Droit français de la concurrence
La blockchain ou “chaîne de blocs” constitue un mode d’enregistrement de données produites en continu, sous forme de blocs liés les uns aux autres dans l'ordre chronologique de leur validation, dans lequel chacun des blocs et leur séquence sont protégés contre toute modification. Une fois intégrées à une chaîne, les données sont gravées dans le marbre : elles acquièrent date certaine et ne peuvent plus être modifiées. Leur fiabilité est garantie par leur vérification par la communauté des ordinateurs reliés au réseau et non par une entité extérieure, étatique ou non. Les données stockées dans une blockchain peuvent notamment servir de support à un “smart contract”, logiciel programmé pour automatiser les différentes étapes de la vie d’un contrat, auquel il se superpose.
Par son effet amplificateur de la transparence du marché, la blockchain recèle inévitablement un risque de coordination des comportements de ses utilisateurs. Dans les relations horizontales, les smart contracts pourraient être utilisés par des concurrents qui ont préalablement convenu des modalités d’une entente de prix pour assurer l’exécution de celle-ci et empêcher toute tentative de comportement déviant. Comme pour les algorithmes, dont ils ne constituent qu’une variante, les smart contracts se réduisent dans cette hypothèse au rôle de véhicule d’une entente préalable, et pourront, lorsque celle-ci vise à coordonner le comportement de ses participants, être sanctionnés avec elle. Dans les relations verticales, les smart contracts peuvent également être utilisés pour assurer l’exécution d’une entente de prix imposés, en garantissant au fournisseur que les distributeurs ne dévieront pas des prix programmés. Privant les distributeurs de toute autonomie dans la fixation de leurs prix, ils tomberaient nécessairement sous le coup de l’article 4 du règlement restrictions verticales.
La blockchain peut permettre à une entreprise dominante d’imposer des conditions tarifaires inéquitables ou discriminatoires à ses clients en utilisant la technique du “pricing personnalisé” qui, grâce à des algorithmes, permet de moduler le prix d’un produit, en fonction des revenus, et des habitudes de Consommation des internautes : compte tenu de ses revenus, une personne paiera moins cher un produit tandis qu’une autre, identifiée comme payant habituellement plus cher sur internet, paiera un prix plus élevé pour le même produit, de façon à compenser le manque à gagner. Un autre risque peut résulter du fait que certaines plateformes numériques créent leur propre blockchain privée, pour stocker leurs données, pour ensuite mieux en refuser l’accès à leurs concurrents.
Si elle facilite la mise en œuvre de pratiques anticoncurrentielles, la blockchain, par un effet boomerang, peut également constituer un outil très utile pour les services d’instruction des autorités de concurrence. En fixant définitivement les éléments de l’accord ou de l'abus et en leur donnant date certaine, la blockchain permet de débusquer et prouver les comportements anticoncurrentiels beaucoup plus facilement, d’autant que dans l'hypothèse de blockchains fermées, l’article L. 450-3, alinéa 5, du Code de commerce permet à l’Autorité d’exiger le décryptage des données. En outre, la blockchain peut être utilisée par les autorités de concurrence pour se partager des informations sur les affaires en cours ou déjà traitées, dans l’esprit de collaboration préconisé par le règlement 1/2003. Enfin, la blockchain peut être mise en œuvre pour surveiller le respect des engagements pris par les entreprises dans le cadre des procédures négociées ou des injonctions de l’autorité de concurrence.