Droit européen de la concurrence
Les places de marché sont des plateformes électroniques rémunérées à la commission qui mettent en relation acheteurs et vendeurs en offrant à ces derniers, outre une interface technique et de paiement des commandes, des services d'information, de marketing, d'assistance financière, ou de gestion de la chaîne logistique. Les places de marché sont considérées avec la plus grande méfiance par les animateurs de réseaux de distribution sélective, car le recours des membres de leurs réseaux à ce type de plateformes ne leur permet pas de contrôler le respect des critères de sélection qu'ils ont adoptés.
Au point 54 de ses lignes directrices restrictions verticales 2010, la Commission avait admis qu'un fabricant puisse exiger “que ses distributeurs ne recourent à des plateformes tierces pour distribuer les produits contractuels que dans le respect des normes et conditions qu'il a convenues avec eux pour l'utilisation d'internet par les distributeurs. Par exemple, si le site internet du distributeur est hébergé par une plateforme tierce, le fournisseur peut exiger que les clients n'accèdent pas au site du distributeur via un site qui porte le nom ou le logo de la plateforme tierce”. Cette approche est consacrée au point 334 des lignes directrices restrictions verticales 2022 par la Commission : “certaines exigences qualitatives peuvent de facto interdire l’utilisation des places de marché en ligne, car aucune place de marché en ligne n’est en mesure d’y répondre. Ce peut être le cas, par exemple lorsque le fournisseur exige que le logo de la place de marché en ligne ne soit pas visible ou que le nom de domaine de tout site internet utilisé par le détaillant contienne le nom commercial de ce dernier”.
La Commission avait analysé, dans son rapport final sur le commerce en ligne du 10 mai 2017, les éventuelles préoccupations de concurrence que pouvaient susciter les clauses limitant la capacité des détaillants à vendre sur des places de marché en ligne. L’enquête menée par l'autorité avait montré qu’en règle générale, les interdictions d'utiliser des places de marché n'équivalaient pas à une interdiction de fait des ventes en ligne, ni ne restreignaient l'utilisation effective de l'internet en tant que canal de vente. Elle en avait conclu que l’interdiction absolue d'utiliser les places de marché ne devait pas être considérée comme une restriction caractérisée au sens des articles 4, b), et 4, c), du règlement 330/2010, abrogé et remplacé depuis par le règlement 2022/720. Ce point est confirmé par les lignes directrices restrictions verticales qui accompagnent le règlement 2022/720 (v. pts 336 et s.).
Saisie d'une question préjudicielle, la Cour de justice avait définitivement validé le principe de l'interdiction de vendre sur les places de marchés en retenant qu'elle constituait un moyen approprié pour le fournisseur de contrôler que ses produits seront vendus en ligne dans un environnement qui correspond aux conditions qualitatives qu'il a fixées, en l'absence de relation contractuelle avec les plateformes lui permettant d'en exiger le respect, et ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif de préservation d'une image de luxe lorsque le fournisseur ne prohibe pas de manière absolue la vente sur internet des produits contractuels, mais seulement le recours à des plateformes tierces qui opèrent de façon visible à l'égard des consommateurs. Validée au regard de l'article 101, paragraphe 1, TFUE, l'interdiction du recours aux places de marché avait également été consacrée sur le fondement de l'article 4 du règlement 330/2010, abrogé et remplacé par le règlement 2022/720. De fait, la Cour avait souligné que même si elle restreint une forme particulière de vente sur internet, l'interdiction faite aux distributeurs agréés de recourir de façon visible à des plateformes tierces ou places de marché pour la vente sur internet de produits de luxe ne constituait ni une restriction de la clientèle, au sens de l'article 4, sous b), du règlement 330/2010 (devenu le règlement 2022/720), ni une restriction des ventes passives aux utilisateurs finals, au sens de l'article 4, sous c), dès lors que le fournisseur ne prohibe pas en soi le recours à internet comme mode de commercialisation des produits contractuels et que les clients sont normalement en mesure de trouver l'offre internet des distributeurs agréés, en utilisant les moteurs de recherche en ligne.
Dans son interprétation de l’arrêt de la Cour, la Commission avait laissé entendre qu'il n'y avait pas lieu de distinguer entre produits de luxe et autres produits pour l'appréciation de la licéité de l'interdiction de vendre sur des plateformes tierces.