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De l'ouvrage "Baux commerciaux" de Louis Vogel
Mise en place d'un statut des baux commerciaux
Le bail commercial constitue l’un des éléments essentiels du fonds de commerce. Il figure parmi les éléments incorporels, tels que la clientèle et l’achalandage, l’enseigne, le nom commercial, le nom de domaine, ainsi que les brevets et licences, et aux côtés des éléments corporels comme le matériel et l’outillage. La notion de “ bail ” est définie à l’article 1709 du Code civil, lequel dispose que “ le louage des choses est un contrat par lequel l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui payer ”. Aussi, le bail commercial, à proprement parler, est-il un contrat par lequel le propriétaire d’immeuble, dénommé le bailleur, met à disposition d’un commerçant, dénommé le preneur, la jouissance de locaux dans lesquels ce dernier exploite son fonds de commerce.
Initialement, ce type de contrat était soumis au régime du bail de droit commun figurant aux articles 1713 et suivants du Code civil. Toutefois, ces règles sont très vite apparues inadaptées au bail de locaux commerciaux. En effet, étant soumis à l’entière liberté des parties, le bail ne conférait au preneur aucun droit au renouvellement ou au paiement d’une indemnité en cas de rupture contractuelle. Le bailleur avait la possibilité de mettre fin au contrat à l’expiration du terme fixé, sans qu’il soit nécessaire de donner congé (art. 1737 C. civ.), ou à tout moment si le contrat était à durée indéterminée, ce qui engendrait nécessairement une insécurité matérielle et juridique pour le commerçant, et une entrave à l’exploitation de son activité. Pour garantir la pérennité de son installation, la protection du preneur est apparue primordiale. Tenant compte de ce besoin spécifique, le législateur a progressivement instauré, par la loi du 17 mars 1909 (L. du 17 mars 1909 relative à la vente et au nantissement des fonds de commerce, JO du 19 mars 1909), puis par la loi du 30 juin 1926 (L. du 30 juin 1926 réglant les rapports entre locataires et bailleurs, en ce qui concerne le renouvellement des baux à loyer d’immeubles ou de locaux à usage commercial ou industriel, JO du 1er juillet 1926), un statut particulier, dérogatoire au droit civil. Cependant, il a fallu attendre l’adoption du décret 53-960 du 30 septembre 1953 (D. 53-960 du 30 septembre 1953 réglant les rapports entre bailleurs et locataires en ce qui concerne le renouvellement des baux à loyer d'immeubles ou de locaux à usage commercial, industriel ou artisanal, JO du 1er octobre 1953) pour que soit mis en place un véritable statut spécifique aux baux commerciaux, protecteur des intérêts du commerçant. Aujourd’hui, l’ensemble des règles, qui gouvernent le statut des baux commerciaux, figure aux articles L. 145-1 à L. 145-60 et R. 145-1 à R. 145-38 du Code de commerce, complétées par les dispositions supplétives des articles 1709 et suivants du Code civil laissant une large place à la liberté contractuelle.
Le statut des baux commerciaux est, aux termes de l’article L. 145-1, I, du Code de commerce, applicable “ aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d'une entreprise du secteur des métiers et de l'artisanat immatriculée au registre national des entreprises, accomplissant ou non des actes de commerce ”.
Le régime des baux commerciaux a fait l’objet de plusieurs réformes législatives au cours des dernières années. La modification la plus significative résulte de la loi 2014-626 du 18 juin 2014 (L. 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, JO du 19 juin 2014, Titre Ier, art. 1 à 21), dite loi Pinel, qui a posé " des règles d’indexation plus justes et des modalités plus adaptées aux TPE du commerce et de l’artisanat ”, et instauré un droit de préférence au bénéfice du commerçant en cas de mise en vente de son local. Son décret d’application du 3 novembre 2014 (D. 2014-1317 du 3 novembre 2014 relatif au bail commercial, JO du 5 novembre 2014) précise entre autres “ la date du congé donné par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ”, ainsi que “ les obligations du bailleur en matière d’information du locataire ”, et dresse une liste “ des charges, travaux, impôts, taxes et redevances relatifs aux parties privatives et communes qui ne peuvent pas être mis à la charge du locataire ”. Plus récemment, la loi 2015-990 du 6 août 2015 (L. 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, JO du 7 août 2015, art. 207), dite loi Macron, a renforcé le formalisme lié aux congés et aux demandes de renouvellement. Enfin, le décret 2019-1333 du 11 décembre 2019 (D. 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile, JO du 12 décembre 2019, art. 7, modifiant les articles R. 145-26, R. 145-27, R. 145-29 et R. 145-31 du Code de commerce), entré en vigueur au 1er janvier 2020, a rendu obligatoire le recours à un avocat pour toutes contestations relatives aux baux commerciaux ou attachées à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé.
Depuis l’adoption du décret 53-960 du 30 septembre 1953, le statut des baux commerciaux a très largement favorisé le développement du commerce, ainsi que des marchés immobiliers. Cette pratique, qui recouvre des réalités forts diverses, a permis l’essor des centres d’affaires, des centres commerciaux et des galeries commerciales. Cependant, si ce secteur économique a connu une ascension rapide et florissante, cela n’a pas été le cas des petits commerces de centres-villes, situés spécialement dans des villes moyennes, pour lesquels l’accessibilité à la “ propriété commerciale ” représente un coût élevé, ne serait-ce que par le versement, au propriétaire des locaux, d’un droit d’entrée, également dénommé “ pas-de-porte ”, lors de la conclusion du bail commercial en échange de leur mise à disposition et de l’obtention des garanties légales attachées. Afin de tenter d’enrayer la fermeture des commerces de proximité et de préserver la diversité commerciale, la loi 2005-882 du 2 août 2005 (L. 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, JO du 3 août 2005, art. 58, modifiant l’article L. 145-2 du Code de commerce, et créant les articles L. 214-1 et suivants du Code de l’urbanisme) a instauré un nouveau droit de préemption des communes sur les fonds artisanaux, les fonds de commerce et les baux commerciaux, exploités dans un périmètre de sauvegarde du commerce et de l'artisanat de proximité.
Un statut protecteur du commerçant
Le statut des baux commerciaux imaginé pour protéger efficacement le commerçant et son fonds de commerce présente une rigidité certaine. Composé de nombreuses dispositions d’ordre public, le statut des baux commerciaux confère au locataire un avantage essentiel, la “ propriété commerciale ”, à laquelle il est impossible de déroger. Ce statut confère au preneur le droit d’obtenir le renouvellement du bail à son expiration (art. L. 145-8 C. com.) et, en cas de refus, le droit de percevoir une indemnité d’éviction (art. L. 145-14 C. com.), d’un montant particulièrement élevé, afin de dissuader le bailleur de délivrer congé. Ce caractère rigide se traduit également par l’imposition d’une durée minimale du bail de neuf ans, dans le souci d’assurer au commerçant la stabilité de son exploitation. Le statut des baux commerciaux ne constitue toutefois pas un obstacle absolu à la liberté contractuelle. En effet, les parties ont toujours la possibilité d’échapper au statut et de conclure un bail dérogatoire d’une durée au plus égale à trois ans (art. L. 145-5 C. com.). Le mécanisme de la déspécialisation du bail permet aussi d’accorder au preneur le droit de changer la destination des lieux loués, telle que prévue au contrat, en modifiant leur affectation originelle ou en adjoignant une activité connexe ou complémentaire (art. L. 145-47 et s. C. com.). Par ailleurs, les parties ont la faculté de fixer librement le montant du loyer, d’insérer une clause d’échelle mobile, laquelle permettra sa révision (art. L. 145-39 C. com.), et de déroger ainsi aux dispositions de l’article L. 145-38 du Code de commerce, applicables en matière de révision du loyer. Si le statut interdit la sous-location totale ou partielle, il admet cependant que les parties puissent, d’un commun accord, en convenir autrement (art. L. 145-31 C. com.). En revanche, il autorise le preneur à céder son droit au bail à un tiers et répute non écrites toutes clauses visant à lui interdire de céder son bail à l’acquéreur de son fonds de commerce (art. L. 145-16 C. com.). La souplesse du régime des baux commerciaux réside enfin dans la possibilité qu’ont les parties de mettre fin à la relation contractuelle, au terme pour l'échéance contractuelle, ou, de manière anticipée, à l'expiration de chaque période triennale.
Compatibilité avec le droit de l’Union européenne
En comparaison avec le droit des autres pays européens, qui laisse un large champ à la liberté contractuelle, le droit français des baux commerciaux se montre beaucoup plus protecteur. Le développement du commerce européen, qui a conduit les acteurs économiques à s’implanter dans les différents Etats membres de l’Union européenne, ainsi que l’influence croissante du droit européen sur les différentes législations nationales posent la question de la compatibilité du statut des baux commerciaux au droit de l’Union.
La question de la “ propriété commerciale ” n’entre pas dans le champ d’application du droit européen. Selon l’article 345 TFUE, “ les traités ne préjugent en rien le régime de la propriété dans les États membres ”. Aussi, le régime relatif à la propriété relève-t-il de la seule compétence des législations nationales. En l’occurrence, la “ propriété commerciale ”, par le bénéfice du droit au renouvellement du bail ou, à défaut, au paiement d’une indemnité d’éviction, touche indirectement à la propriété immobilière et échappe par conséquent au droit européen.
Le principe de libre établissement posé à l’article 49 TFUE (Art. 49, al. 2, TFUE : “ la liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, et notamment de sociétés au sens de l’article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux ”.) implique une égalité de traitement entre ressortissants des Etats membres interdisant toute discrimination reposant sur la nationalité. Si, en droit français, l’article L. 145-13 du Code de commerce, aujourd’hui abrogé par la loi 2014-626 du 18 juin 2014 (L. 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, JORF 0140 du 19 juin 2014, art. 5.), interdisait aux commerçants, industriels ou personnes immatriculées au répertoire des métiers de nationalité étrangère, de se prévaloir des dispositions relatives au statut des baux commerciaux, le même texte précisait que cette interdiction n’était pas “ applicable aux ressortissants d’un Etat membre de la Communauté européenne ou d’un Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen ”. De ce point de vue, et en dépit de l’abrogation de ce texte, le principe d’égalité entre ressortissants des Etats membres était déjà effectif. Ainsi, n’est pas fondé l’argument selon lequel le statut français des baux commerciaux n’est pas compatible avec le droit européen et restreindrait la concurrence entre commerçants français et étrangers, certains pays, comme l’Allemagne, ne bénéficiant d’aucun régime protecteur à l’égard du locataire, à la différence de la France. En effet, tout ressortissant de l’Union européenne et, depuis l’abrogation de l’article L. 145-13, tout ressortissant extra-communautaire bénéficient du statut français et de ses avantages, que sont le droit au renouvellement du bail et au paiement d’une indemnité d’éviction, dans les mêmes conditions qu’un commerçant français.
Une réponse ministérielle du 9 mai 1988 a conclu à la compatibilité du statut des baux commerciaux au droit européen en indiquant qu’ “ aucune disposition actuelle ni future du plan communautaire ne remet en cause la législation française relative à la propriété commerciale et à celle du fonds de commerce ”(Rép. Quest. Ecrite 35134, JO, Déb. Ass. Nat., 9 mai 1988, 1982).