Droit français de la concurrence
En matière de concurrence déloyale, on distingue traditionnellement entre la désorganisation de l'entreprise et celle du marché. La première concerne un opérateur en particulier et se manifeste par l'usage de divers procédés : débauchage de salariés, appropriation ou divulgation du savoir-faire, de secrets de fabrique ou de méthodes commerciales, désorganisation des circuits commerciaux (violation d'un réseau de distribution, par ex.), création d'une entreprise nouvelle dans des conditions susceptibles de détourner la clientèle. La seconde vise un ensemble d'opérateurs, qui fabriquent ou commercialisent des produits identiques ou similaires ; elle résulte de pratiques commerciales déloyales (ex. revente à perte, paracommercialité, prix d'appel) ou du non-respect de règles légales. La majeure partie de ces procédés illicites sont désormais punissables sur d'autres fondements que la concurrence déloyale.
Pratiquement, les cas de désorganisation, dans leur grande majorité, sont rarement à eux seuls constitutifs de concurrence déloyale. Ils sont qualifiés comme tels, car les manœuvres qui les accompagnent manifestent un abus de la libre concurrence.
La désorganisation peut résulter de la création d'une entreprise concurrente par les anciens membres de l'entreprise. En application du principe de la liberté du commerce et de celui de la libre concurrence, une entreprise ne peut se prévaloir d'aucun droit privatif sur ses clients. Et à l'expiration de son contrat de travail, le salarié jouit d'une pleine et entière liberté de concurrence à l'égard de son ancien employeur. Il peut même, en vertu du principe de liberté du travail, organiser sa future activité concurrente alors qu'il est encore dans le lien contractuel, dès lors que l'exercice de celle-ci n'est effectif qu'après la rupture du contrat. En revanche, son comportement est fautif s'il constitue une société concurrente et démarre ou exerce l'activité alors qu'il est encore en poste. De même, l'associé d'une SARL qui crée une société concurrente, contacte d'autres associés pour qu'ils viennent y travailler et prospecte les clients de la SARL afin de les détourner au profit de sa nouvelle entreprise, manque à son devoir de loyauté.
L'entreprise nouvellement créée peut démarcher la clientèle de son concurrent car le démarchage n'est pas en soi un acte déloyal. En revanche, le démarchage des clients du concurrent par l'entreprise créée par un ancien salarié est fautif lorsqu'il est systématique ou que le départ des clients vers la nouvelle structure résulte de manœuvres déloyales. En effet, l'entreprise nouvelle ne doit pas user de procédés déloyaux pour gagner sa clientèle. Le démarchage est illicite lorsqu'une entreprise introduit une distorsion artificielle dans la concurrence entre elle et son concurrent, dont elle cherche à capter la clientèle à son profit. Le preuve d'actes déloyaux doit toutefois être apportée, tels que des actes de confusion, de dénigrement, de détournement de la clientèle ou, en règle générale, tout démarchage systématique des clients du concurrent. Le démarchage illicite peut aussi revêtir une forme indirecte lorsqu'une société, en violation de l'article L. 442-6, I, 4° du Code de commerce, exerce des pressions sur un grand magasin afin qu'il déplace le corner d'une concurrente sous menace de rompre les relations ou qu'un ancien salarié capte la clientèle, après l'expiration de son contrat de travail, au bénéfice de son nouvel employeur.
La désorganisation peut aussi résulter d'actes de détournement de secrets de fabrique ou du savoir-faire ou d'actes tendant à perturber l'activité commerciale, de pratiques de prix ou de marque d'appel, ou, plus généralement, d'un comportement contraire à la réglementation. La violation des règles en vigueur constitue un acte déloyal de désorganisation du marché, car il confère à celui qui se soustrait à la réglementation un avantage dans la concurrence. Selon la Cour de cassation, la violation de la réglementation en vigueur crée une distorsion dans le jeu de la concurrence, constitutive, en soi, d'un acte de concurrence déloyale, sans qu'il y ait lieu de prouver que l'auteur des faits incriminés en a tiré un profit.
Enfin, la désorganisation d'un réseau de distribution peut constituer un acte de concurrence déloyale. Le fait de commercialiser des produits hors réseau ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale, dès lors que l'approvisionnement est régulier. En revanche, les ventes parallèles cessent d'être considérées avec indulgence lorsqu'elles constituent des ventes parasites effectuées par des revendeurs hors réseau qui profitent des investissements de la marque sans en supporter les coûts, ni assurer le service au consommateur. L'article 1240 du Code civil trouve à s'appliquer lorsqu'une faute détachable de la vente peut être relevée à l'encontre du tiers revendeur. On considère que le fait de taire ses sources d'approvisionnement révèle le caractère illicite de l'acquisition. De même, des distributeurs non agréés, qui s'approvisionnent auprès de distributeurs agréés, par le biais de sociétés de façade, ou en violation de leurs obligations contractuelles, commettent un acte de concurrence déloyale. Toute participation directe ou indirecte à la violation d'une interdiction de revente hors réseau est susceptible d'engager la responsabilité de son auteur, dès lors que l'interdiction en cause est conforme au droit de la concurrence (art. L. 442-6, I, 6º, C. com.). De même, la publicité de nature à induire le consommateur en erreur sur l'appartenance au réseau est susceptible de caractériser une faute détachable de la vente.