399.).


Vers un droit commun européen de la distribution

La Commission a lancé en 2003 un vaste plan d'action à l'effet d'harmoniser le droit européen des contrats. Il a donné naissance à deux sous-projets. Le premier, dénommé “Acquis”, classe toutes les directives existantes en matière contractuelle. Le second, qui tend à l'établissement d'un cadre commun de référence “Common Frame of Reference” (CFR), élabore un cadre général du droit contractuel, dans lequel les parties pourraient puiser librement, à l'instar des principes des contrats commerciaux internationaux Unidroit.

Le 20 avril 2010, la Commission a présenté un nouveau plan d'action avant de publier, le 1er juillet 2010, un Livre vert “relatif aux actions envisageables en vue de la création d'un droit européen des contrats pour les consommateurs et les entreprises” qui envisage différentes options, allant de la publication de règles non contraignantes à l'adoption d'un Code civil européen en passant par la recommandation, la législation facultative ou l'harmonisation par voie de directive ou de règlement.

Pour mener ses travaux, la Commission dispose notamment aujourd'hui du “Draft Common Frame of Reference” du “Study Group” dirigé par le professeur von Bar. Le texte actuel(2) se caractérise, s'agissant des contrats de distribution, par une inspiration fortement protectionniste et un décalage évident par rapport à la réalité économique qui se manifeste tout particulièrement dans la définition des conditions de la rupture.

L'article 1-306 du projet introduit le principe général d'un droit à une indemnité de clientèle pour le distributeur à la cessation du contrat. Son adoption constituerait une rupture importante avec les règles en vigueur dans la majorité des États membres - à l'exception des droits allemand et belge - qui consacrent le principe opposé selon lequel les parties sont toujours libres de mettre un terme à un accord de distribution. Une telle indemnisation générale en fin de contrat compromettrait l'efficience économique : le fournisseur serait nécessairement réticent à résilier un distributeur, ce qui favoriserait le maintien en place des opérateurs existants, même peu performants.

L'article 1-302 prévoit que chaque partie à un contrat à durée indéterminée a le droit d'y mettre un terme moyennant un préavis d'une durée suffisante. Le texte est complété par une présomption selon laquelle un préavis d'un mois pour chaque année d'exécution du contrat est considéré comme suffisant. Cette présomption est contestable, non seulement parce qu'elle peut aboutir à des délais de rupture extrêmement longs, mais aussi parce qu'en cumulant indemnisation de fin de contrat et préavis long, elle rompt l'équilibre du contrat de distribution. La directive sur les agents commerciaux, qui consacre un principe d'indemnité de clientèle, prévoit ainsi de façon beaucoup plus raisonnable, qu'au-delà de trois années de vie du contrat, la durée du préavis est fixée à trois mois - délai que les États peuvent porter au maximum à six mois.

Les principes actuellement retenus par le projet von Bar ont peu de chance d'être consacrés : ils sacrifient l'efficience économique et heurtent la tradition juridique de la plupart des États membres.

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