Le principe d'un droit à réparation des victimes de pratiques anticoncurrentielles est reconnu depuis longtemps en droit français, mais les actions en réparation ne sont pas nécessairement aisées à mettre en œuvre. En pratique, elles se heurtent à deux séries de difficultés. Les premières sont liées à l'ensemble des moyens de défense à l'action fondés sur le droit de la procédure et de la responsabilité civile : prescription, faute de la victime et passing-on defense notamment. Les secondes tiennent aux difficultés de preuve qui dérivent de la nécessité de concilier le droit des victimes à indemnisation et la volonté des autorités de concurrence de protéger les demandeurs à la clémence.
La victime de pratiques anticoncurrentielles qui souhaite obtenir réparation de son préjudice doit démontrer que les trois conditions classiques de la responsabilité sont remplies : la faute, le préjudice et le lien de causalité entre la faute invoquée et le préjudice subi. La directive 2014/104 du 26 novembre 2014, qui facilite cette tâche, a été transposée en droit interne par une ordonnance du 9 mars 2017, aux nouveaux articles L. 481-1 et suivants du Code de commerce.
Aux termes de l'article L. 481-1, tout comportement constitutif d'une violation du droit européen ou interne de la concurrence caractérise une faute. Ainsi, les victimes peuvent demander réparation des préjudices causés par un abus de dépendance économique, une pratique de prix abusivement bas, une exclusivité d'importation dans les collectivités d'outre-mer ou une exclusivité obtenue par une centrale de réservation au détriment d'une entreprise de transport de personnes au moyen de véhicules légers. Trois cas doivent être distingués, selon que la procédure de concurrence a donné lieu à des engagements, à une transaction ou à une condamnation pure et simple sans recours à la procédure d'engagements ou de transaction.
L'entreprise poursuivie qui accepte d'entrer dans une procédure d'engagements, ne reconnaît pas avoir commis une pratique anticoncurrentielle. La partie qui s'estime lésée devra dans ce cas supporter seule la charge de la preuve de la faute devant le juge de l'indemnisation.
L’entreprise qui participe à une transaction reconnaît sa participation à l’infraction, reconnaissance de responsabilité en contrepartie de laquelle sa sanction pécuniaire est réduite. La transaction devrait par voie de conséquence constituer une preuve de l’infraction dont la victime pourra se prévaloir devant le juge civil.
Enfin, selon, l'article L. 481-2 du Code de commerce, les décisions définitives d'une autorité nationale de concurrence qui constatent une infraction constituent une preuve irréfragable de l'existence de l'infraction devant une juridiction du même État membre. Devant la juridiction d'un autre État membre, elle ne constituera qu'un moyen de preuve de l'infraction. La faute doit être le facteur déterminant dans la production du dommage.
Le préjudice réparable comprend “notamment” la perte réalisée, le gain manqué, la perte de chance et le préjudice moral. La perte résulte du surcoût correspondant à la différence entre le prix du bien ou du service effectivement payé par l'acheteur et celui qui l’aurait été en l’absence de commission de l’infraction, sous réserve de la répercussion totale ou partielle de ce surcoût qu’il a éventuellement effectuée sur son contractant direct ultérieur, ou de la minoration résultant d’un prix plus bas que lui a payé l’auteur de l’infraction (art. L. 481-3 C. com.). Le gain manqué peut procéder de la diminution du volume des ventes liée à la répercussion partielle ou totale du surcoût que l'acheteur a été amené à opérer sur ses contractants directs ou de la prolongation certaine et directe des effets de la minoration des prix qu’il a dû pratiquer. Les règles du droit commun de la responsabilité civile exigent que le dommage soit certain et direct. Les dommages et intérêts sont évalués au jour du jugement, en tenant compte de toutes les circonstances qui ont pu affecter la consistance et la valeur du préjudice depuis le jour de la manifestation du dommage, ainsi que de son évolution raisonnablement prévisible (art. L. 481-8 C. com.).
La victime peut produire à titre de preuve les éléments qu'elle a obtenus au cours d'une procédure devant l'Autorité de la concurrence dans le cadre d'un litige avec un autre opérateur, dans le respect de la protection due aux secrets d'affaires et aux pièces des procédures de clémence ou de transaction. En outre, en vertu de l'article L. 483-8, un juge peut ordonner la communication ou la production des documents issus du dossier concurrence lorsque la procédure est close par une décision de l'Autorité de la concurrence.
L'article L. 483-5 interdit en revanche au juge d'ordonner la communication ou la production de pièces issues de la procédure de clémence ou de transaction et lui impose, lorsque de telles pièces sont utilisées par une partie, de les écarter des débats. Néanmoins, le juge peut demander la communication à une partie ou à une autorité de concurrence des documents dont il est allégué qu'ils sont couverts par cette interdiction afin de s'assurer personnellement et hors la présence des parties qu'il s'agit effectivement d'une pièce issue de la procédure de clémence ou de transaction (art. L. 462-3).
Par ailleurs, lorsqu'une partie prétend qu'une pièce demandée est couverte par le secret des affaires, le juge ouvre les débats hors la présence du public ou peut, de manière non contradictoire, limiter la communication ou la production de la pièce à certains de ses éléments, restreindre l'accès à cette pièce et adapter la motivation de sa décision aux nécessités de la protection du secret des affaires, sans préjudice de l'exercice des droits de la défense (C. com., art. L. 153-1).
Pour garantir l’efficacité du droit de communication accordé aux demandeurs à l’action en réparation, l’article R. 483-14 prévoit une amende pouvant atteindre 10 000 euro à l’encontre de toute personne qui refuse de se conformer à une injonction de communication de pièces, détruit des pièces pertinentes, ou ne respecte pas des obligations imposées par une injonction protégeant des informations confidentielles.