Droit français de la concurrence
Un alignement des prix pratiqués par plusieurs distributeurs peut révéler l'existence d'une entente entre ces derniers et le fournisseur. L'alignement ne doit pas répondre à un comportement commercial autonome : le parallélisme de comportement n'établit pas en lui-même la concertation. Pour démontrer le consentement des distributeurs à la politique de prix du fournisseur, les autorités françaises ont développé un test en trois temps ou “triple test” qui utilise la méthode du faisceau d'indices. Selon la Cour de cassation, le triple test ne s'applique qu'en l'absence de preuves directes de concertation, comme une clause de prix imposés. En vertu de ce test, l'échange des consentements existe dès lors (i) que les prix de vente publics ou les taux de remise maximum ont été évoqués par le fournisseur, (ii) que des dispositifs de police des prix ont été mis en place et (iii) que les prix conseillés ont été appliqués de manière significative.
Des prix peuvent être “évoqués” sans qu'il soit nécessaire qu'ils aient été négociés avec les distributeurs ni même discutés oralement. L'évocation des prix s'entend de tout procédé par lequel le fournisseur fait connaître à son distributeur les prix de détail, et non de gros, auxquels il souhaite vendre son produit. La négociation d'un prix d'achat correspondant au seuil de revente à perte ou menée directement auprès des détaillants spécialisés, sans laisser aucune marge de manoeuvre tarifaire aux grossistes chargés de les approvisionner, ou la diffusion de catalogues de tarifs mentionnant un prix public indicatif, des courriers faisant état d'un coefficient multiplicateur précis ou d'un taux de remise maximum, ou les conseils donnés aux distributeurs quant au positionnement du prix du produit suffisent à remplir la condition. Il en va de même de l'annonce d'un prix de détail par un fournisseur à l'occasion d'une conférence de presse de lancement d'un produit, largement relayée par les média. La diffusion prétendument limitée d'une charte prescrivant le respect de prix conseillés ne remet pas en cause l'existence d'une pratique de prix imposés dès lors que les recommandations figurent également sur d'autres documents communiqués à tous les distributeurs. En revanche, l'alignement des prix ne doit pas, pour être qualifié d'entente, pouvoir s'expliquer par une autre cause que l'évocation des prix par le fournisseur, comme la forte transparence du marché due à la publication de relevés de prix publics pratiqués par les grandes enseignes.
La police des prix se manifeste non seulement par l'exercice de pressions, menaces de rétorsions et représailles effectives de la part du fournisseur, comportements qui appartiennent à une catégorie extrême dans l'éventail des mesures de police, mais également par des interventions moins importantes comme des demandes de remontées de prix de vente ou des interventions pressantes du fournisseur pour inciter les distributeurs à corriger les anomalies constatées dans leur politique de prix.
L'Autorité de la concurrence considère enfin qu'un taux de respect des prix publics indicatifs d'au moins 80 % fait présumer l'application effective des prix. En deçà, l'analyse doit être complétée par la prise en considération de la dispersion des prix relevés, en observant directement la concentration des prix à proximité du prix public indicatif. La représentativité des relevés peut s'avérer insuffisante pour conclure à l'existence d'une pratique de respect des prix imposés. Ainsi, en l'absence d'autres éléments probants, la preuve de la participation des distributeurs à une entente verticale de prix imposés n'est pas apportée lorsque les relevés de prix établissent un taux de respect se situant autour de 50 %. De même, les relevés effectués par l'Administration pour une période de temps limitée n'ont pas nécessairement force probante pour une période de temps plus étendue. En effet, pour établir l'application effective, les relevés doivent être en nombre suffisant, porter sur une région géographique assez étendue et concerner plusieurs produits dans des points de vente relevant de modes de distribution diversifiés. Enfin, lorsque le fabricant a diffusé des prix conseillés variables selon le secteur de mise sur le marché, l'Administration doit préciser les lieux où ont été relevés les prix qu'elle invoque. La Cour de cassation a précisé que les relevés de prix ne constituent qu'un indice parmi d'autres et que le prix affiché en magasin constitue le prix effectivement pratiqué, sans qu'il y ait lieu de tenir compte des remises effectuées en caisse.
La jurisprudence française en matière de prix imposés apparaît critiquable à la fois dans ses modalités et dans son principe. Elle se contente d'indices limités pour considérer que chaque critère du triple test est rempli. Il suffit que certains points de vente aient été victimes de pressions pour caractériser une police des prix bien que la majorité des membres du réseau n'en aient pas été victimes. Le degré d'intervention sur les prix requis apparaît beaucoup plus faible qu'en droit européen. Plus fondamentalement, la condamnation générale et per se des prix imposés ne correspond plus à l'état actuel de l'analyse économique ni même au droit positif des pays les plus avancés en droit de la concurrence. La science économique souligne en effet que les prix imposés peuvent être légitimes dans certaines circonstances, notamment à l'occasion du lancement d'un nouveau produit dont le prix a été signalé à la clientèle. Adoptant une analyse plus moderne, la Cour suprême des États-Unis substitue à la condamnation per se des pratiques de prix imposés entre fabricants et distributeurs une appréciation au cas par cas fondée sur la règle de raison. Le maintien d'un prix minimum de revente peut stimuler la concurrence inter-marques et compenser un affaiblissement de la concurrence intra-marque. Les lignes directrices restrictions verticales semblent se ranger en partie à cette analyse : désormais les prix imposés peuvent ne pas avoir pour effet de restreindre la concurrence et produire des gains d’efficience.