Droit français de la concurrence
Depuis la loi du 2 juillet 1963, le droit français prohibe la revente à perte, c'est-à-dire la revente d'un produit à un prix inférieur à son prix d'achat effectif, pour au moins deux raisons. D'une part, elle offre une image déformée de la concurrence aux consommateurs, car le commerçant cherche à accréditer l'idée qu'il pratique des marges réduites, alors qu'il s'est fixé comme objectif de détourner la clientèle de ses concurrents. D'autre part, la revente à perte ne bénéficie pas forcément aux consommateurs, car, bien souvent, la réduction des marges sur la vente d'un produit s'accompagne d'une majoration abusive des prix d'autres produits. Aussi, le fait, pour tout commerçant, de revendre ou d'annoncer la revente d'un produit à un prix inférieur à son prix d'achat effectif est-il aujourd'hui interdit par l'article L. 442-5 du Code de commerce.
Comme l'OCDE, qui prône sa suppression en raison de son manque d'efficacité, le droit de l'Union semble peu favorable à l'interdiction générale de la revente à perte lorsqu'elle vise le consommateur. Dans deux arrêts fondés sur la directive 2005/29 relative aux pratiques commerciales déloyales, la Cour de justice a déclaré contraire au droit de l'Union les législations belge et espagnole, très proches de la loi française, qui instauraient une interdiction générale d'offrir à la vente ou de vendre des biens à perte assortie d'exemptions ne correspondant pas au critères de la déloyauté posés par la directive. La solution n'est cependant transposable au droit français qu'à la condition de considérer que celui-ci poursuit au moins partiellement un objectif de protection du consommateur, ce qui est débattu. Quelle que soit la solution apportée à cette question, on ne peut que constater que ce délit est tombé en déshérence : depuis de longues années, rares sont les décisions rendues sur le fondement du Code de commerce.
L'interdiction concerne “tout commerçant”, sans distinction. Tous les opérateurs qui achètent pour revendre sont soumis à la réglementation sur la revente à perte et notamment les importateurs, les grossistes et les détaillants. En revanche, sont exclues du champ de la prohibition les activités de production et de services, qui sont toutefois soumises à l'interdiction de pratiquer des prix abusivement bas (C. com., art. L. 420-5) ou des prix prédateurs constitutifs d'un abus de position dominante (art. L. 420-2). La qualité de l'utilisateur final est sans incidence sur la qualification : il peut s'agir d'un consommateur, d'un professionnel ou d'une société du même groupe. La prohibition concerne tous les produits revendus ou offerts à la revente en l'état, c'est-à-dire sans avoir subi de transformation. Les éventuelles opérations d'intermédiation doivent ainsi être exclusives de toute transformation. La transformation doit être effective. Certaines opérations comme le découpage ou le tranchage sont très certainement une transformation. En revanche, le doute est permis s'agissant de la décongélation ou du reconditionnement. De même, la simple adjonction d'une carte à puces dans un téléphone portable par un revendeur constitue selon l'Administration une transformation significative du produit qui exclut la qualification de revente en l'état.
Un produit est revendu ou offert à perte lorsque son prix est inférieur à son prix d'achat effectif. Il convient de tenir compte non pas du prix d'achat moyen auprès des fournisseurs, mais du prix d'achat par lot. Lorsque l'offre commerciale combine une prestation de services et la vente d'un produit, elle constitue un tout indivisible, même si, pour les besoins de la publicité, un prix individualisé est artificiellement annoncé. Enfin, le seuil de revente à perte doit être calculé à partir d'un prix d'achat effectif et non projeté, c'est-à-dire déterminé à partir d'extrapolations tirées de la progression du chiffre d'affaires entre une centrale et ses fournisseurs au cours de l'année écoulée. Le prix d'achat effectif est défini comme le prix unitaire net figurant sur la facture d'achat, minoré du montant de l'ensemble des autres avantages financiers consentis par le vendeur (rémunération des services de commercialisation et des ristournes hors facture) exprimé en pourcentage du prix unitaire net du produit et majoré des taxes sur le chiffre d'affaires, des taxes spécifiques afférentes à cette revente et du prix du transport. Le seuil de revente à perte ne comprend pas les frais annexes facturés aux clients par l'opérateur, tels que le port ou la préparation, s'il n'est pas établi qu'ils correspondent à des prestations indivisibles de la vente du produit. En outre, l'article L. 442-5, I, alinéa 3, autorise les grossistes à vendre avec un coefficient de 0,9 aux détaillants, pour permettre à ces derniers de concurrencer la grande distribution. Le “coefficient grossiste” profite “au grossiste qui distribue des produits ou services exclusivement à des professionnels qui lui sont indépendants et qui exercent une activité de revendeur au détail, de transformateur ou de prestataire de service final”. Est indépendante, au sens de la loi, “toute entreprise libre de déterminer sa politique commerciale et dépourvue de lien capitalistique ou d'affiliation avec le grossiste”, ce qui exclut les affiliés d'une centrale d'achats lorsque les liens réciproques créés par le contrat d'affiliation dépassent largement les obligations qui unissent un grossiste et ses clients et privent ces derniers de toute autonomie commerciale. Enfin, la loi EGalim du 30 octobre 2018 a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure pour prévoir, pendant une période de deux ans, le relèvement du seuil de revente à perte de 10 % pour les denrées alimentaires et les produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie, revendus en l’état aux consommateurs. L'article 2 de l'ordonnance adoptée le 12 décembre 2018 dispose à cet effet que “[l]e prix d'achat effectif défini au deuxième alinéa de l'article L. 442-2 du Code de commerce est affecté d'un coefficient de 1,10”. Ce relèvement, limité au périmètre des produits alimentaires et des produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie, devait s'appliquer à une période expérimentale de deux années. Il a ensuite été prolongé de quatorze mois au cours de la crise sanitaire. Enfin, la loi ASAP du 7 décembre 2020 a abrogé l'ordonnance du 12 décembre 2018 tout en reconduisant ses dispositions à l'identique jusqu'au 15 avril 2023. Cependant, un rapport d’information au nom de la commission des affaires économiques du Sénat a révélé que le relèvement du seuil de revente à perte avait dans certains cas produit des effets pervers et notamment une déflation du prix payé aux producteurs pour les fruits et légumes frais et les bananes. Tirant les leçons de ce constat, la loi EGalim 2 prévoit qu'un arrêté du ministre chargé de l'Agriculture pourra fixer la liste de certains produits pour lesquels le relèvement sur seuil de revente à perte ne s'appliquera pas, si celui-ci est susceptible de se traduire par une baisse du revenu du producteur agricole en raison de la saisonnalité des productions concernées et de leurs ventes ou de modalités particulières de commercialisation de ces produits.
Sept exceptions à l'interdiction ont été posées par le législateur. Cette liste est limitative :
- (i) exception d'alignement, qui permet au distributeur de produits alimentaires commercialisés dans un magasin d'une surface de vente de moins de 300 mètres carrés et de produits non alimentaires commercialisés dans un magasin d'une surface de vente de moins de 1 000 mètres carrés, d'aligner son prix de revente sur le prix légalement pratiqué pour les mêmes produits par un autre commerçant dans la même zone d'activité ;
- (ii) revente à perte de produits dont la vente présente un caractère saisonnier marqué, pendant la période terminale de la saison des ventes et dans l'intervalle compris entre deux saisons de vente ;
- (iii) revente à perte de produits qui ne répondent plus à la demande générale en raison de l'évolution de la mode ou de l'apparition de perfectionnements techniques ;
- (iv) revente à perte de produits, aux caractéristiques identiques, dont le réapprovisionnement s'est effectué en baisse, le prix effectif d'achat étant alors remplacé par le prix résultant de la nouvelle facture d'achat ;
- (v) ventes volontaires ou forcées motivées par la cessation ou le changement d'une activité commerciale ;
- (vi) revente à perte de produits périssables à partir du moment où ils sont menacés d'altération rapide à condition que l'offre de prix réduit ne fasse l'objet d'une quelconque publicité ou annonce à l'extérieur du point de vente ;
- (vii) revente à perte de produits soldés mentionnés à l'article L. 310-3 du Code de commerce.
Tant la revente à perte que l'annonce d'une telle revente sont sanctionnées. Les personnes physiques encourent une amende de 75 000 euro, qui peut être portée à la moitié des dépenses de publicité dans l'hypothèse où l'offre de prix réduit a fait l'objet d'une annonce publicitaire ; la cessation de l'annonce publicitaire peut être ordonnée par le juge d'instruction ou par le tribunal saisi des poursuites, soit sur réquisition du ministère public, soit d'office. De plus, le prévenu de revente à perte peut être condamné à une peine de publication et d'affichage de la décision. Les personnes morales encourent, outre une amende qui peut s'élever au quintuple de celle infligée aux personnes physiques (C. pén., art. 131-38), la peine d'affichage de la décision prononcée ou la diffusion de celle-ci soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique, conformément au 9º de l'article 131-39 du Code pénal (C. com., art. L. 442-5, III). La revente à perte peut en outre faire l'objet de la procédure de transaction prévue aux articles L. 490-5 et R. 490-9 et suivants du Code de commerce. Enfin, l'incrimination pénale de revente à perte n'exclut pas l'exercice d'une action en concurrence déloyale, car elle constitue un moyen d'éliminer les concurrents du marché et constitue une violation fautive d'une prescription légale.