Généralités sur les contrats de distribution exclusive
De nombreux contrats de distribution exclusive sont conclus entre des fournisseurs étrangers et des distributeurs français. Même lorsque le fournisseur dispose d'une filiale en France, il n'est pas rare que le contrat de distribution soit passé directement avec la société mère étrangère, la filiale ne jouant qu'un rôle de support marketing et développement réseau. Ces relations sont généralement formalisées dans des contrats-types prévoyant une attribution de compétence au tribunal étranger et l'application de la loi étrangère, mais peuvent aussi être informelles et reposer sur une succession de ventes.
Compétence juridique dans les contentieux de distribution exclusive
En règle générale, en cas de contentieux lié à la fin du contrat, le distributeur français invoque la compétence du tribunal français, dont la saisine est moins coûteuse et plus aisée que celle de la juridiction étrangère, ainsi que l'application de la loi française, en particulier de l'article L. 442-1 (ancien art. L. 442-6) du Code de commerce. Après quelques hésitations, les juges français appliquent désormais les clauses attributives de compétence à un tribunal étranger, y compris aux actions fondées sur la rupture de relations commerciales établies. Dans les litiges internationaux, la jurisprudence interprète assez largement le champ des clauses attributives en considérant notamment que la clause attribuant compétence pour tous les litiges découlant des relations contractuelles est suffisamment compréhensive pour englober un litige relatif à la rupture brutale de relations commerciales établies.
L'opposabilité de la clause attributive donne systématiquement lieu à contestation si elle n'est pas expressément incluse dans le contrat écrit de distribution. En vertu de l'article 25, paragraphe 1, du règlement 1215-2012 du 12 décembre 2012, la clause n'est opposable que si elle est acceptée par l'autre partie, à moins que l'accord ne soit conclu selon une forme habituelle aux parties ou pratiquée dans le commerce international en vertu d'un usage que les parties connaissaient ou auraient dû connaître. Selon la Cour de justice, qui adopte une solution différente de celle des juridictions françaises, une clause attributive de compétence contenue, en l'absence de contrat écrit entre les parties, dans les seules conditions générales de vente mentionnées au dos des factures du fournisseur, n'est pas opposable au distributeur.
Recours au juge des référés français
Le fait que le distributeur ait accepté la clause attributive de compétence à un tribunal étranger ne lui interdit pas de saisir le juge des référés français puisque l'article 35 du règlement 1215-2012 prévoit que “les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d'un État membre peuvent être demandées aux autorités judiciaires de cet État, même si, en vertu du présent règlement, une juridiction d'un autre État membre est compétente pour connaître du fond”. Le moyen de contournement de la clause consiste non pas à demander des dommages-intérêts mais à solliciter en référé la poursuite du contrat sous astreinte en invoquant un trouble manifestement illicite ou un dommage imminent. Cependant, la possibilité de prendre des mesures conservatoires suppose l'existence d'un lien de rattachement réel entre l'objet des mesures demandées et la compétence de l'État du juge saisi, ce qui est exclu lorsque les mesures doivent être exécutées essentiellement à l'étranger. Lorsque le demandeur obtient l'inopposabilité ou l'invalidité de la clause attributive de compétence et saisit une juridiction française, il parvient, en règle générale, à imposer l'application de la loi française, en l'occurrence de l'article L. 442-1, II (ancien art. L. 442-6, I, 5°) du Code de commerce, en tant que loi de police évinçant la loi étrangère.
Clauses d'élection de for asymétriques
Certains contrats de distribution exclusive prévoient des clauses d'élection de for asymétriques attribuant une compétence générale de principe au tribunal du siège du fournisseur tout en permettant à celui-ci de saisir également le tribunal du siège du distributeur ou parfois tout autre tribunal compétent. Cette option de compétence au seul bénéfice du fournisseur a généralement pour objet de lui faciliter ses actions en recouvrement contre le distributeur, tout en tentant de décourager la mise en oeuvre d'actions en responsabilité par ce dernier. La Cour de cassation s'est longtemps montrée très réservée à l'égard de ces clauses asymétriques, les jugeant dans un premier temps potestatives, puis corrigeant ce fondement juridique inadéquat s'agissant du créancier, en retenant leur absence de prévisibilité si elles laissaient ouvert un champ d'option trop large. Plus récemment, elle a admis comme suffisamment prévisible une clause asymétrique réservant de manière optionnelle la faculté de saisir une autre juridiction.
Règlement 1215-2012 et droit des ententes
Pour pouvoir s'appliquer en cas de demande fondée sur la violation du droit des ententes, la clause attributive de compétence doit se référer aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d'une pratique anticoncurrentielle. Cette obligation ne s'impose pas, en revanche, en cas d'allégation d'un abus de position dominante.
En l'absence de clause attributive de compétence ou de clause valable, la compétence pour statuer sur la rupture du contrat de concession doit être appréciée au regard des critères posés à l'article 7 du règlement 1215-2012 du 12 décembre 2012. En matière contractuelle, le texte prévoit qu'une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre devant la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande (art. 7, paragr. 1, sous a). Le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est, pour la vente de marchandises, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées (art. 7, paragr. 1, sous b, 1er tiret) et, pour la fourniture de services, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis (art. 7, paragr. 1, sous b, 2e tiret). Selon la Cour de justice, le contrat de concession exclusive constitue un contrat de fourniture de services, dont la prestation caractéristique est celle fournie “par le concessionnaire qui, en assurant la distribution des produits du concédant, participe au développement de leur diffusion”. Le contrat relève donc de la règle de compétence prévue à l'article 7, paragraphe 1, sous b), second tiret. La Cour de cassation, qui estimait auparavant que la prestation caractéristique était celle pesant sur le concédant d'assurer l'exclusivité de la distribution de ses produits à son revendeur, s'est alignée sur cette position.
La question est encore plus complexe lorsqu'est invoquée une rupture brutale de relations commerciales établies sur le fondement de l'article L. 442-1, II (ancien art. L. 442-6, I, 5°) du Code de commerce. Si l'action est généralement qualifiée de délictuelle dans l'ordre juridique interne, cette qualification ne s'impose pas au titre du règlement, les notions de matière délictuelle ou contractuelle devant être interprétées de manière autonome. La Cour de justice a dit pour droit que l'action indemnitaire fondée sur une rupture de relations commerciales établies ne relève pas de la matière délictuelle ou quasi délictuelle s'il existait, entre les parties, une relation contractuelle tacite constituée par des éléments tels que des relations de longue date, la bonne foi entre elles, une régularité des transactions et de leur évolution dans le temps exprimée en quantité et en valeur, d'éventuels accords sur les prix facturés et/ou sur les rabais accordés, ainsi qu'un échange de correspondance en ce sens.
Loi applicable en l'absence de choix des parties
Le plus fréquemment, les parties auront convenu de la loi applicable à leur contrat de distribution exclusive. Lorsque tel n'est pas le cas, il convient de déterminer si le litige est de nature contractuelle et soumis au règlement Rome I du 17 juin 2008 ou de nature délictuelle et relevant du règlement Rome II du 11 juillet 2007.
L'article 3 du règlement Rome I consacre le principe de l'autonomie de la volonté selon lequel les parties choisissent la loi applicable au contrat. Ce choix peut être exprès, et prendre la forme d'une clause d'electio juris, ou tacite, et résulter des stipulations du contrat ou des circonstances.
Lorsque les parties n'ont pas choisi la loi applicable, le règlement Rome I désigne précisément la loi applicable selon le contrat en cause (art. 4, paragr. 1) : - loi du lieu de résidence du vendeur pour la vente de marchandises ; - loi du lieu de résidence du prestataire en cas de prestation de services ; - loi du lieu de résidence du franchisé pour la franchise ; - loi du lieu de résidence du distributeur pour les contrats de distribution. Les autres contrats sont régis par la loi du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle (art. 4, paragr. 2).
Les obligations nées de la phase précontractuelle sont soumises au règlement Rome II, dont l'article 12, paragraphe 1er, intitulé “Culpa in contrahendo” pose le principe de la compétence, soit de la loi applicable au contrat, soit de la loi qui aurait été applicable si le contrat avait été conclu. Si le droit applicable ne peut être déterminé sur cette base, l'article 12, paragraphe 2, prévoit que la loi applicable peut être soit : a) celle du pays de survenance du dommage, quel que soit le pays de réalisation du fait générateur et le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait interviennent ; b) celle du pays de résidence habituelle des parties au moment où le fait générateur du dommage se produit ; c) celle du pays avec lequel l'obligation non contractuelle découlant des tractations menées avant la conclusion d'un contrat présente des liens manifestement plus étroits qu'avec les pays visés aux points a) et b).
Enfin, si le litige est relatif à une question de responsabilité délictuelle, il relève du règlement Rome II.
Lois de police et règles impératives
L'existence de règles impératives, dont l'application immédiate est nécessaire à la sauvegarde d'intérêts considérés comme majeurs par les Etats ou la communauté internationale peut empêcher l'application de la loi choisie par les parties. Adoptant la définition de Francescakis, le règlement Rome I définit la loi de police comme “une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent règlement” (art. 9). Si les lois de police du for ne peuvent être écartées (art. 9, paragr. 2), les lois de police étrangères sont soumises à un régime particulier : seules peuvent être appliquées les lois “du pays dans lequel les obligations découlant du contrat doivent être ou ont été exécutées”, à condition que “lesdites lois de police rendent l'exécution du contrat illégale” (art. 9, paragr. 3).
En droit français, seules les lois participant de l'ordre public de direction ou de l'organisation du marché - telles les règles de concurrence - permettent d'écarter la volonté des parties. Les textes qui relèvent de l'ordre public de protection, qui ne concernent que des intérêts privés, n'ont valeur de lois de police qu'en droit interne. La jurisprudence considère majoritairement que l'article L. 442-1 du Code de commerce constitue une loi de police dans l'ordre international.