L’indemnité d’éviction représente la contrepartie du principe du droit au non-renouvellement du bail. Elle constitue une particularité du statut des baux commerciaux, et surtout, l’une de ses caractéristiques essentielles. Cette indemnité confère au preneur le droit d’être dédommagé lorsqu’il se heurte au refus de renouvellement du bailleur et a vocation à couvrir les frais engendrés par l'installation dans un fonds de même valeur.
Le droit d'être indemnisé à raison de son éviction naît à la date de la délivrance au preneur du congé avec refus de renouvellement du bail. Deux conditions doivent cependant être réunies pour que le preneur puisse revendiquer le paiement de cette indemnité. Il doit remplir les conditions d’accès à la propriété commerciale et être évincé à la suite d’un congé.
En cas de congé avec refus de renouvellement, le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d'une indemnité d'éviction, doit saisir le tribunal avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné (art. L. 145-9, al. 5, C. com.), même si celui-ci a été délivré avec offre de paiement d’une indemnité d’éviction, une telle offre ne valant pas reconnaissance de ce droit.
Le bailleur doit verser au preneur une indemnité d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement (art. L. 145-14). Conformément au principe de réparation intégrale, il est tenu de réparer tout le préjudice, mais rien que le préjudice. L’indemnité d’éviction se compose d’une indemnité principale et d’indemnités accessoires.
La fixation du montant de l’indemnité d’éviction suppose de déterminer la nature du préjudice subi par le preneur. Les juges du fond doivent établir si le refus de renouvellement a entraîné un transfert ou une disparition du fonds. L’indemnité principale correspond à une indemnité de perte du fonds chaque fois que l’éviction entraîne la perte de la clientèle. Lorsque le preneur est dans l’impossibilité de se réinstaller à proximité des locaux, on parle d’indemnité de remplacement. Au-delà de sa nature, les juges du fond doivent fixer l’étendue du préjudice. Seules les activités autorisées par le bail sont prises en considération dans le calcul de l’indemnité d’éviction. Le préjudice subi par le preneur doit être évalué à la date de son éviction ou la plus proche de son départ s’il quitte volontairement les lieux.
L’indemnité d’éviction comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce déterminée suivant les usages de la profession. Plusieurs méthodes fondées sur des données financières, telles que le chiffre d’affaires moyen réalisé au cours des trois dernières années, mais également sur les caractéristiques du fonds et la branche d’activité considérée, permettent d’évaluer la valeur du fonds. Les juges peuvent aussi appliquer au chiffre d'affaires un taux sur recette, issu de barèmes définis par branches d’activités. L’indemnité d’éviction, qu’elle soit de transfert ou de remplacement du fonds, ne peut pas être inférieure à la valeur du droit au bail. Ce droit constitue le capital correspondant à l’intérêt d’être situé à un emplacement donné pour exercer une activité déterminée moyennant un loyer défini. Plus l’emplacement est bon, la destination contractuelle large et le loyer modéré, plus sa valeur est élevée. L’évaluation du droit au bail doit tenir compte de la perte du bénéfice de ce droit sur la base des caractéristiques des locaux dont le preneur a été évincé. La valeur du droit au bail se calcule selon la méthode du différentiel de loyer qui consiste en la différence entre la valeur locative de marché des locaux et le loyer effectivement acquitté ou qui aurait été acquitté en cas de renouvellement de bail. A cette valeur il est d'usage d'appliquer un coefficient de capitalisation en fonction de l'attractivité commerciale de la zone où sont situés les locaux, de la nature des lieux et de leur destination.
Outre la valeur marchande du fonds, l'indemnité d’éviction comprend les frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que les frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre (art. L. 145-14). Dès lors qu’ils ont un lien avec son éviction des lieux loués, le preneur peut faire état de tous les postes de préjudice, à condition qu’il apporte la preuve de leur existence, en produisant notamment des justificatifs.
Le bailleur qui souhaite obtenir la libération des lieux doit verser intégralement le montant de l’indemnité d’éviction. Le preneur dispose d’un délai de trois mois à compter de la date du versement de l’indemnité d’éviction à lui-même ou de la notification du versement de celle-ci à un séquestre pour remettre les lieux au bailleur. Lorsque le bailleur n’a pas usé de son droit de repentir dans le délai de quinze jours, il est tenu de verser au locataire ou, le cas échéant, au séquestre l’indemnité d’éviction dans un délai de trois mois à compter de la date d’un commandement fait par acte extrajudiciaire.
La condamnation à une indemnité d’éviction emporte, même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement, intérêts au taux légal dont le point de départ est fixé, sauf disposition contraire de la loi, à la date du jugement, à moins que le juge n'en décide autrement (art. 1231-7 C. civ.).
En cas de non-remise des clés à la date fixée et après mise en demeure, le séquestre retient 1 % par jour de retard sur le montant de l'indemnité et restitue cette retenue au bailleur sur sa seule quittance (art. L. 145-30).