Propriété industrielle et commerciale (protection de la)

Droit européen des affaires

Le monopole d'exploitation conféré au titulaire d'un droit de propriété intellectuelle (marque, brevet, dessins et modèles, droit d'auteur et droits voisins), par des règles nationales, sur une base territoriale, heurte directement les principes de libre circulation des marchandises et de libre concurrence établis par le Traité, qui entendent simultanément lutter contre tout pouvoir de monopole et promouvoir un marché intégré. Pour autant, aux termes de l'article 345 TFUE, le droit européen ne peut remettre en cause l'existence d'un droit de propriété, et plus particulièrement de propriété intellectuelle, régulièrement acquis en vertu de règles nationales. Plus encore, la protection de la propriété industrielle et commerciale figure parmi les exceptions légales susceptibles d'être invoquées au titre de l'article 36 TFUE pour justifier les restrictions aux échanges entre États membres.

Les autorités européennes ont d'abord recouru aux seuls articles 101 et 102 TFUE pour vérifier la compatibilité des droits nationaux de propriété intellectuelle avec le droit européen. Mais, dès l'arrêt Sirena, la Cour souligne que l'emprise du droit européen à l'égard des droits de propriété intellectuelle, qu'elle soit fondée sur le principe de libre circulation ou sur les articles 101 et 102 TFUE, ressortit à la même inspiration : “L'article 36, tout en relevant du chapitre concernant les restrictions quantitatives aux échanges entre États membres, s'inspire d'un principe susceptible de trouver aussi application en matière de concurrence en ce sens que, si les droits reconnus par la législation d'un État membre en matière de propriété industrielle et commerciale ne sont pas affectés dans leur existence par les articles 85 et 86 du traité [aujourd'hui 101 et 102 TFUE], leur exercice peut cependant relever des interdictions édictées par ces dispositions”. Puis, dans l'arrêt Deutsche Grammophon, la Cour retient que, pour le cas où l'exercice d'un droit de propriété intellectuelle échapperait aux éléments, contractuels ou de concertation, envisagés par l'article 101, il y a lieu d'examiner sa compatibilité avec d'autres dispositions du Traité, relatives notamment à la libre circulation des marchandises. Les articles 101 et 102 TFUE ne représentent donc plus les fondements exclusifs de la compétence européenne en la matière et les règles européennes de libre circulation des marchandises s'appliquent subsidiairement dès lors qu'elles poursuivent, comme les règles de concurrence, le même objectif de fusion des marchés nationaux dans un marché unique.

Apparue dans le cadre de l'application des règles de concurrence, la distinction existence/exercice s'est révélée insuffisante pour concilier propriété intellectuelle et liberté de circulation. Dans le cadre du droit de la concurrence, l'exercice du droit est illégal dès lors qu'il est anticoncurrentiel : les notions d'entente et d'abus de position dominante suffisent à fixer les limites du contrôle. En revanche, la propriété intellectuelle conférant par nature des droits exclusifs, les autorités européennes ont été conduites à introduire des critères supplémentaires pour distinguer entre comportement licite et illicite. Tel est le rôle des notions d'objet spécifique et de fonction essentielle des droits de propriété intellectuelle.

La théorie opérationnelle qui permet de concilier liberté de circulation et propriété intellectuelle est celle de l'épuisement des droits. Elle signifie que le droit exclusif conféré au détenteur de la propriété intellectuelle s'épuise pour les produits visés après leur première mise en circulation sur le marché intérieur, par le titulaire du droit lui-même, avec son consentement ou par une personne unie à lui par des liens de dépendance juridique ou économique. Dans ce cadre, l'exercice des droits de propriété intellectuelle ne doit pas entraver le libre jeu de la concurrence au-delà de ce qu'exige la sauvegarde des droits qui constituent l'objet spécifique d'une telle protection.

L'objet spécifique dépend de la nature du droit protégé. Ainsi, l'objet spécifique du droit de brevet consiste dans le droit exclusif d'utiliser une invention en vue de la fabrication et de la première mise en circulation de produits industriels sur le territoire européen, soit directement, soit par l'octroi de licences à des tiers, ainsi que dans le droit de s'opposer à toute contrefaçon. En revanche, ce droit ne peut avoir pour objet de garantir une protection de son détenteur contre les actions en contestation de sa validité, car il est d'intérêt public d'éliminer tout obstacle à l'activité économique qui pourrait découler d'un droit délivré à tort. L'objet spécifique du droit de marque réside dans le droit exclusif pour son titulaire d'utiliser la marque pour la première mise en circulation d'un produit et de le protéger contre les concurrents qui voudraient abuser de la position et de la réputation de la marque en vendant des produits revêtus de celle-ci. L'objet spécifique du droit sur un modèle protégé est la faculté pour son titulaire d'empêcher des tiers de fabriquer et de vendre ou d'importer, sans son consentement, des produits incorporant le modèle.

Puis, pour tenir compte des intérêts de l'Union, les autorités européennes ont été conduites à réduire les droits des titulaires en conditionnant leur objet spécifique à la sauvegarde de leur fonction essentielle. Seules les prérogatives relevant de l'objet spécifique, qui correspondent à la fonction essentielle du droit, sont alors considérées comme licites au regard du principe de libre circulation des marchandises. La fonction essentielle du droit “réalise” son objet spécifique. Comme l'objet spécifique, la fonction essentielle diffère selon les droits protégés. La fonction essentielle du brevet est de garantir à son titulaire la récompense de son effort d'inventeur notamment en empêchant la commercialisation de produits fabriqués dans un autre État membre par le bénéficiaire d'une licence obligatoire qui porte sur un brevet parallèle détenu par ce même titulaire. La fonction essentielle de la marque consiste à garantir au consommateur ou à l'utilisateur final l'identité d'origine du produit, en lui permettant de distinguer, sans confusion possible, ce produit de ceux qui ont une autre provenance. Le droit d'obtention végétale a pour fonction essentielle de garantir l'obtenteur contre toute manipulation défectueuse des variétés de semences de base qu'il a mises au point. Enfin, le droit d'auteur garantit à son titulaire la protection morale de l'œuvre et la rémunération de l'effort créateur.

La prohibition des restrictions à la liberté de circulation des marchandises aboutit ainsi, indirectement, à définir le contenu des différents droits de propriété intellectuelle et les prérogatives de leurs titulaires. Les principes jurisprudentiels ont d'ailleurs largement inspiré l'harmonisation des législations nationales en matière de marques et de dessins et modèles. Les titulaires des droits de propriété intellectuelle disposent en outre de la possibilité de protéger leurs droits au niveau européen, grâce à la marque européenne ou aux dessins et modèles européens. Après de longues années de discussions entre les États membres, le Parlement européen et le Conseil sont parvenus à adopter le règlement 1257/2012 sur le brevet unitaire européen. Néanmoins, la mise en oeuvre du texte ne sera effective qu'après la ratification par tous les États membres de l'Accord relatif à une juridiction unifiée du brevet, chargée d'arbitrer les litiges en matière de brevets unitaires.

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