Pratiques commerciales déloyales (notion de)

 

Consommation

À l'origine, le seul texte qui Àouvrait au moins en partie le champ des pratiques déloyales telles que définies par la directive 2005/29 du 11 mai 2005, était la directive 84/450 du 10 septembre 1984 relative à la publicité trompeuse et à la publicité comparative. Dès lors qu'il ne s'opposait pas au maintien ou à l'adoption par les États membres de mesures garantissant aux consommateurs une protection plus étendue, il en résultait d'importantes divergences entre législations nationales, sources de distorsions de concurrence entre les entreprises des différents États membres et d'obstacles au bon fonctionnement du marché intérieur. Les disparités entre les législations augmentaient les coûts des entreprises qui souhaitaient s'engager dans une commercialisation, une campagne publicitaire ou une promotion commerciale transfrontalière. Elles représentaient également un facteur d'insécurité juridique pour les consommateurs, qui, n'ayant pas une connaissance très sûre de la teneur et de l'étendue de leurs droits, se montraient méfiants à l'égard du commerce transfrontalier.

Afin d'éliminer les obstacles à la libre circulation, la Commission a décidé d'adopter des règles uniformes garantissant à la fois un niveau élevé de protection des consommateurs et la sécurité juridique des entreprises. Cette harmonisation a été réalisée par la directive 2005/29 du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur, complétée en 2009 par un document d'orientation pour sa mise en œuvre et son application, lui-même révisé en 2016. D'inspiration libérale, le texte vise à éviter que les consommateurs ne soient trompés ou exposés à un marketing agressif et à assurer que toute allégation émanant de professionnels dans l'Union européenne soit claire, exacte et justifiée, pour mieux éclairer les choix des consommateurs tout en protégeant les intérêts économiques des concurrents. Comme plusieurs autres directives en matière de protection des consommateurs, la directive 2005/29 a été modifiée par la directive 2019/2161 du 27 novembre 2019, qui tend à une meilleure application et une modernisation des règles de l'Union en matière de protection des consommateurs. Outre l'institution d'un nouveau régime de sanctions, la directive 2005/29 est enrichie de nouvelles dispositions qui visent à prendre en considération les nouvelles pratiques issues du développement considérable des places de marché.

Aux termes de l'article 4, connu comme la “clause relative au marché intérieur”, l'harmonisation complète réalisée par la directive interdit aux États membres d'adopter ou de maintenir des mesures plus restrictives que celles qu'elle définit, même si elles ont pour objet d'assurer un degré plus élevé de protection des consommateurs.

En vertu de son article 1er, la directive 2005/29 a pour objectif “de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur et d'assurer un niveau élevé de protection des consommateurs en rapprochant les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux pratiques commerciales déloyales qui portent atteinte aux intérêts économiques des consommateurs”. La Cour de justice en a déduit que “la notion de consommateur revêt une importance primordiale” et que “les dispositions de [la directive] sont conçues essentiellement dans l'optique du consommateur en tant que destinataire de pratiques commerciales déloyales”. De fait, si la directive peut indirectement protéger les intérêts économiques des entreprises qui respectent la réglementation à l'égard des concurrents qui ne s'y conforment pas, garantissant ainsi une concurrence loyale dans le secteur d'activité qu'elle coordonne, elle ne couvre pas, en principe, les pratiques qui n'affectent que les intérêts économiques de concurrents ou ne concernent que des transactions entre professionnels. En effet, ces derniers sont en partie protégés, en leur qualité de clients ou de concurrents, par la directive 2006/114 du 12 décembre 2006 relative à la publicité trompeuse et à la publicité comparative ainsi que par la directive 2019/633 du 17 avril 2019 relative aux pratiques commerciales déloyales dans le secteur agroalimentaire. Autrement dit, la directive ne vise que les relations B2C ("business to consumer"). Le juge interrogé sur la conformité d'une législation nationale avec la directive doit donc d'abord apprécier l'objectif poursuivi par le législateur national. Une disposition nationale qui, dans un but de protection des consommateurs, prévoit une interdiction générale d'offrir à la vente ou de vendre des biens à perte, tombe sous le coup du texte, même lorsque le litige à l'occasion duquel cette disposition est invoquée concerne des rapports entre professionnels. Sont également soumises à la directive les réglementations qui poursuivent, parmi d'autres objectifs, la défense des intérêts des consommateurs.

La directive ne s'applique qu'aux “pratiques commerciales”, définies à l'article 2 comme “toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale de la part d'un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d'un produit aux consommateurs”. La jurisprudence a, au fil des décisions, défini les pratiques concernées.

Après avoir posé un principe général d'interdiction des pratiques commerciales déloyales, l'article 5 de la directive répute déloyales les pratiques commerciales qui, cumulativement, sont contraires aux exigences de la diligence professionnelle et altèrent ou sont susceptibles d'altérer de manière substantielle le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen. Le texte vise spécifiquement les deux cas les plus courants de pratiques commerciales déloyales : les pratiques commerciales trompeuses au sens des articles 6 (actions trompeuses) et 7 (omissions trompeuses) et les pratiques commerciales agressives au sens des articles 8 et 9. Enfin, l'article 5 renvoie à l'annexe I de la directive, qui dresse une liste des pratiques commerciales réputées déloyales en toutes circonstances, c'est-à-dire sans qu'il y ait lieu d'apprécier leur caractère trompeur ou agressif au regard des critères posés aux articles 6 à 9. La liste, complétée par la directive 2019/2161 du 27 novembre 2019, désigne 27 pratiques commerciales trompeuses et 8 pratiques commerciales agressives.

La Commission a, dans ses orientations pour la mise en oeuvre de la directive, établi une grille d'analyse qui décrit les différentes étapes de l'appréciation du caractère déloyal d'une pratique commerciale. Le juge national doit d'abord vérifier si la pratique concernée figure dans la liste de l'annexe I. Si tel est le cas, elle est interdite per se, sans autre condition. Dans le cas contraire, le juge doit examiner si la pratique remplit les critères de qualification des pratiques trompeuses ou agressives posés par les articles 6 à 9 et si elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur. En application de ce principe, une pratique commerciale qui n'est pas visée par l'annexe I ne peut pas faire l'objet d'une interdiction générale : la législation nationale doit permettre au juge de vérifier in concreto si elle présente un caractère trompeur ou agressif. Ainsi, la Cour de justice a déclaré contraire à la directive l'interdiction générale des ventes couplées prévue par les lois belge et polonaise, de certaines formes de loteries édictée par la loi allemande, des ventes avec primes posée par la loi autrichienne, des annonces de réduction de prix pendant les périodes précédant les soldes saisonniers ou lorsque le prix annoncé ne constitue pas une réelle réduction par rapport au prix habituellement pratiqué pendant une période continue d'un mois précédant immédiatement la date de début de la promotion édictée par la loi belge, des ventes en liquidation réalisées sans autorisation préalable prévue par la loi autrichienne et de la revente à perte établie par les lois belge et espagnole.

Enfin, si les critères des articles 6 à 9 ne sont pas remplis, le juge doit, pour qualifier la pratique de déloyale, s'assurer qu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur. La question s'est posée de savoir si, lors de la confrontation de la pratique aux critères des articles 6 à 9, le juge devait aussi vérifier sa conformité aux exigences de la diligence professionnelle et l'éventuelle altération du comportement économique du consommateur. Selon la Commission, il n'y a pas lieu de procéder à cette vérification dès lors qu'il y a violation automatique des exigences de la diligence professionnelle en cas d'action ou d'omission trompeuse ou de pratique commerciale agressive. La Cour de justice a consacré cette interprétation qu'elle estime seule de nature à préserver l'effet utile des articles 6 à 9. En revanche, la preuve de l'altération du comportement économique du consommateur s'impose dans toutes les hypothèses, puisque cette condition est expressément reprise aux articles 6, 7 et 8.

Avant les modifications apportées par la directive 2019/2161, la Cour de justice avait souligné que la directive se bornait à prévoir, à son article 5, paragraphe 1, que les pratiques commerciales déloyales étaient “interdites” et laissait aux États membres une marge d'appréciation quant au choix des mesures nationales destinées à lutter contre ces pratiques. Il en résultait que, contrairement à un contrat contenant une clause abusive, un contrat prévoyant des clauses contraires à l'interdiction générale des pratiques commerciales déloyales n'était pas nécessairement invalide. Cette solution pourrait être remise en cause par la directive 2019/2161, qui insère un article 11 bis au sein de la directive 2005/29 pour introduire un nouveau type de sanction : la réparation des dommages subis par le consommateur et, le cas échéant, une réduction du prix ou la fin du contrat. L'objectif est d'assurer l'élimination complète des effets de la pratique pour le consommateur. De plus, pour les infractions de “grande ampleur” au sens de la directive 2017/2394, la directive 2019/2161 instaure une amende correspondant à au moins 4 % du chiffre d'affaires annuel du professionnel dans le ou les États membres concernés, et, en cas d'absence d'informations disponibles sur son chiffre d'affaires annuel, une amende d'un montant maximal de 2 millions d'euro. Les États membres sont autorisés à introduire des sanctions encore plus lourdes.

Avant la transposition de la directive 2005/29 en droit français, les pratiques commerciales des professionnels à l'égard des consommateurs relevaient de différents textes : les articles du Code civil relatifs à la validité du consentement et à la bonne foi contractuelle, ceux du Code de commerce sur les liquidations, ventes au déballage, soldes et magasins d'usine, ceux du Code de la Consommation sur l'information du consommateur, sur la publicité trompeuse ou de nature à induire en erreur, sur le démarchage, les ventes avec primes, les loteries publicitaires, les ventes subordonnées, les envois forcés, les ventes pyramidales, l'abus de faiblesse, la garantie légale de conformité et ses rapports avec la garantie commerciale, les fraudes et falsifications ainsi que certains textes non codifiés tels l'arrêté sur les annonces de réduction de prix. L'entrée en vigueur de la directive 2005/29 a fondamentalement changé la donne par son approche horizontale des pratiques commerciales et son effet d'harmonisation maximale, qui prive les États membres de la faculté de maintenir des dispositions plus restrictives. Contraint de réviser certaines dispositions nationales, le législateur français a procédé par touches successives.

La loi 2008-3 du 3 janvier 2008 constitue la première tentative de transposition de la directive 2005/29. Le texte a en partie modifié le plan du Code de la Consommation afin de reproduire fidèlement la structure de la directive. Il a également modifié l'ancien article L. 121-1 jusque-là uniquement consacré à la publicité trompeuse pour l'élargir aux pratiques commerciales déloyales, qui ne se réduisent pas aux seules pratiques publicitaires et introduit l'incrimination des pratiques commerciales agressives, qui constituent non seulement une infraction pénale, mais aussi une nouvelle cause de nullité des contrats. La transposition réalisée par la loi du 3 janvier 2008 demeurait cependant incomplète car elle ne prévoyait pas de dispositions relatives à l'appréciation des pratiques commerciales déloyales dirigées contre les consommateurs vulnérables, ne visait pas la notion d'invitation à l'achat et ne reproduisait pas la liste noire de l'annexe I de la directive. La Commission, après avoir vivement critiqué ces carences et récapitulé l'ensemble de ses griefs, a enjoint au législateur français de se conformer au droit de l'Union.

La loi 2008-776 du 4 août 2008 remédie aux lacunes de la transposition antérieure. Elle introduit la protection des consommateurs vulnérables et la notion d'invitation à l'achat et insère deux nouveaux articles qui reprennent le contenu de l'annexe de la directive. Ces ajustements n'ont toujours pas satisfait la Commission qui a mis la France en demeure de supprimer les interdictions per se contenues dans les textes relatifs aux ventes liées, aux ventes avec prime et aux loteries publicitaires.

La loi 2011-525 du 17 mai 2011 a amendé ces différents textes en conséquence. Elle a toutefois introduit une confusion regrettable en maintenant la définition antérieure des infractions et en se contentant de préciser, in fine, que les pratiques en cause ne doivent pas présenter un caractère déloyal. Dans un communiqué de presse du 29 septembre 2011, la Commission a indiqué son intention d'émettre un nouvel avis motivé contre la France pour transposition incorrecte de la directive, mais celui-ci n'a pas été suivi d'effets.

L'ordonnance de recodification 2016-301 du 14 mars 2016 a, dans un souci de rationalisation, modifié l'architecture du Code de la Consommation. Le titre II du Livre I, anciennement relatif aux “pratiques commerciales” est désormais consacré aux “pratiques commerciales interdites” (Chapitre I) et “aux pratiques commerciales réglementées” (Chapitre II). Le Chapitre Ier regroupe désormais sous l'appellation “pratiques commerciales interdites” les pratiques commerciales déloyales (trompeuses et agressives) et les pratiques commerciales, auparavant éparpillées dans le code, susceptibles de relever du champ d'application de la directive 2005/29, telles que l'abus de faiblesse, le refus de vente et les ventes subordonnées, les ventes forcées, les ventes à la boule de neige et des infractions plus récentes telles que celle relative aux numéros téléphoniques surtaxés ou aux cases précochées, les ventes avec primes et les loteries publicitaires. L'ancien article L. 120-1 relatif aux pratiques commerciales déloyales devient l'article L. 121-1. Le nouveau code regroupe ensuite les dispositions de fond relatives aux pratiques commerciales trompeuses et agressives, dont il modifie quelque peu l'ordonnancement, et rejette dans un Titre III, relatif aux sanctions, les dispositions procédurales. Ainsi, l'ancien article L. 121-1 relatif aux pratiques commerciales trompeuses est scindé en plusieurs articles : l'article L. 121-2 concerne les pratiques trompeuses par action, l'article L. 121-3 les pratiques trompeuses par omission et l'article L. 121-5 précise que les professionnels ne peuvent se prévaloir que des pratiques trompeuses par action et des pratiques trompeuses per se. Ces dernières figurent à l'article L. 121-4. L'ancien article L. 122-11 relatif aux pratiques commerciales agressives devient l'article L. 121-6 et l'ancien article L. 122-11-1, qui dressait la liste des pratiques agressives per se, l'article L. 121-7. Les dispositions relatives à la poursuite et la sanction des pratiques commerciales trompeuses sont réorganisées. Le pouvoir des agents de l'Administration de demander la preuve des allégations du message trompeur, autrefois prévu à l'article L. 121-2 est déplacé à l'article L. 512-15. L'ancien article L. 121-3, relatif au pouvoir du juge d'instruction d'ordonner la cessation de la diffusion du message est scindé en deux dispositions, les articles L. 132-8 et L. 132-9. L'article L. 121-4, relatif au pouvoir du juge d'imposer l'affichage de sa décision et la diffusion d'annonces rectificatives est également scindé en deux : l'article L. 132-4 et l'article L. 132-5, qui fixe de nouvelles sanctions en cas de non-respect des délais accordés pour la diffusion de l'annonce rectificative. L'article L. 121-5, relatif au caractère territorial de l'infraction de pratique commerciale trompeuse, devient l'article L. 132-1. L'article L. 121-6, qui fixait les sanctions de l'infraction de pratique commerciale trompeuse, est scindé en deux articles, l'un consacré aux peines principales (art. L. 132-2), l'autre aux peines complémentaires applicables aux personnes physiques et à celles applicables aux personnes morales (L. 132-3). L'article L. 121-7, qui permettait au tribunal d'ordonner la communication des documents utiles, est également découpé en deux, l'article L. 132-6 et l'article L. 132-7, qui institue une sanction nouvelle. Les sanctions des pratiques commerciales agressives sont déplacées. L'ancien article L. 122-12, relatif aux peines d'emprisonnement et d'amende devient l'article L. 132-11. Les articles L. 122-13 et L. 122-14, relatifs aux peines complémentaires applicables aux personnes physiques et à celles applicables aux personnes morales sont fusionnés dans l'article L. 132-12. Enfin, l'article L. 122-15, qui prévoyait la sanction de la nullité du contrat conclu à la suite de la mise en oeuvre d'une pratique agressive, devient l'article L. 132-10.

L'ordonnance a été ratifiée par la loi du 21 février 2017. En matière de pratiques commerciales déloyales, elle a procédé à deux ajustements. L'article L. 121-3 réintroduit la notion d'invitation à l'achat, que l'ordonnance avait improprement rebaptisée “invitation commerciale”. Ensuite, de manière plus significative, elle a modifié l'article L. 121-5 pour étendre aux professionnels et aux non-professionnels, la faculté de se prévaloir d'une omission trompeuse, jusqu'alors réservée aux consommateurs.

Enfin, depuis le 28 mai 2022, le nouvel article L. 132-1 A, créé par l'ordonnance 2021-1734 à la suite de la transposition de la directive Omnibus, prévoit une amende civile en cas d'infraction de grande ampleur, y compris à l'échelle de l'Union, applicable aux pratiques commerciales déloyales autres que les pratiques commerciales trompeuses ou agressives.

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