Droit français de la concurrence
Introduction au cadre réglementaire
Pour lutter contre les abus de puissance d'achat, les autorités de concurrence françaises ont souhaité mettre en place un système qui permette “de contrôler les comportements d'offres ou de demandes discriminatoires émanant d'entreprises ou de groupes d'entreprises qui, sans détenir une position dominante, sont, en raison de leur poids sur le marché, des partenaires obligés soit pour leurs fournisseurs, soit pour leurs clients”. L’article L. 420-2, alinéa 2, du Code de commerce prohibe ainsi “l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur”.
Spécificités de l'abus de dépendance économique
Les pratiques d'une entreprise à l'égard d'une entreprise dépendante ne sont prohibées que si “d'une part, elles restreignent le jeu de la concurrence sur un marché et si, d'autre part, elles sont abusives, c'est-à-dire, notamment, reflètent un comportement que l'entreprise n'aurait pas pu avoir si elle ne disposait pas d'une situation de domination de l'entreprise qui est dans sa dépendance”. Il s'ensuit que seuls les comportements anormaux du point de vue concurrentiel sont susceptibles de tomber sous le coup de l'article L. 420-2, alinéa 2. L'énumération non limitative de comportements prohibés figurant au dernier alinéa de l'article L. 420-2 comprend le refus de vente, les ventes liées ou pratiques discriminatoires visées à l'article L. 442-6, ainsi que les accords de gamme.
Exemples pratiques d'abus de dépendance économique
En pratique, l'abus revêt des formes différentes selon que l'entreprise dépendante est un distributeur ou un fournisseur. Dans le premier cas, ce sont généralement des refus de vente ou de livraison, des pratiques discriminatoires, ou des ruptures de contrat, qui sont allégués. Dans le second, l'entreprise dépendante fait souvent valoir qu'elle est victime d'une discrimination, d'un déréférencement ou d'une menace de déréférencement. Le refus d'accès à une infrastructure essentielle constitue également un abus de dépendance économique lorsque l'exploitant monopolistique fixe un prix injustifié ou discriminatoire à cette facilité alors que son accès est indispensable à ses concurrents potentiels.
Dans le cadre des réseaux de distribution, les distributeurs se plaignent parfois de comportements spécifiques. Les autorités de concurrence considèrent que la réorganisation du réseau ne constitue pas en soi un abus de dépendance économique. C'est uniquement si cette réorganisation s'accompagne de pratiques discriminatoires qu'elle pourrait entrer dans le champ d'application de l'article L. 420-2, alinéa 2, du Code de commerce. Il a également été prétendu que la modification unilatérale des conditions contractuelles pourrait caractériser une exploitation abusive de l'état de dépendance économique lorsque le distributeur ne dispose pas d'une solution équivalente pour son approvisionnement du fait de la politique commerciale du fournisseur et de la nécessité de détenir un stock suffisant pour répondre aux besoins de la clientèle. Mais pour être répréhensible, la modification des conditions contractuelles doit avoir un objet ou un effet anticoncurrentiel. Enfin, l'immixtion du fournisseur dans la gestion du distributeur traduit un abus de dépendance économique lorsque ce dernier ne dispose pas de solution alternative.
Efficacité limitée du texte face aux abus
Le texte s’est révélé peu efficace car il est rare qu'un comportement intervenant dans le cadre de relations inter-entreprises indépendamment de tout pouvoir de marché soit “susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence”.
L’article L. 420-2, alinéa 2, consacre la notion d’abus de dépendance économique en prohibant l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises de l’état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur.
Critères pour évaluer la dépendance économique
L’abus de dépendance économique permet de sanctionner des entreprises qui, sans contrôler une part de marché prédominante pour un produit particulier, disposent néanmoins d’un pouvoir économique considérable, une puissance d’achat, dont elles peuvent être tentées d’abuser. La caractérisation d’un état de dépendance économique présuppose l’existence d’une relation commerciale. Bien que l’état de dépendance économique ne se constate pas sur un marché, mais dans les relations entre deux entreprises, il est nécessaire de déterminer le marché pertinent pour évaluer la dépendance économique et vérifier si, comme le requiert le texte, le fonctionnement ou la structure de la concurrence sont affectés.
La dépendance économique ne s’apprécie pas de la même manière selon qu’il s’agit d’un fournisseur ou d’un distributeur.
Pour apprécier la dépendance économique d’un fournisseur à l’égard d’un distributeur, les autorités de la concurrence tiennent compte, notamment, de l’importance de la part du chiffre d’affaires réalisée par ce fournisseur avec le distributeur, de l’importance du distributeur dans la commercialisation des produits concernés, des facteurs ayant conduit à la concentration des ventes du fournisseur auprès du distributeur (choix stratégiques ou nécessité technique), de l’existence et de la diversité éventuelle de solutions alternatives pour le fournisseur. La position de force relative du distributeur à l’égard du fournisseur est appréciée, non à partir de la part de marché contrôlée par le distributeur, mais compte tenu de l’importance quantitative (part du chiffre d’affaires réalisée avec lui) et qualitative (rôle dans la commercialisation) du distributeur pour le fournisseur. Les autorités de contrôle tiennent compte, notamment, de la faiblesse de ses ressources financières, de la faiblesse des marges des offreurs sur les marchés sur lesquels ils opèrent, de l’absence de notoriété de la marque du fournisseur, de la durée et de l’importance de la pratique de la politique de partenariat qu’il a éventuellement menée avec le distributeur, de l’importance et de la surcapacité d’offre sur le marché de ses produits, et des contraintes de transport de ses produits.
La dépendance économique d’un distributeur par rapport à un fournisseur doit s’apprécier compte tenu, notamment, de l’importance de la part du fournisseur dans le chiffre d’affaires du revendeur, de la notoriété de la marque du fournisseur, de l’importance de la part de marché du fournisseur, de l’impossibilité pour le distributeur d’obtenir d’autres fournisseurs des produits équivalents : l’entreprise dépendante ne doit pas disposer de solution objectivement équivalente.
L’absence de solution équivalente constitue un critère essentiel de la dépendance économique, si ce n’est le critère essentiel. La solution de substitution pour le distributeur se définit comme celle répondant à ses demandes d’approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables. Pour le fournisseur, la solution alternative consiste à trouver rapidement de nouveaux clients d’importance équivalente. Dans tous les cas, la solution est équivalente lorsqu’elle peut être trouvée dans des délais acceptables, emprunte des circuits économiques comparables et n’entraîne pas de coûts prohibitifs.
La dépendance doit être objective. Le distributeur qui se plaint d’un état de dépendance doit établir que celui-ci résulte de facteurs qui lui sont extérieurs tels que les caractéristiques techniques du produit, sa notoriété ou sa position sur le marché. Elle ne peut pas être collective car les situations de dépendance économique s’inscrivent dans le cadre de relations bilatérales entre deux entreprises et doivent être évaluées au cas par cas et non pas globalement pour toute une profession ou entre l’ensemble des distributeurs et l’ensemble des fournisseurs.
Les critères permettant de déterminer l’existence d’une solution de substitution doivent être appuyés d’éléments chiffrés relatifs au niveau des marges ou à l’importance des excédents de capacité dans les différents secteurs d’activité concernés. Il n’est toutefois pas nécessaire, pour établir une présomption de dépendance, que tous les critères pouvant être pris en considération aillent dans le même sens. Il suffit qu’un nombre suffisant d’entre eux soit réuni.